Lire Louise Portal ne se révèle pas tant une aventure littéraire qu’une incursion dans le parcours d’une femme à la recherche d’elle-même et de l’amour. Bien avant d’apparaître sur scène et sur les écrans, Marie Jeanne Louise Lapointe avait fait de l’écriture son moyen d’expression.
En effet, déjà à l’âge de quatorze ans, l’adolescente romantique confiait rêves et émotions à son journal intime. Depuis lors, un cahier l’accompagne où qu’elle aille, dans lequel elle décrit et analyse les variations de son climat intérieur. Écrire pour se comprendre, telle fut sa motivation première.
Quête de soi et de l’amour : autofiction
Dans la plus grande partie de l’œuvre de Louise Portal, qui compte huit publications à ce jour, subsiste la tonalité du journal intime, avec l’omniprésence du « je », les confidences et les états d’âme, voire la révélation de secrets de famille. Il en résulte une œuvre teintée du narcissisme obligé que représente la quête incessante de soi à travers les mirages de l’amour. Cinq des huit titres de Portal, bien que portant l’étiquette de roman, apparaissent plutôt comme des récits autobiographiques à peine transformés, de sorte que les recoupements d’une œuvre à l’autre permettent d’identifier des personnes et des faits réels. Le lecteur peu enclin au voyeurisme pourra en ressentir une certaine gêne.
Outre les romans, une pièce, Où en est le miroir ?1, écrite et jouée en collaboration avec Marie-Louise Dion, met en scène deux jeunes femmes qui se remettent en question ; par un dispositif scénique, au moyen d’objets symboliques, elles se dépouillent de leurs carapaces qui étouffent leur vrai moi. Quant au recueil de poésie, Portal en chansons2, il va sans dire que le lyrisme y domine avec l’évocation du mal à l’âme de la chanteuse. Reste Les mots de mon père3, consacré à la correspondance entretenue entre l’écrivaine et son père, Marcel Lapointe ou Portal, nom de plume que lui a emprunté l’aînée de ses filles.
D’Où en est le miroir ? à L’angélus de mon voisin sonne l’heure de l’amour4, dernier roman de l’auteure, le lecteur assiste à l’évolution d’une femme qui se cherche à travers les aléas de la passion, jusqu’à ce que, à quarante-trois ans, la rencontre de l’homme de sa vie lui apporte apaisement et sérénité. Que de cahiers elle aura remplis – où elle puise pour ses livres – à se raconter, à revenir sur son passé, à s’analyser ! Avec du recul, elle peut dire : « J’étais finalement devenue une actrice et, depuis plus de cinquante ans, ma vie se confondait avec celle de mes personnages. J’avais fini par me raconter à travers un scénario. J’imaginais ma vie comme un film ». Allusion à l’adaptation pour le cinéma de son premier roman, Jeanne Janvier5, que reprend la première partie de L’actrice6, intitulée « Jeanne Janvier : le film ». Double mise en abyme.
Des allers et retours, donc, sur la ligne du temps, entre les dix-huit ans de Jeanne Janvier, du roman éponyme, et la cinquantaine de Jeanne Duval, narratrice et personnage de L’angélus, dévoilent les étapes d’une quête. Les Jeanne se succèdent, celle de Jeanne Janvier, puis Jeanne Mercure de L’enchantée, Récit d’une quête7, Jeanne d’Arcy de L’actrice et enfin Jeanne Duval de L’angélus, derrière lesquelles se profile l’auteure, qui ne s’en cache d’ailleurs pas : « D’un personnage à l’autre, mes Jeanne se ressemblent. Sous le maquillage elles portent mon visage ». Jusqu’à la Jeanne Duval de L’angélus, la narratrice, écrivaine de son métier, en panne d’inspiration depuis le décès de son « cher amour » un an auparavant, qui trouvera l’occasion de se placer au centre du récit qu’elle dit pourtant inspiré par son nouveau voisin un peu mystérieux, Charles-Émile Jacques. Sur le point de succomber au désir amoureux, elle apprend qu’il est atteint du sida. N’empêche, une belle amitié va éclore. Or le récit, censé rendre hommage à Charles-Émile, en dit davantage sur la vie de l’écrivaine, bien que, prétend-elle, « [e]ntrer ainsi dans sa vie m’a permis de prendre du recul face à la mienne ». Néanmoins, l’auteure saura suggérer les tourments de l’homme, en le représentant copiant et recopiant le tableau d’un peintre français du XIXe siècle, de l’école de Barbizon : L’église de l’Angélus, de son homonyme Charles-Émile Jacque, tableau daté de 1859 et dont l’illustration se trouve sur la couverture du roman. Malgré la mort annoncée de Charles-Émile, il faut reconnaître que ce roman est empreint de sérénité là où l’action aurait pu devenir pathétique. Les propos tenus sur les ondes par Louise Portal nous autorisent à y voir le reflet de l’état d’apaisement dans lequel elle se trouve maintenant. Quoique, à la fin du roman, la nostalgie de la séduction pousse la veuve Jeanne à succomber au coup de foudre pour le fils de Charles-Émile.« L’amoureuse passionnée et romantique, que j’avais été dans ces lointaines années et que j’avais oubliée, la nuit dernière s’est ranimée. » Sauf que cette fois, il n’y a pas d’attente irréaliste. Son « cher amour » mort, elle croit qu’« [o]n ne peut vivre qu’une belle histoire d’amour ! On en traverse d’autres, tumultueuses, passionnées, sacrifiées, éprouvantes, mais de belles, il n’y en a qu’une. Une seule ! »
La recherche du père
En remontant aux sources de ses échecs amoureux, Louise Portal finit par reconnaître que, derrière chaque amant, c’est son père qu’elle cherchait, ce médecin, écrivain et peintre à ses heures, avec qui elle s’est découvert depuis son plus jeune âge des affinités et une complicité exceptionnelles. Le thème du père est récurrent dans l’œuvre de Portal, mais c’est dans Les mots de mon père que l’homme se révèle directement. Des années après la mort du Dr Marcel Lapointe, Louise Portal publie des lettres de son père et les commente, avec toute l’affection et l’admiration qu’elle lui voue toujours. Louise dira que leurs lettres étaient des lettres d’amoureux. « Je pris sans trop m’en rendre compte, la place d’une amoureuse. Nos lettres devinrent des lettres d’amour. […] J’avais connu un père, je découvrais un amant épistolaire. » D’ailleurs il lui demandera de ne pas lui écrire tant qu’il n’aurait pas pris les dispositions pour recevoir ce courrier ailleurs qu’à la maison. « Je t’écris comme si je parlais à ma maîtresse », écrit l’homme qui lui fait des confidences comme à personne d’autre, même s’il dit aimer et vivre en harmonie avec sa femme. Ainsi, c’est à sa fille que le père révélera le secret qu’il trouve trop lourd à porter : son orientation homosexuelle. L’image du père bienveillant revient sans masque presque dans tous les livres de l’auteure, sauf dans Cap-au-Renard8 où les traits de Jocelyn, surnommé le Renard, en font un personnage qui incarne le mal : buveur, incestueux, manipulateur et brutal.
Un roman : Cap-au-Renard
Seul roman de Louise Portal à la troisième personne, c’est aussi celui où la réalité est la plus transformée. On se retrouve cette fois dans un univers romanesque, qui peut même faire penser au conte, par le nom de certains personnages tels que Marie-Capucine, Mélodie, Harmonie, d’Artagnan, Joconde, Jonquille L’histoire non linéaire est racontée par un narrateur omniscient qui pénètre les consciences, y compris celles de fantômes, superstition entretenue par une rumeur sourde qui confère un climat irrationnel au mélodrame. L’espace romanesque nous transporte dans une Gaspésie dont la nature contribue à la dramatisation de l’action. En effet, Cap-au-Renard, avec ses beautés que n’égalent par leur intensité que les déferlements destructeurs, reflète les drames familiaux qui se perpétuent de génération en génération, jusqu’à ce qu’advienne le pardon guérisseur. Au cœur de l’intrigue, des personnages blessés, un père incestueux, des suicides, des secrets enfouis, une maison prétendument hantée, sans compter la réincarnation présumée d’esprits des lieux. Il en résulte une tonalité mélodramatique, à laquelle contribue le ton compassé de la narration. Cap-au-Renard, malgré des maladresses et des traces d’ingénuité, présente nombre d’attraits du roman populaire.
