La parution, la même année, de la biographie de Gabrielle Roy, par François Ricard1, et de l’édition critique de Marie-Didace, par Yvan G. Lepage2, nous amène à réfléchir un moment sur deux écrivaines incontournables de la littérature québécoise dont les destins s’étaient déjà croisés plus d’un demi-siècle plus tôt.
Nul n’ignore en effet que Gabrielle Roy est l’auteure internationalement connue de Bonheur d’occasion, apparu en librairie en juin 1945, avec le succès que l’on sait. Et c’est le 7 avril précédent, on se le rappellera peut-être, que Germaine Guèvremont lançait son célèbre Survenant, dont Marie-Didace allait constituer la suite deux ans plus tard. Ainsi, à quelques semaines d’intervalle, deux Québécoises, déjà connues du public lecteur, ont publié un roman important qui est demeuré leur plus beau titre de gloire.
Gabrielle Roy, un caractère
François Ricard n’a pas fait les choses à moitié en rédigeant la biographie dont Gabrielle Roy lui avait en quelque sorte soutiré la promesse. Il s’acquitte ici, en effet, du « pacte » implicite qui le liait à l’auteure après avoir commencé son livre « [p]resque à [son] corps défendant ». Pour cela, il a consulté une masse énorme de documents, entre autres une vaste correspondance et des tas d’archives dont la bibliographie qui clôt l’essai fait du reste état. En des chapitres équilibrés et souples, François Ricard suit Gabrielle Roy pas à pas depuis l’établissement de ses parents – Québécois d’origine – au Manitoba, à la fin du XIXe siècle, jusqu’à la mort de l’écrivaine, en 1983, et à celle de son mari, le docteur Marcel Carbotte, en 1989.
L’espace manque ici pour résumer, ne serait-ce que sommairement, « une vie » dont les événements littéraires, plus que proprement historiques, ont été marquants. Se dégage surtout de cette quête fort poussée le portrait d’une femme chez qui on découvre une ambivalence fondamentale : Gabrielle Roy semble avoir constamment réuni les contraires. Elle aime par exemple briller en société et être le centre d’intérêt de son entourage ; mais quand le succès l’atteint, sa santé est grandement affectée par les obligations que lui impose la gloire, et l’auteure va jusqu’à se faire représenter pour la réception des honneurs qui lui sont décernés. De même, Gabrielle Roy a sans cesse recherché son indépendance, elle a fui pour cela toute forme d’attache, y compris les liens amoureux, de façon à se consacrer à son œuvre de toute la force de son être, et son besoin de solitude éclate à chaque chapitre ; mais en même temps elle n’a jamais pu vivre seule, ayant toujours eu besoin de personnes protectrices auprès d’elle – peu d’hommes, beaucoup de femmes – pour s’occuper de ses affaires et lui apporter « l’aide et l’affection qui lui [faisaient] cruellement défaut ». Jeune fille, la future auteure de Bonheur d’occasion n’aimait pas « les jeunes Canadiens français, qu’elle trouv[ait] plutôt vulgaires et de peu d’envergure » ; elle n’en épousa pas moins, en août 1947, Marcel Carbotte, fransasquois d’origine (né, il est vrai, de père belge et présentant une « allure – à la française –»). Certains exemples de largesses matérielles contrastent encore fortement avec la « générosité […] mesurée » dont Gabrielle Roy faisait preuve, allant jusqu’à demander à ses rares invités de Petite-Rivière-Saint-François d’ « apporter leur pique-nique » : « le chalet [n’était] guère accueillant aux visiteurs », commente François Ricard.
