Avec l’obtention du prix Goncourt en 2008 pour Syngué sabour, Pierre de patience, l’auteur franco-afghan Atiq Rahimi a fait une entrée fracassante dans les milieux littéraires mondiaux.
Alors que l’écrivain, exilé en France depuis 1985, avait déjà publié trois textes en perse d’une grande qualité dans l’indifférence totale, son passage à la langue française devient son passeport vers la reconnaissance, la célébrité. On l’a vu sur les listes de best-sellers, dans les journaux, à la télévision, finaliste au Prix des libraires, son roman Syngué sabour ayant même été le fier porteur de la mention « coup de cœur » d’une grande chaîne bien connue. Mais l’œuvre mérite-t-elle cet engouement ?
Malgré ses succès de vente, Atiq Rahimi n’a rien de l’écrivain populaire, qui reprend la mode des volumineuses sagas historiques. Il travaille pourtant sur les heurts, les crises, les déchirements et les tabous de sa société, en présentant une perspective personnelle sur le vacillement de son Afghanistan natal. Si le romancier acquiert tout à coup, après quatre titres, l’attention soutenue du public international francophone, c’est qu’avec Syngué sabour, il a accompli un brusque changement qui semble plaire au monde éditorial. En délaissant le persan pour rédiger ses récits directement en français, il s’est gagné du coup un nouveau lectorat.
Évocation de l’isolement
Le premier roman d’Atiq Rahimi, Terre et cendres1, écrit originellement en persan et publié en traduction française en 1999, est un court récit sur la solitude, qui, selon Rahimi, a toujours une origine politique et violente. Dastaguir, un vieillard, quitte son village en feu avec son petit-fils après que les militaires russes les eurent attaqués, ne laissant que des cendres en héritage. Rare survivant, il part à la recherche de son fils, Mourad, qui travaille à la mine de charbon de Karkar afin de lui annoncer la triste nouvelle. Le récit se construit autour des tentatives répétées et amères de l’aïeul pour témoigner de l’horreur et demander à son fils réparation et vengeance. Le roman débute par une longue attente, près d’un pont, qui tient lieu de frontière entre l’espace détruit et l’espace du possible (le travail et la rédemption) : un camion doit passer et amener le grand-père et Yassin, l’enfant, devenu sourd en raison des explosions, à Mourad, mais la rencontre est sans cesse suspendue, tout comme le temps qui ne s’écoule pas et prolonge la tristesse, la chaleur, la poussière, la faim, la rancune, la haine des soldats étrangers. Demeure donc la mince consolation de l’empathie du marchand de la gargote où Dastaguir et Yassin attendent. Là la colère du vieillard s’exprime, et celui-ci fournit des bribes de son histoire.
Ce roman met donc en place l’univers de Rahimi et décrit les affres de la violence généralisée qu’il rattache à l’histoire afghane, non pas en présentant un récit réaliste ni une vaste fresque historique qui montrerait les tenants et aboutissants d’une civilisation riche de plusieurs siècles et enrichie de diverses cultures, mais au contraire, en cherchant à capter des instants singuliers, qui doivent s’éclairer par eux-mêmes, dans le magma de causes et d’effets qui bouleverse tous les protagonistes. L’histoire, en pareil contexte, est à court de mots, et l’écriture de Rahimi s’astreint à l’ellipse, à la fondamentale et universelle douleur de la perte. Ce n’est donc pas le drame de la violence qui est décrit, mais ses suites, ces moments de désarroi qui assaillent les proches et les poussent à réagir, à sortir des convenances, du silence et de la quotidienneté.
