Pourquoi publie-t-on aujourd’hui comme hier tant de correspondances d’écrivains et d’artistes? Les éditeurs doivent bien escompter un bénéfice autre que celui, fort louable, de contribuer à une meilleure connaissance de leur œuvre. Mais pourquoi lit-on encore ces correspondances, datées, se référant à des circonstances qui nous sont souvent lointaines et étrangères? Ou de simples lettres qui ressortent maintenant des greniers écrites par des poilus de 14 englués dans leurs tranchées ou par des prisonniers de la Deuxième Guerre derrière leurs barbelés. Parfois même un papier griffonné par un déporté, dont l’existence même est miraculeuse et prend une valeur inestimable. Missives naïves, maladroites, pleines de phrases toutes faites mais combien émouvantes de ces inconnus qui souffrent, et dont les censures sourcilleuses veillaient à gommer tout renseignement un peu précis, toute réflexion un peu hardie.
Il y a les confessions adolescentes de Zola et Cézanne avant que nous ayons sous les yeux du plus consistant et des lumières nouvelles sur leurs relations. Notre curiosité indiscrète – pour ne pas dire un voyeurisme – est appâtée par Cocteau et Picasso, tous deux « sulfureux », dirait le jargon moderne. Las! Quelques remarques sur la création dans des commérages : nous en sommes pour nos frais…Mais combien est rafraîchissante la correspondance que, dans un contexte proche de nous, échange avec Hélène Pelletier-Baillargeon (parmi ses nombreux correspondants) Vadeboncœur confiant en toute liberté ses espoirs et ses doutes souverainistes qu’il n’aurait jamais pu livrer en public. Quelle qualité littéraire, quelle hauteur de vue dans les échanges de Romain Rolland avec Freud ou avec Zweig, tous épistoliers infatigables et inspirés! L’époque troublée et tragique, la guerre, la psychanalyse, l’écriture : rien de moins. Ces lettres ne sont plus des compléments et des accessoires documentaires, elles appartiennent aux œuvres respectives de leurs auteurs.
Si nous entrons ainsi dans l’intimité de deux êtres et de deux esprits créateurs qu’habite une passion, la lecture de ces correspondances diverses nous touche, nous émeut. Elle féconde notre pensée, nous hausse au-dessus du niveau habituel de nos préoccupations.