Il faut dire ici que l’écrivaine provient d’une famille plutôt besogneuse, malgré l’aisance relative qu’elle connut au temps où le père, Léon, était maître de poste et interprète dans l’Ouest canadien. « L’argent [était] une véritable obsession chez les Roy » et les « tempêtes parentales », les « rivalités fraternelles » et les « chicanes familiales » étaient « monnaie courante », écrit François Ricard. S’il n’y a rien là d’exceptionnel en soi, grande est néanmoins la surprise de voir le contraste frappant entre, d’une part, la réalité biographique des continuels tiraillements familiaux et d’une récurrente « atmosphère de discorde » et, d’autre part, l’humanité oh ! combien généreuse qui jaillit à chaque page de l’œuvre régienne, en particulier dans les récits de Ces enfants de ma vie (1977).
Je rejoins ici les judicieux propos de François Ricard qui a bien décelé, dans La détresse et l’enchantement (1984), dont le seul titre est déjà fort révélateur, « la polarisation thématique entre l’euphorie et la souffrance, l’élan et la chute, la confiance et le regret, c’est-à-dire la saisie de soi comme conscience divisée, déchirée, n’arrivant nulle part à se reposer et ne trouvant sa vérité que dans cette oscillation même ». Le biographe ajoute avec non moins de justesse : « Cette forme de cyclothymie à la fois psychologique et métaphysique définit depuis toujours le tempérament de Gabrielle, y compris à ses propres yeux. » Et le biographe d’appuyer ce qu’il avance sur les dires mêmes de Gabrielle Roy en 1930, en 1972 et en 1973, avant de conclure : « Mélange du sombre et du clair, de la souffrance et de l’émerveillement, du remords et du contentement, la prise de conscience et l’acceptation de cette impossible résolution des tendances contraires de son esprit et de sa sensibilité constituent l’un des moteurs les plus puissants de [son] entreprise autobiographique […] ».
Gabrielle Roy et sa famille
C’est par ailleurs avec un tact, une intelligence et une lucidité hors du commun que François Ricard tire profit des nombreux documents convoqués. Il tait par exemple le nom du psychiatre qui a déclaré Clémence, une sœur de Gabrielle, atteinte de « démence sénile », mais dévoile celui du confrère qui renversa ce diagnostic erroné. De même, Gabrielle Roy aura beau écrire en 1976 qu’elle s’ « inquiète très peu de l’argent », ni Ricard ni les lecteurs ne sont dupes de ce « détachement à l’égard des choses matérielles » qui se marie mal avec certains comportements de la célèbre romancière. Comme dans le cas de la cyclothymie de Gabrielle, le biographe glisse également sans appuyer sur l’homosexualité du docteur Carbotte : cette révélation, car c’en est une à coup sûr, aurait pu sous une autre plume faire l’objet de propos sensationnalistes et être accompagnée d’anecdotes juteuses. François Ricard évite ces pièges. Il aurait pu en profiter aussi pour rétablir systématiquement la vérité relativement aux propos haineux, jaloux et mensongers qu’une autre sœur, Adèle, a tenus toute sa vie sur le compte de Gabrielle : il ne se pose pas plus en justicier de la romancière qu’en hagiographe, se bornant à laisser parler les faits.