Dans ce roman écrit à la deuxième personne, comme si un narrateur prenait en pitié Dastaguir, s’adressait à sa peine, ou que ce dernier ne pouvait faire valoir l’horreur rencontrée que par la distanciation et le dédoublement, Rahimi, en multipliant les allusions aux héros littéraires et mythologiques perses, oppose le faible murmure du désespoir aux bourrasques de poussières de l’histoire. Récit en mode mineur de l’invasion soviétique, Terre et cendres se veut surtout la recherche d’une résilience au-delà de toutes les épreuves. C’est pourquoi Dastaguir demeure seul avec son témoignage, avec l’horreur nue et doit agir pour son petit-fils, qui figure autant comme témoin impuissant que comme unique espoir. Seule la littérature orale, cette sagesse du passé, cette expérience récitée des défaites et des réussites, peut alors aider le vieillard à refuser de poser des gestes irrémédiables. Roman de la déchirure, d’une identité filiale mise en miettes, Terre et cendres laisse résonner une lamentation implacable, un vent du désert qui mêle les échos lointains et las de tous ceux qui ont été déchiquetés par les guerres, puisque jamais n’est résolue la question de la cause, ce qui donnerait un sens à l’horreur. « Tu sais bien, mon ami, dans ce pays, si tu te demandes pourquoi, il faut commencer par faire parler les morts dans leurs tombes.
Le cauchemar perpétuel
Si la richesse du premier roman de Rahimi tient à l’usage combiné d’une narration à la deuxième personne qui crée d’emblée un pont entre les protagonistes et d’un recours à la fable perse, Les mille maisons du rêve et de la terreur2, quant à lui, construit son point nodal autour de la folie de la guerre et de la nécessaire solidarité qui seule permet d’échapper à la déperdition de soi. Un jeune étudiant, Fahrad, apeuré et blessé, se réveille dans une demeure étrangère et il commence à raconter son cauchemar et à chercher de nouveaux repères dans un monde, le sien, qui a viré à la tragédie. En effet, il s’en est pris à des militaires qui l’ont intercepté après le couvre-feu et s’est réfugié, sonné, dans une des rares maisons accessibles pour finalement se réveiller perdu dans les labyrinthes de la peur, ce que l’image des mille maisons du rêve et de la terreur évoque.
Mahnaz, une curieuse et brave mère de famille, héberge Fahrad et organise, après avoir tissé avec lui une relation d’intimité limitée par la traque dont l’étudiant est la cible, sa fuite au Pakistan grâce à un tapis qui devient tour à tour carte géographique de ses espoirs, lien olfactif avec sa mère délaissée, habitacle protecteur et seconde peau. La maison de Mahnaz, labyrinthe plein de pièces mystérieuses, est occupée par des personnages happés par la guerre et le dérèglement de la raison (un enfant sans père qui reconnaît l’étudiant inconnu comme figure paternelle, un homme enfermé dans le silence), tout en étant un refuge où se terrer des jours entiers pour éviter la purge militaire. En effet, le narrateur y retrouve la figure bienveillante de Mahnaz qui le soigne, lui ouvre son intimité et prend des risques importants pour lui sauver la peau et lui offrir un nouveau départ.
En raison de cette folie partout présente autour de lui, le narrateur recourt à une autorité populaire pour l’aider à sortir des méandres de la peur et du possible bannissement (puisqu’il est recherché par les militaires). Il répète donc constamment les enseignements de son grand-père et surtout les maximes de Dâmollah Saïd Mostafa. Mais la poésie ne peut plus rien contre la peur, réelle ou imaginée, qui transforme un retard en exil, qui fait d’une altercation une mise à mort. La peur devient l’ultime mécanisme de défense contre la violence de ceux qui possèdent les armes et la force du groupe. Contre la peur, il n’y a que l’humanité des gestes, que le don de soi, ce que Mahnaz fait sans ambages, tout naturellement, pour aider un inconnu dans le besoin et pour résister du mieux qu’elle peut à la folie environnante. La fuite vers le Pakistan et le caractère caduc des enseignements traditionnels indiquent bien la perte d’une culture, l’effilochement d’un savoir devant l’avancée de la guerre et de la présence étrangère, ce que l’image forte du tapis donné pour assurer la survie à la frontière évoque avec tant de justesse. Ce roman de la perte des repères et de l’absurde existence trouve son contrepoint dans un autre type de folie, celui qui consiste à risquer sa peau, dans un geste d’humanité sans arrière-pensées, parce qu’un inconnu en a besoin. L’écriture de Rahimi, autour du témoignage de Farhad, par ses petites touches précises, ses silences et ses désirs de rencontres avec l’autre, dit bien la portée d’une sincère bonté.
