Ces poèmes inédits sont extraits du recueil de poésie Amours/Mexico dont l’édition simultanée en français et en espagnol est en cours chez Mantis Editores (Mexique) et aux Écrits des Forges (Québec) sur une traduction de Silvia Pratt.
Après Positivos/Positifs paru en 2013, il s’agit de la deuxième traduction d’une de mes œuvres publiée chez les mêmes éditeurs.
À quinze ans, je suis entré en poésie avec un chant d’amour. Aujourd’hui, je la quitte sur le même ton, toujours fasciné par le mystère de son existence.
TON ANONYMAT
Je vois le Nord s’avancer
inexorable
Déjà il fige mon cœur transi
dans un seul cristal de glace
Pendant que tu épuises le silence
je suis seul à crier au Soleil blafard
de me donner un peu de ta chaleur perdue
puisque tu es partie avant le blizzard
sans même t’arrêter ni te retourner
pour répondre à ma détresse
alors que je te demandais seulement un dernier sourire
que j’aurais offert à la nature entière et en deuil
Sans même te retourner après tes adieux
tu as choisi ton pays et l’amour de ton pays
Tu as choisi la terre apocalyptique
au granit de mon pays soumis aux vents impétueux
où sont pourtant venues se fracasser
toutes les vies anciennes aujourd’hui disparues
granit que les milliards d’années n’ont fait qu’effleurer
où même l’érosion s’est arrêtée
avant de se figer dans mon cœur
C’est ainsi que sans toi dans ma fuite inédite
j’accompagnerai le froid jusqu’à ma demeure
aux fenêtres désormais ouvertes aux vents boréaux
Mais avant de retourner à ma patiente érosion
j’aimerais te montrer l’enfance émerveillée
qui naît chaque matin dans mes mots nouveaux
que tu finiras bien un jour par prononcer
quand viendra ton crépuscule
Car tu as refusé mes rêves
que je voulais partager avec ta beauté définitive
Ton crépuscule viendra
sans ombre et sans bruit
dans un parfait anonymat
Alors tu regretteras
ma poésie que tu as abandonnée
pour mieux conserver ta photo écornée
et oubliée dans un album perdu au grenier
Dans ton crépuscule enfin
tu rêveras encore à ma poésie
qui a réussi à échapper
à l’ennuyeuse course des planètes mortes
Avant ton dernier souffle
tu rêveras mes rêves
Oui
Tu rêveras mes rêves
mais tu ne pourras jamais les partager
avec tes enfants et les enfants de tes enfants
parce que je t’ai offert l’immortalité
tapie dans mes chants d’amour
immortalité que tu as sèchement refusée
pour mieux retourner la terre
qui gardera jalousement tes os avant ta poussière
Retourne à la mort
ô déesse que j’ai tant aimée
Retourne au silence et à la confusion
née des amours trop visibles
qui ont toujours été le lot de l’humanité en laisse
quand elle se réfugie
dans l’anonymat des villes furieuses
pour mieux contempler l’immensité
Le 23 novembre 2014.
TE CHERCHER OU PAS
Je vois tes pas dans la neige
Ainsi je te cherche
même si je ne marche plus
avec la confusion
Alors je me traîne jusqu’à l’horizon
où s’estompe le couchant
sous le soleil incessant des nuits boréales
Le vent se lève
Il établit son royaume
sur les ruines de ton absence
Il témoigne de la gravité
dans ton errance comme dans mes chutes
Maintenant la nature assiste à notre disparition
avec le silence qui avance
pour recouvrir ce qui ne peut pas exister
sans notre disparition
Ainsi
hier
après notre dernier baiser
ton amour reposait encore
intègre et altier
entre nos deux corps enlacés
Cet amour rayonnait la plus pure noblesse
Tandis que tu t’éloignais
je t’ai crié de me laisser
la coupe aux petits crânes menaçants
où nous avons versé si souvent le vin nouveau
celle que j’ai partagée avec toi et nos nuits d’insomnie
dans un lit étroit et bien défait
afin de combattre le froid
qui oblige à la chaleur des étreintes
Avant de disparaître
je t’ai demandé un peu du soleil de ta ville
car elle refuse toujours la nuit
sans les rires et sans les bruits
Maintenant dans ma maison de neige
je cherche ta lumière
qui enchantera un futur été aux couleurs éclatantes
sous un vent nouveau
soulevant le ciel jusqu’aux étoiles
Je sais
Je suis un étranger aux origines étranges
aux rudes reliefs où miroite toujours
la neige aveuglante ignorant l’origine de la lumière
Je sais
Dans mes saisons incessantes je voyage sous terre
commis-voyageur d’une planète éternelle
mais dépossédée de l’instant de la grâce
Je voyage sous terre
à la poursuite de mon ombre
tandis que tu marches avec le Soleil
Je sais
oui
je sais que j’habite des Enfers
où le premier et le dernier de mes pas
sont l’œuvre de vies interminables
J’habite des Enfers
dont la topographie n’a plus de secrets
pour le propriétaire de ma douleur
Mon amour
en ce lieu pour toi inconnu
je traîne de ridicules chaînes grinçantes
Mais en ce lieu j’oublie
seulement
mes blessures fondamentales
Je traîne surtout le souvenir de mes défaites
et les vieilles cicatrices
qui tracent le chemin de ma détresse historique
Et mes cicatrices sont si nombreuses
que la géhenne s’épuise à les scarifier
Mon amour
ma douleur n’excuse pas l’existence du réel
Sans ta présence espérée au bout de mes pas
je me perds dans la nuit
sans ombre et sans bruit
Le 26 novembre 2014.
ARGENTINE
Quand j’ai quitté ma terre vénale
les arbres brûlaient leurs dernières feuilles
sous le vent
dans le feu incessant du couchant
Sous peu la nuit militera pour le silence
Lentement
la nature entière s’éteignait avec mon cœur
Je me dissolvais
avant de me figer au retour du froid
comme une glace mince
sur laquelle on n’apprend pas à marcher
Déjà je portais le masque mortuaire
que j’étrennerai bientôt
au pied de la pyramide de la Lune
Dans l’avion
au-dessus des nuages
si près de l’empyrée
la planète se révélait égale à elle-même
parce qu’elle reçoit toujours les corps inachevés
pour les recycler en pauvres débris
incapables de s’envoler vers les étoiles
À ce moment
atterrir à Mexico
ne changeait rien à la réalité
de me consumer en vain dans une vaine immensité
Puis je t’ai vue au restaurant de l’hôtel
avec la rivière d’or de tes cheveux
et tes yeux oscillant entre le vert et le bleu
Nous avons échangé un vague sourire
tandis que je passais devant toi
toute en fleurs et en grâce
tandis que je cherchais une raison
de ne pas parler à mon cœur
Dès cet instant
ma belle Argentine
je suis tombé dans un labyrinthe de passions
où il n’y a pas d’autres issues que l’extase ou la mort
De nouveau je vibrais
De nouveau je frissonnais
sans la neige et le froid
Je vibrais d’un nouveau séisme
pour lequel
ici
il n’y a plus de secret
Maintenant je ne suis plus seul
à comploter avec ma solitude
Dans la profondeur de ton regard
je pourrais y perdre
la lumière noire de ma détresse
Et ce n’est pas un hasard
Il n’y a pas de hasard
Il n’y a que des yeux qui ne savent pas voir
Et je t’ai vue
Le 30 novembre 2014.