En évoquant ici le souvenir d’Adèle, qui était de surcroît la marraine de Gabrielle et qui était la seule des enfants de Léon Roy et de Mélina Landry encore vivante, à 103 ans, au moment où François Ricard parachevait sa biographie, on ne peut s’empêcher de rappeler les dérangeantes lettres que l’auteure écrivit à Bernadette, sa sœur préférée celle-là, entrée dans la congrégation des religieuses des Saints Noms de Jésus et de Marie, sous le nom de sœur Léon-de-la-Croix. Les « Lettres à Bernadette », publiées en 1988 sous le titre Ma chère petite sœur3, nous renseignent directement sur le drame déchirant que vécut Gabrielle Roy lorsqu’Adèle décida de déposer un tapuscrit d’une cinquantaine de pages aux archives du Centre de documentation des lettres canadiennes-françaises de l’Université de Montréal. François Ricard dit de ce texte, en citant Adèle, qu’il « est une charge en règle contre Gabrielle, dont il s’agit de – démasquer – la véritable personnalité en racontant – sans complaisance – l’histoire de sa vie et de ses rapports avec les membres de sa famille. Tout y passe : les caprices de l’adolescente, la pingrerie de la jeune femme en mal de gloire, l’abandon de la vieille mère miséreuse, la relation louche avec Henri Girard et, bien sûr, le pillage éhonté des écrits de sa propre sœur, la narratrice, qui n’agit jamais, elle, que poussée par la vertu la plus stricte et le désintéressement le plus pur ». Avec sa délicatesse (et aussi sa prudence) exemplaires, François Ricard apportera peu de faits à l’appui ou à l’encontre de cette charge, et on en apprend encore moins dans Ma chère petite sœur. Le biographe laisse ressortir ailleurs la mesquinerie et la jalousie d’Adèle, avec mesure cependant, tout en disant de Gabrielle que « le miroir que sa sœur lui tend montre un visage qu’une partie d’elle-même ne peut pas ne pas reconnaître, le visage de l’ambitieuse, de l’enfant choyée qui a fui sa famille, de la fille qui a abandonné sa mère et s’est faite orpheline pour arriver à ses fins ».
Il faut de plus faire état de la grande modestie de François Ricard quand il évoque les fonctions de secrétaire, puis d’agent littéraire ou de fondé de pouvoir, qu’il a tenues auprès de Gabrielle Roy, à partir de 1973, moins par goût que par admiration et « dévotion ». Le biographe aurait pu se donner le beau rôle. Il aurait pu s’attribuer par exemple le succès de De quoi t’ennuies-tu Évelyne ? (1982), dont il nous révèle aujourd’hui qu’il l’a tout récrit lui-même. François Ricard demeure effacé et discret, préférant laisser la place au sujet premier de son livre. « L’idée de publier sous son nom un texte récrit par moi, et donc de confondre les critiques, lui paraissait amusante », se contente-t-il de dire.
Intermède édition
Un important détail vient cependant gâter le plaisir de la lecture de ce livre imposant, et je me hâte de dire que François Ricard n’en est nullement responsable (que je sache) : il s’agit de l’incessante et difficile consultation des notes, qui ont été regroupées en fin de volume et dont le biographe nous avertit sans broncher que le « nombre et le contenu […] ont été réduits à l’essentiel ». Or il faut interrompre pas moins de 1 265 fois sa lecture pour prendre connaissance d’autant de notes, réparties par chapitres sur 69 pages ! Ces allers-retours ajoutés aux 646 pages du livre et 32 pages de photos hors-texte constituent un joli total de 1 911 manipulations qui viennent augmenter celles qui découlent de la relecture de certains passages.
Germaine Guèvremont
Un tel déplaisir ne survient jamais à la lecture de l’édition critique de Marie-Didace, que publie Yvan G. Lepage, après avoir signé celle du Survenant, en 19894. Les notes, infrapaginales celles-là, sont de consultation rapide et aisée, tout comme est efficace l’appareil d’établissement de texte qui accompagne le récit.
Il faut souligner ici d’entrée de jeu la minutie de l’éditeur critique, qui s’est fait un devoir de lire les différents avant-textes, versions, éditions et autres publications partielles antérieures pour en arriver à donner au lecteur un texte sûr du deuxième et dernier roman de Germaine Guèvremont. Yvan G. Lepage a su également tirer un profit intelligent et lucide des documents qu’il avait à sa disposition, notamment de la vaste correspondance que l’auteure a tenue avec Alfred DesRochers et qui éclaire la genèse du roman.