Déplacement et transformation
Le roman Syngué sabour, Pierre de patience3, écrit cette fois directement en français, a été la pierre angulaire de l’intérêt pour l’œuvre de Rahimi. C’est avec ce texte qu’il a été connu et consacré, gagnant au passage le prix Goncourt, ce qui lui a ouvert toutes les portes. Ce roman détonne un peu par rapport aux deux précédents, et le choix de la langue d’écriture y est sûrement pour beaucoup, puisqu’une part importante de la richesse de la langue, malgré la retenue qui la caractérise, est omise cette fois, pour faire place plutôt à un style assez direct et répétitif. Un premier élément se distingue : malgré l’indétermination du lieu de l’action, puisque la scène se déroule « quelque part en Afghanistan ou ailleurs », le récit prend prétexte des conflits religieux contemporains et de la montée de l’intégrisme musulman pour décrire les multiples enfermements qui contraignent les femmes. En effet, le roman, qui s’adresse au lectorat français, comme en fait foi l’exergue d’Antonin Artaud, décrit cette culture patriarcale d’un point de vue féminin, alors qu’un femme, jamais nommée, veille son mari combattant et martyr de la Juste cause, qui se trouve dans le coma, atteint d’une balle par l’une des factions qui s’affrontent dans la ville. Non seulement le soigne-t-elle, en lui administrant des gouttes, mais elle prie pour lui en récitant toute la journée durant les multiples noms de Dieu, sur ordre du mollah, qui la surveille et lui impute l’absence de guérison. Dans la ville en chaos, soumise aux couvre-feux, aux milices et aux militaires, l’épouse va peu à peu prendre la parole, bien que la narration se maintienne à une certaine distance de son point de vue, par une description impersonnelle.
Le temps s’écoule ainsi autour des prières, de la respiration du mari, métronome de cette veillée de l’impuissance. Les courtes phrases, sans verbe, marquées par les halètements des personnages, par les puérils gestes quotidiens, se multiplient et en viennent à emplir la conscience de l’épouse, qui finit par déverser des paroles de colère, de rancune qui, à juste titre, dévoilent une soumission de laquelle la femme peut enfin se libérer. Le mari immobile devient le dépositaire de ses secrets à la manière de la Syngué sabour du titre, cet objet en lequel il est possible de déposer ses malheurs. Cette confession prend la forme d’une attaque, d’abord feutrée puis virulente, contre la misogynie ambiante, notamment à propos de l’insatisfaction sexuelle de l’épouse. L’affirmation de la femme constitue en fait un vif désir de briser les tabous, de libérer une voix tue.
Lorsque la maison est ouverte de force par les milices qui rôdent et sèment la terreur, lorsque la femme devient une proie, la confession de celle-ci amalgame tous les griefs possibles contre l’asservissement au pouvoir masculin. Il en résulte un récit qui verse, lors de la dernière partie, dans les outrances, où toute l’affirmation de la protagoniste principale est bafouée par un retournement mal fignolé, pour employer une litote polie. Ce roman est à mon sens plus faible que les précédents, dans la mesure où la dimension culturelle est moins travaillée, où l’imaginaire littéraire perse est peu mis à contribution, où la cohérence narrative est à la fin défaite sans qu’elle soit expliquée. Néanmoins, le livre répond, ce que son succès international montre sans conteste, aux attentes exotiques du public français et mondial (description des violences actuelles de la société afghane, fermée, vouée à l’intégrisme religieux et à l’oppression des femmes), mais cette nouvelle manière de Rahimi laisse un peu de côté l’ambivalence narrative et identitaire qui faisait la valeur de ses romans précédents.