L’écriture
Le style, en raison d’une trop grande complaisance à l’égard du « moi », d’images attendues et d’une tendance à la sensiblerie, a quelque chose d’emmiellé qui nuit à sa qualité littéraire. Néanmoins, la plume de Louise Portal se révèle d’une grande fluidité. Une langue soignée, fleurie, et un riche vocabulaire courent de ligne en ligne et manifestent l’aisance. Un talent naturel, développé tôt par la pratique quotidienne du journal personnel, la lecture assidue et la fréquentation du monde des arts.
1. Où en est le miroir ?, en collaboration avec Marie-Louise Dion, Remue-ménage, Montréal, 1980.
2. Portal en chansons, Écrits des Forges, Trois-Rivières/Le Temps des Cerises, Pantin, 2001.
3. Les mots de mon père, Hurtubise HMH, Montréal, 2005.
4. L’angélus de mon voisin sonne l’heure de l’amour, Hurtubise HMH, Montréal, 2007.
5. Jeanne Janvier, Libre Expression, Montréal, 1981.
6. L’actrice, Hurtubise HMH, Montréal, 2004.
7. L’enchantée, Récit d’une quête, Québec Amérique, Montréal, 2001.
8. Cap-au Renard, Hurtubise HMH, Montréal, 2002.
Vient de paraître :
Ulysse et Pénélope, illustré par Philippe Béha, jeunesse, Hurtubise HMH, 2008.
EXTRAITS
Maudit soit le jour où j’ai eu ces illusions d’un amour non de femme à homme, mais de bête à bête. Mon ventre s’est dressé à la caresse mortelle. Mortelle car tout est mort à présent. J’étouffe et m’enlise, et toi tu ne caresses que les débris d’une jadis enfant.
Jeanne Janvier, p. 23.
[…] j’étais bercée par l’illusion. […] Je ne rencontrais pas un seul divan qui ne me déshabillait pas : je devins une courtisane des villes apeurée, délirante, sans cesse inassouvie.
Jeanne Janvier, p. 123.
Toute une grande partie de ma vie, sans que je le sache ou le comprenne, mes choix seront guidés par cette quête du père et celle, par la suite de l’Enchantée.
L’enchantée, Récit d’une quête, p. 29.
Dans mon mariage avec Philippe, je communie à la grande tradition de l’engagement pour la vie. Je vibre au credo du cheminement de la vie à deux, en vue d’une réalisation affective, spirituelle et créative.
L’enchantée, Récit d’une quête, p. 59.
Nous étions au milieu de la quarantaine quand nous nous sommes convertis à vivre non pas pour l’autre, mais avec l’autre.
L’enchantée, Récit d’une quête, p. 153.
Je drague l’amour, l’amour, l’amour
L’amour oublié, l’amour perdu
L’amour jamais trouvé, jamais connu
L’amour unique, impossible.
Portal en chansons, p. 19.
L’écume du désir s’était fracassé sur leurs sexes gonflés.
Cap-au Renard, p. 25.
Jocelyn avait depuis longtemps allumé le désir dans ce corps d’enfant, mais le plaisir demeurait muet.
Cap-au Renard, p. 42.
Les éléments se déchaînaient comme l’émotion au cœur de l’homme qui venait de s’éveiller dans la chambre du rez-de-chaussée.
Cap-au Renard, p. 114.
Chez nous, les naufragés du cœur se cachent derrière les portes des maisons et font semblant de vivre. […] Ici, les gens désespérés se fossilisent dans la roche gaspésienne. Sans argent, sans avenir. Ils boivent leur espoir et sniffent leurs rêves noirs.
Cap-au Renard, p. 182.
Sous le regard apparemment amoureux de mon réalisateur, chaque jour de tournage intensifiait mon attente et attisait mon désir. Prête à mourir d’amour comme une héroïne, j’étais sous l’emprise de la passion. Elle sera dévastatrice.
L’actrice, p. 21.
Mais je ne pouvais que lui donner l’amour d’une fille pour son père. Mon besoin de fusion est resté inassouvi.
L’actrice, p. 64.
Je sui née d’un homme splendide. Mon âme nouée à la sienne a grandi dans le secret de nos confidences, dans notre soif d’absolu.
Les mots de mon père, p. 170.
Je me déguise certains soirs en courtisane mais j’ai du mal à aimer.
Les mots de mon père