Le poète d’À l’ombre de l’Orford (1929) fut en effet « l’inspirateur », voire « le père spirituel » du personnage du Survenant, comme le dit Yvan G. Lepage. Germaine Guèvremont s’adresse à Alfred DesRochers en l’appelant effectivement « Cher Survenant », autant, du reste, que « Cher père Didace », dévoilant par là une ambivalence – Yvan G. Lepage parle d’ambiguïté – révélatrice. Comme Gabrielle Roy mettant à profit sa propre existence pour écrire son œuvre de fiction, l’auteure deMarie-Didace signe elle-même la plupart de ses lettres au poète du nom de « Marie-Amanda ».
Yvan G. Lepage accompagne le texte qu’il établit, non seulement des nombreuses variantes (ou « leçons »), comme le veulent les lois précises et désormais reconnues par la gent littéraire du protocole du Corpus d’éditions critiques, mais aussi d’une foule d’annotations permettant de situer l’action du roman dans l’espace et dans le temps, d’expliquer telle tradition, telle coutume ou telle expression, de faire le lien avec Le Survenant… De pertinents appendices, une partie intitulée « Notes linguistiques et glossaire », une bibliographie exhaustive et une chronologie révisée et sans doute définitive complètent ce livre magnifiquement fait, que ne viennent déparer au surplus aucune coquille ni aucune anomalie d’importance.
Cela dit, l’excellent travail de l’éditeur critique ne peut donner à Marie-Didace la qualité littéraire que le roman n’a pas et que l’on trouvait dans Le Survenant, premier volet du diptyque. L’intitulé même de ce second roman, d’ailleurs, est-il bien pertinent quand on constate que la première des deux parties du récit – totalisant 173 pages, par rapport à 85 pour la suivante – se passe avant l’arrivée en scène du personnage en titre ? Germaine Guèvremont aurait-elle écouté son propre personnage, l’imposant père Didace, exhorter sa belle-fille enceinte à poursuivre la tradition onomastique familiale : « Appelle-la Didace, Didace. T’entends Phonsine » ?
On remarque aussi, à partir de la courte deuxième partie, une accélération soudaine – voire brusque, brusquée même – du temps romanesque. Dans la première, moins d’un an se passe, d’octobre 1910 jusqu’à l’accouchement de Phonsine, la mère de Marie-Didace, en avril 1911. L’enfant une fois née, au début de la seconde partie, plus de six ans passent, marqués par une série de catastrophes qui trahissent la présence d’un deus ex machina un peu voyant et un peu gênant. Durant cette « descente aux enfers », comme le dit Yvan G. Lepage (parlant cependant du roman au complet), pas moins de trois personnages centraux meurent : Amable, le père Didace et l’Acayenne ; Phonsine elle-même, qui s’est blessée à la tête en tombant, par défaillance, « est p’us la même personne ». Voilà qui détonne sur le calme pour ainsi dire plat des chapitres précédents. Jusque-là, du reste, la romancière le disputait à l’informatrice folklorique, continuant ainsi la longue tradition des romans terriens.
On note en effet dans Marie-Didace plusieurs observations concernant les mœurs électorales, notariales, agraires…, et souvent le roman réunit les personnages aux seules fins de les plonger dans des activités traditionnelles communes, telles la corvée de savon, la corvée de piquage de courtepointes, les préparatifs culinaires d’une noce, la noce elle-même qui dure deux jours, etc.