L’image sans focus
L’écriture de Rahimi, quand elle atteint sa véritable force, parvient à décrire un déséquilibre qui advient dans le fracas. Elle soulève une poussière accumulée par des silences trop lourds, mais surtout elle procède grâce à l’indétermination. Ainsi, les lieux sont rarement bien campés, le temps demeure vague, la durée est décrite par des expressions imprécises comme « ce jour-là », « le lendemain », sans que l’ancrage temporel puisse référer à des événements historiques et guerriers repérables. Ce jeu sur l’indéterminé, qui, on l’a vu, concerne également l’identité des protagonistes, a pour effet d’ouvrir les possibles, de sortir d’une lecture strictement politique de l’œuvre et de la situation afghane, tout en laissant voir le caractère répétitif des situations de violence mises en scène.
Cette scénographie de l’indétermination, Rahimi lui donne un nouveau sens dans un ouvrage photographique, qui me semble le prolongement le plus réussi de sa démarche créative cathartique. En effet, avec Le retour imaginaire4, il a composé un ouvrage sur la confrontation au réel, sur le choc du fantasme et du présent, sur le témoignage oblique, en alliant la photographie et le récit de voyage vers les origines
perdues et retrouvées. Il s’agit en fait d’un retour aux sources afghanes pour Rahimi, dix-huit ans après avoir fui le pays. Un tel retour ne peut qu’indiquer la non-concordance entre l’image conservée de la terre natale et l’état présent du lieu. Le choc entre les deux images est donc de l’ordre d’une confrontation entre un paysage espéré et une destruction annoncée, mais dont Rahimi doit se faire le témoin. Dans ce contexte, le retour ne peut qu’être imaginaire, c’est-à-dire qu’il ne peut qu’évoquer une imagination tronquée, où il importe de laisser tomber les peaux et les rêves qui ont porté le narrateur. Faire ce voyage vers ce lieu habité d’espoirs et de rêves, c’est se dépouiller d’une illusion et faire l’épreuve du réel, situation propre à tous les migrants de la terre. Or, la composition du bouquin Le retour imaginaire échappe en partie à ce thème commun et central des écritures migrantes en optant pour une pratique photographique singulière, qui met de l’avant cette idée d’inadéquation du narrateur. Ainsi, les photos présentes dans le livre sont délibérément floues, hors cadre, en noir et blanc, prises à partir d’un appareil sur trépied
vétuste, qui ne permet pas de focaliser et qui ne sert qu’à prendre des images fixes. Le narrateur se promène avec cet appareil, il capte l’effervescence blessée de la ville avec un outil qui va en révéler l’histoire. Les images acquièrent alors un grain opaque, qui cache autant le monde vu qu’il ne le révèle, qui laisse encore une place aux fantasmes qui ont présidé à ce retour, sans pour autant dénier le réel observé. Photos de l’indéterminé, de l’inadéquation, les représentations qui constituent le livre de Rahimi parviennent à « faire revivre le sentiment que l’homme éprouve en regardant une cicatrice », blessure qui est bien celle de la mémoire tronquée et perdue du narrateur.
Le retour imaginaire devient alors le point de rencontre de multiples témoignages, le narrateur enregistrant les histoires des quidams croisés sur sa route et pris en portrait. Rahimi se fait le témoin d’une mémoire fragile, prend les mots des autres pour retrouver le fil de son existence : les récits de départs, de fuites, de cachettes pour éviter les violences, de refuge dans la musique tracent non seulement une sorte de poésie de la souffrance et de l’espérance à même les parcours muets de la foule, mais proposent une cartographie nouvelle, quartier par quartier, village par village, des déplacements provoqués par la guerre, par la violence. Et si l’œuvre de Rahimi est surtout portée par le cataclysme que représentent l’invasion soviétique et la guerre civile qui s’en est suivie, ce livre-témoin, par ses paroles et ses images, retrace, sans trop appuyer, l’histoire vécue de l’intérieur des premières années du XXIe siècle.
1. Atiq Rahimi, Terre et cendres, traduit du persan par Sabrina Nouri, P.O.L, Paris, 2000, 93 p. ; 19,75 $ et Folio, Paris, 2010 ; 7,95 $. Le roman a été adapté pour le cinéma par l’auteur et a obtenu le prix Regard sur l’avenir à Cannes en 2004.
2. Atiq Rahimi, Les mille maisons du rêve et de la terreur, traduit du persan par Sabrina Nouri, P.O.L, Paris, 2002, 202 p. ; 27,95 $.
