La maison parisienne Opium publiait l’automne dernier le grand poète belge de langue française Werner Lambersy. Celui-ci recevait en 2015 les prix Mallarmé et Pierrette Micheloud pour La perte du temps, recueil influencé par les philosophies orientales, tout en silences, dirait-on, tant il a l’art de laisser de petits trous entre les vers.
Lambersy écrira en outre à propos du livre primé : « On n’aura pratiqué dans ce recueil que les contraintes d’écouter et de rendre, sur un maigre instrument, la partie du souffle qui, comme le vent dans les arbres, tutoie les feuilles avant d’en emporter plus loin le frisson ».
C’est de la même manière toute guillevicienne que Werner Lambersy évoque dans Escaut ! Salut / Schelde ! Gegroet1 le fleuve qui traverse une partie de la Belgique, de sa frontière avec la France, au sud-ouest, jusqu’à Anvers, lieu de naissance du poète. L’Escaut y est rappelé avec dépouillement : on croit entendre, à travers les mots, les méandres du fleuve, mais aussi le paysage qui l’entoure et les êtres qui y vivent.
Le recueil se présente comme un itinéraire. Ainsi s’arrête-t-on d’abord à Antoing, là où « [d]e quelque côté que / tombent les choses / la ligne reste droite », puis à Tournai, à Audenarde (Oudenaarde, en néerlandais), et dans d’autres villes aux noms fort inspirants tel Termonde (Dendermonde), où l’on voudrait « que le poème / puisse parler au / vent qui ne comprend que le vent // que le chant puisse chanter la mort / qui ne comprend que / la mort / et cependant / il faut finir le mot mouette / au-dessus de nos cris ».
Dans des vers courts et rythmés, Lambersy nous offre des métaphores à la fois puissantes et sobres, enracinées dans le paysage. Le poète, bien que recréant en quelque sorte sa propre naissance, s’efface ici pour faire parler le ciel, l’eau, les arbres, la brique des maisons, les oiseaux. Le temps qui passe, mais aussi la continuité entre les choses ou les époques, voire leur immuabilité sont comme un arrière-pays aux poèmes, habités d’abord par la matière et le quotidien.
Opium éditions fait aussi paraître un tiré à part comprenant des extraits d’Escaut ! Salut accompagnés de belles photographies en noir et blanc de Romain Mallet.
1. Werner Lambersy, Escaut ! Salut / Schelde ! Gegroet, édition bilingue français-néerlandais (trad. du français par Guy Commerman) et Werner Lambersy et Romain Mallet, Escaut ! Salut, Opium, Paris, 2015, coffret de deux livres, 123 p. et 60 p.