L’écriture Guèvremont
Ces cheminements narratifs variés et plus ou moins bien intégrés au récit découlent sans doute du mode d’écriture de Germaine Guèvremont, que l’on pourrait appeler la méthode de la tache de peinture ; c’est l’auteure elle-même qui nous amène à faire cette comparaison dans une lettre à Alfred DesRochers, à l’appréciation duquel elle soumet des pages du roman alors en gestation : « Comme vous voyez je saute d’une île à l’autre et je ne puis vraiment vous envoyer [que] ce que vous appelleriez des taches de peinture mais j’ai – l’état de grâce du romancier –. » Yvan G. Lepage ajoute que « la romancière a maintes fois déclaré qu’elle composait un livre à la manière de l’artiste peignant sa toile ». Dans une entrevue accordée à Rosaire Dion-Lévesque, en 1950, elle déclarait : « Pour ma part je pourrais dire que j’emploie le procédé d’un artiste-peintre… je veux dire, que ce dernier ne commence pas toujours son tableau dans un coin spécifique de la toile, mais n’importe où, là où sa fantaisie le pousse ou son inspiration le commande… au beau milieu, au bas, n’importe où sur la toile. C’est ainsi que j’écris constamment des paragraphes, même des chapitres entiers, détachés, et qui plus tard trouvent place dans la trame de mon roman. » Qui plus est, Yvan G. Lepage nous apprend en « Avant-Propos » que Germaine Guèvremont « a eu tendance […] à négliger le texte deMarie-Didace, qu’elle n’a pour ainsi dire jamais retravaillé, alors que, quelques mois encore avant sa mort, elle revoyait et corrigeait consciencieusement Le Survenant ». Voilà qui explique peut-être aussi l’indécision de Germaine Guèvremont quant à certains aspects du langage populaire de ses personnages, hommes ou femmes. Ici on lit par exemple des phrases comme « Elle souffre-ti, pensez-vous ? », « La France en regagne-ti ? », « Quiens ! La v’là-ti qui s’emmalice à c’t’heure ? », « Je la trouve-ti pas effalée dans sa chaise […] », « Je te l’avais-ti prédit, hier ? ». Là, par contre, on a des « C’est-il bon ? », « C’est-il dans la petite rue ? », « Jeudi ça adonnerait-il ? », « C’est-il l’hiver, quoi ? », « On en a-t-il encore pour longtemps ? », « C’est-il le canot [du] Survenant […] ? »… Dans ses « Notes linguistiques et glossaire », Yvan G. Lepage relève ces emplois et les décrit simplement en termes de « [g]énéralisations de -ti (écrit ti ou t-il) comme particule interrogative ».
À plusieurs reprises l’éditeur critique doit même corriger des erreurs ou des impropriétés flagrantes : « s’égaillaient » pour « s’égayaient », « se dispersèrent » pour « s’éloignèrent », « faverolle » pour « ‘faverole’ (ou ‘féverole’) », « par deux étrangers » pour « par les deux étrangers ». En page 295, à la fin d’une longue note explicative, le méticuleux Yvan G. Lepage doit bien conclure : « C’est donc par inadvertance que Germaine Guèvremont montre ici l’Acayenne – occupée à coucher les plants de tomates – en plein mois d’août », parce que le repiquage desdits plants se fait « traditionnellement fin juin ou début juillet ». Tous ces détails laissent à penser que Germaine Guèvremont n’a peut-être pas, en effet, traité Marie-Didace avec le même soin que Le Survenant, « auquel alla toujours sa préférence ».
Gabrielle Roy et Germaine Guèvremont
Gabrielle Roy et Germaine Guèvremont se voient donc réunies de façon posthume en 1996, après avoir été en même temps sous les feux de la rampe en 1945. Entre ces deux dates, le nom des deux auteures fut également associé à quelques reprises, comme le montre la bibliographie très détaillée de Marie-Didace.
Yvan G. Lepage mentionne d’abord un article anonyme paru dans Le Devoir du 19 avril 1965 sous le titre « Cinq hommes nous racontent leurs souvenirs sur nos deux plus prestigieuses romancières : Gabrielle Roy et Germaine Guèvremont ». Puis il inclut un article de près d’une quinzaine de pages de Mary Jean Green dans le numéro 3 du premier volume de 1979 du Journal of Women’s Studies in Literature : « Gabrielle Roy and Germaine Guèvremont : Quebec’s Daughters Face a Changing World ».
