Deux essais parus fin 2010 traitent du conservatisme au Québec et du gouvernement conservateur de Stephen Harper, qui dirige le Canada depuis 2006. Le conservatisme au Québec, Retour sur une tradition oubliée1 est un ouvrage de Frédéric Boily, professeur de science politique à l’Université de l’Alberta. Et, Contre Harper, Bref traité philosophique sur la révolution conservatrice2 a été écrit par Christian Nadeau, professeur au Département de philosophie de l’Université de Montréal.
Frédéric Boily s’est déjà intéressé au même thème dans La pensée nationaliste de Lionel Groulx, en 2003, Stephen Harper, De l’École de Calgary au Parti conservateur, Les nouveaux visages du conservatisme canadien, en 2007, et Mario Dumont et l’Action démocratique du Québec, Entre populisme et démocratie, en 2008. Dans son dernier essai, il soutient que, contrairement à la croyance répandue, « la Révolution tranquille [n’a pas] définitivement balayé le conservatisme ». Au contraire, affirme-t-il, « ce courant est une donnée incontournable de l’histoire intellectuelle et politique [du Québec] du XXe siècle ».
Avant 1960, et particulièrement pendant les années 1930 et 1940, on s’accorde aisément pour reconnaître la prédominance des idées conservatrices au Québec. On parle même de « grande noirceur » pour qualifier cette époque marquée par Maurice Duplessis et son parti, l’Union nationale. Les idées des conservateurs sont ancrées dans la tradition, ce qui fait que ceux-ci sont élitistes et préconisent l’acceptation de l’ordre social existant. Ce dernier point les distingue des fascistes, qui favorisent la révolution et l’établissement d’un ordre nouveau, au besoin par la violence.
L’idéologue traditionaliste et conservateur par excellence à cette époque était assurément l’abbé Lionel Groulx. Frédéric Boily affirme que « [c]ertains titres de ses ouvrages les plus significatifs sont […] éloquents à [l’]égard [de ses convictions], pensons à Notre maître, le passé, mais aussi à Orientations et Directives où se trouve l’idée, chère aux conservateurs catholiques, de la nécessité d’avoir des élites pour assurer la direction intellectuelle de la société ».
Après la Révolution tranquille, le conservatisme s’est fait plus discret au Québec, sans toutefois disparaître. Frédéric Boily parle de « conservatisme tranquille ». Il décèle des traces d’idées conservatrices dans les écrits de certains penseurs réputés de cette période, comme Fernand Dumont et Léon Dion. Le parti du Ralliement créditiste du Québec, fondé en janvier 1970, a été une autre manifestation, assez éphémère, de valeurs conservatrices.
Plus récemment, l’arrivée de l’ADQ sur la scène politique marque un certain retour à des valeurs plus conservatrices. « La lutte contre ce qui est perçu comme une trop grande intrusion de l’État dans la vie économique québécoise est en effet au cœur du discours adéquiste, et ce, dès les premiers moments de la fondation de l’ADQ », écrit Boily, qui poursuit : « L’idéologie du parti de Mario Dumont relève [donc] bien du néolibéralisme conservateur ». C’est là qu’il rejoint le Parti conservateur du Canada de Stephen Harper, dont traite Christian Nadeau dans son récent essai. Le moins que l’on puisse dire est que celui-ci est loin d’apprécier les politiques et la philosophie de Harper et de son parti. Ainsi, il débute son ouvrage en écrivant : « Comme bon nombre de gens vivant au Canada, j’ai honte du gouvernement actuel. J’ai honte, et je suis consterné par toutes les actions qui ont été commises en notre nom et qui continueront de l’être ». Il ajoute : « L’élection des conservateurs en 2006 pourrait être comparée à une tumeur primaire. Il faut agir avant le développement de métastases qui empêcheront tout espoir de rémission pour notre société ». Christian Nadeau reproche aux conservateurs de Harper de mener « une entreprise réfléchie et très bien organisée contre la justice et la démocratie telles que nous les avons conçues jusqu’ici ».
D’abord, le gouvernement Harper veut poursuivre les diminutions de taxes, réduire la dette, déréglementer et privatiser, ce qui est, en majeure partie, déjà réalisé. Mais il veut également s’attaquer au « pluralisme des valeurs, des opinions et des idées [qui] est une caractéristique intrinsèque de nos démocraties contemporaines ». L’auteur dénonce les mesures prises par les conservateurs qui témoignent de leur parti pris contre, notamment, l’homosexualité, l’avortement, les droits des femmes, l’équité salariale, l’aide aux plus démunis, la protection de l’environnement.
Par ailleurs, si les conservateurs préconisent l’intervention minimale du gouvernement dans la sphère sociale et dans la répartition plus équitable des richesses, il n’en est pas de même en ce qui a trait à la sécurité, à l’application de la justice et aux dépenses militaires. Les budgets dans ces derniers domaines ont été largement augmentés depuis la prise de pouvoir des conservateurs.
Les méthodes « abusives » utilisées par le gouvernement conservateur afin de s’accrocher au pouvoir et d’imposer ses vues sont également dénoncées dans Contre Harper. Le recours, à deux reprises, en octobre 2008 et de décembre 2009 à mars 2010, à la prorogation du Parlement est une tactique qui « montre à quel point nous ne sommes pas protégés contre les formes d’autoritarisme et d’abus de pouvoir », estime Christian Nadeau.
En somme, dans Le conservatisme au Québec et Contre Harper, Frédéric Boily et Christian Nadeau tracent un portrait du conservatisme au Québec et au Canada qui, après une éclipse partielle de quelques décennies, a repris des forces ces dernières années, mais de façon plus marquée à l’échelle fédérale.
1. Frédéric Boily, Le conservatisme au Québec, Retour sur une tradition oubliée, Presses de l’Université Laval, Québec, 2010, 135 p. ; 19,95 $.
2. Christian Nadeau, Contre Harper, Bref traité philosophique sur la révolution conservatrice, Boréal, Montréal, 2010, 166 p. ; 19,95 $.
EXTRAITS
[…] nombreux sont les conservateurs qui ont fait valoir que les électeurs ne disposaient pas des lumières nécessaires pour effectuer un choix éclairé. L’idée que tous soient en mesure de participer à la vie publique, et encore plus de gouverner, paraît inacceptable, notamment si l’on considère que les talents sont inégalement répartis chez les individus.
Le conservatisme au Québec, p. 23.
Ainsi, le régime duplessiste fait la promotion d’une conception de la collectivité nationale comme étant traditionnellement rurale tout en luttant contre les « étrangers », témoins de Jéhovah, communistes et syndicalistes. La grève de l’Amiante, qui survient en 1949 et qui sera sévèrement réprimée par les forces de la Police provinciale, est une autre preuve de l’intolérance montrée par le régime à l’égard des mouvements jugés étrangers à la conception traditionnelle du Québec.
Le conservatisme au Québec, p. 99.
Selon un classement des Nations Unies en 2009, le Canada occupe le vingt-cinquième rang en matière d’avancement des droits des femmes, alors qu’il était au cinquième rang en 2005. Belle dégringolade !
Contre Harper, p. 94.
Selon la logique libertarienne des conservateurs, toute redistribution des biens est une manière pour la société dans son ensemble de porter atteinte à ce qui revient de droit aux individus, d’où leur opposition farouche à une augmentation des impôts et leur volonté de les réduire au niveau le plus bas possible.
Contre Harper, p. 102.