3. Atiq Rahimi, Syngué sabour, Pierre de patience, P.O.L, Paris, 2008, 157 p. ; 29,95 $ et Folio, Paris, 2010 ; 12,95 $.
4. Atiq Rahimi, Le retour imaginaire, traduit du persan par Sabrina Nouri, P.O.L, Paris, 2005, 127 p. ; 51 $.
EXTRAITS
Tu sais, père, la douleur, soit elle arrive à fondre et à s’écouler par les yeux, soit elle devient tranchante comme une lame et jaillit de la bouche, soit elle se transforme en bombe à l’intérieur, une bombe qui explose un beau jour et qui te fait exploser… Le chagrin de Fateh le gardien [du pont], c’est un peu des trois à la fois. Quand il vient me voir, son chagrin s’écoule dans ses larmes mais, dès qu’il est seul dans sa baraque, il se transforme en bombe… Quand il sort et voit les autres gens, son chagrin devient lame.
Terre et cendres, p. 36-37.
Toute cette poésie que la terreur et l’oppression rendent inutile, je l’avais dissimulée au fond de mes yeux. Tout à l’heure quand le passeur nous a dit de regarder en arrière – et nous avons regardé et pleuré – les mots s’en sont allés avec les larmes. Ils ont glissé sur le sol. Ils ont disparu dans la neige. Sans eux, où que j’aille, je serai un étranger, plus étranger que les étrangers !
Le retour imaginaire, p. 12.
Tout ce que croise mon regard dans mon pays natal n’est que ruines et désolation, flammes et sang. Tout ce que j’entends du passé n’est que guerre et malheurs, vengeance, fratricides… Mais où donc est cette ville douce dont me parlaient ma mère, mon père, les voisins, les inconnus. Où est passé ce que j’en avais gardé en mémoire. Cette ville dont tout le monde parle et dont tu rêves, c’est une ville invisible, c’est une ville dont les désirs sont déjà des souvenirs.
Le retour imaginaire, p. 118-119.
Non. Moi, je sais encore qui je suis. Je sais que je m’appelle Farhad. Je suis le fils de Mirdâd et je suis né en 1337. Mon grand-père était un disciple de Dämollah Saïd Mostafa, que personne n’avait jamais vu, pas plus ma grand-mère que ma mère. Seul grand-père le connaissait. Le vendredi, quand il revenait de la mosquée, grand-père convoquait tous ses petits-enfants, allait chercher sous son coussin le Livre des morts de l’imam Ghazäli, et se mettait à nous raconter par le détail ce qui attend chaque homme dans la tombe. Nous avions peur, nous nous mettions à pleurer et à nous prosterner.
Les mille maisons du rêve et de la terreur, p. 63.
Je m’appuie contre l’embrasure. J’ai l’impression d’habiter cette maison depuis des années, de connaître Mahnaz depuis des années. J’ai l’impression que cela fait des années que Yahya m’appelle « père », des années que ma mère est repartie, des années que je veux partir et que je ne pars pas. Des années à demander à Mahnaz : Pourquoi ne partez-vous pas avec moi ?
Les mille maisons du rêve et de la terreur, p. 160.
Elle revient, la femme. Moins nerveuse. S’assied auprès de l’homme. Tout à l’heure, c’était le mollah. Il est venu pour notre séance de prière. Je lui ai confié que depuis hier j’étais devenue impure, que j’avais mes règles, comme Ève. Il n’a pas apprécié. Je n’ai pas compris pourquoi. […] Il est parti en grommelant dans sa barbe. Avant il n’était pas comme ça, on pouvait plaisanter avec lui. Mais depuis que vous avez proclamé cette nouvelle loi dans le pays, lui aussi il a changé. Il a peur, le pauvre.
Syngué sabour, p. 41.
Le soleil se couche.
Les armes se réveillent.
Ce soir encore on détruit.
Ce soir encore on tue.
Le matin.
Il pleut.
Il pleut sur la ville et ses ruines.
Il pleut sur les corps et leurs plaies.
Syngué sabour, p. 77-78.