François Ricard précise pour sa part que l’auteure de Bonheur d’occasion lisait les « écrivains canadiens-français de sa génération (André Langevin, Yves Thériault, Claire France, Anne Hébert, André Giroux, Léo-Paul Desrosiers, Alain Grandbois, Germaine Guèvremont) ». Il nous apprend aussi que Gabrielle Roy et Germaine Guèvremont ont publié des nouvelles dans La Revue moderne au temps où Henri Girard, qui fut le mentor de Gabrielle Roy, en était le directeur littéraire. Par les bibliographies des deux livres, on peut voir en outre que les deux auteures ont fourni des textes à d’autres périodiques communs : La Revue populaire, Le Samedi, Châtelaine, les Cahiers de l’Académie canadienne-française, Amérique française et Le Devoir. L’une et l’autre docteures honorifiques de l’Université Laval, elles ont de même reçu des distinctions similaires : le Prix Duvernay de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (Gabrielle Roy en 1956 et Germaine Guèvremont en 1945), la médaille de l’Académie canadienne-française (en 1946 et 1947 respectivement), le Prix David de la province de Québec (en 1971 et 1946) et le Prix du Gouverneur général du Canada (trois fois pour Gabrielle Roy, en 1947, 1957 et 1978, et une fois pour Germaine Guèvremont, en 1951).
Mais plus intéressants encore sont les rapports réels entretenus par les deux femmes. À cet égard, François Ricard fait d’abord allusion à leur rencontre, en 1960, au cours d’une soirée chez Cécile Chabot, une amie poète très proche de Gabrielle. « Par la suite », poursuit Ricard, « les deux romancières s’écrivent quelques lettres* et se rencontrent à deux ou trois reprises, soit au chenal du Moine, soit à Québec. En septembre 1967, elles passent quatre jours ensemble à l’île aux Coudres, où Germaine est avec – son bon compagnon, Louis Pelletier – . L’année suivante, Gabrielle se rend à Sorel pour les funérailles de son amie, puis accepte de rédiger l’éloge de – Germaine Guèvremont, 1900-1968 – pour les publications de la Société royale du Canada**. Évoquant les confidences que lui a faites la disparue, elle y souligne à quel point Germaine Guèvremont, au cours des années – où il lui fallut […] délaisser, au profit de la télévision, ce qui s’appelle à proprement parler écrire, […] souffrit du sentiment d’une culpabilité constante, harcelée par la pensée de n’avoir pas accompli tout ce qu’elle aurait dû – ».
Notons que toutes les deux étaient membres de la Société royale du Canada, depuis avril 1947 pour Gabrielle Roy et avril 1962 pour Germaine Guèvremont.
L’année 1996 aura donc fait se recouper une fois de plus le destin de deux romancières exceptionnelles que tout oppose, sauf le réalisme descriptif, mais dont l’œuvre la plus connue est aujourd’hui à bon droit considérée comme un « classique québécois ».
1. Gabrielle Roy, Une vie, Biographie, par François Ricard, Boréal, Montréal, 1996, 646 p. ; 44,95 $.
2. Marie-Didace, par Germaine Guèvremont, édition critique par Yvan G. Lepage, « Bibliothèque du Nouveau Monde » , Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 1996, 446 p. ; 46 $
3. Ma chère petite sœur, Lettres à Bernadette, 1943-1970, par Gabrielle Roy, édition préparée par François Ricard, Boréal, Montréal, 1988, 261 p.
4. Le Survenant, par Germaine Guèvremont, édition critique par Yvan G. Lepage, « Bibliothèque du Nouveau Monde » , Les Presses de l’Université de Montréal, 1989, 367 p.
* La bibliographie de François Ricard situe cette correspondance entre 1961 et 1967, et le biographe classe Germaine Guèvremont parmi les « correspondants […] dont les lettres sont les plus abondantes et les plus intéressantes ».
** Sous des entrées bibliographiques quelque peu différentes, Yvan G. Lepage (p. 440) et François Ricard (p. 604) recensent ce texte de cinq pages de Gabrielle Roy.