L’ironie veut que cette anthologie de textes républicains1 surgisse au moment où Stephen Harper s’emploie à rapetasser le lien vermoulu entre le Canada et la Couronne britannique.
Antagonistes dans leurs visées, les deux initiatives se disputent le passé : Harper agit comme si le Canada regrettait le bonheur de sa soumission à l’Empire, tandis que quatre chercheurs – Marc Chevrier, Louis-Georges Harvey, Stéphane Kelly et Samuel Trudeau – tirent du même passé la preuve que l’idée républicaine vit depuis longtemps au Québec d’une vie drue.
Libéralisme et république
Peut-être le message essentiel de ce livre se loge-t-il dans la dizaine de pages de l’introduction : « Libéralisme et républicanisme se sont longtemps entremêlés, par les personnes, les doctrines et les événements politiques. Nous essaierons ici de les séparer, en forçant certes un peu le trait, au risque d’abuser du schématisme ». En fait, l’objectif est atteint sans véritable abus, tant les auteurs excellent à rendre patentes les différences et même les nuances. Là où le libéral glorifie la liberté de l’individu, le républicain s’inquiète des conditions requises par cette liberté. Le libéral regarde la loi avec méfiance, le républicain la veut comme soutien, alliée, stimulant. Le libéral « a confiance dans la capacité naturelle des individus à nouer des liens », alors que « le républicain craint la précarité de la vertu, menacée à tout instant par l’appât du gain, le luxe et l’indolence ». Divergences aussi à propos du colonialisme dont l’importance est grande en sol canadien. « Dans l’histoire, le libéral s’est lancé dans des aventures coloniales sans trop se soucier de la liberté des peuples conquis » ; aux yeux du républicain, « la domination coloniale se ressent sur les qualités morales des sujets conquis qui s’avilissent et renoncent à leur indépendance pour entrer dans les bonnes grâces du régime colonial ».
Ces précisions (et plusieurs autres) font du républicanisme une troisième voie, nette et invitante, en marge du libéralisme et du conservatisme.
Un courant venu de loin
Sitôt ces balises plantées, les auteurs battent le rappel des plumes qui, sans toujours s’en vanter ou même mesurer l’ampleur du défi, ont souhaité l’avènement ici d’une république. Elles sont nombreuses. Elles s’expriment depuis le début de l’histoire nationale. Elles entretiennent face à l’avenir la même pertinence qu’à propos des temps révolus. Discrètes pendant les périodes les plus ostentatoires du plaidoyer monarchiste, comme sous Durham, jamais elles ne se sont résignées au silence. Des noms connus refont surface, des auteurs injustement privés de renom reçoivent enfin leur dû ; tous reçoivent, grâce aux présentations qu’offrent les compilateurs avant chaque témoignage, un examen pesé.
Sans surprise, le baron de Lahontan, François-Xavier Garneau, Louis-Antoine Dessaulles, Arthur Buies, Louis Fréchette, Honoré Beaugrand, Jules Fournier, Jean-Charles Harvey, Télesphore-Damien Bouchard, Raoul Roy, Pierre Vadeboncœur et consorts se présentent à la barre : ils sont fermement, clairement, durement républicains par leur soif de liberté, par leur rejet des mille formes d’esclavage et d’exploitation, par l’envie que suscite la réussite étatsunienne. Des noms s’ajoutent, venus d’une pénombre trop durable. Par exemple, celui d’Ève Circé-Côté dont la vigueur démontre que les femmes n’ont pas attendu le droit de vote pour évaluer leur société de façon critique. Par exemple, celui de Burton Ledoux dont le journalisme social est lourd de convictions républicaines. Autre exemple, celui de Clément Dumesnil : une petite douzaine d’années après 1837, il donnait une armature costaude au projet républicain.
Quelques noms, presque tous reliés à la recherche (ondoyante ?) du pouvoir politique, surprendront : Pierre Elliott Trudeau, Wilfrid Laurier, etc. Les auteurs se justifient : commettre un texte en faveur de la république n’engage pas pour la vie…
Des angles divers
Aimer la république ne dispense ni de pédagogie ni de critères. Selon cette logique, les auteurs dégagent les signes auxquels se reconnaîtra le républicain : il s’opposera à la corruption, puisqu’elle engendre la servilité ; il condamnera, pour le même motif, toute dépendance coloniale ; il accordera pleine importance à l’éducation ; il créera les institutions qui assoient la vie républicaine. Encore là, le choix des textes révèle continuité, fréquence, densité. Sans cesse, d’authentiques républicains attirent l’attention du peuple québécois sur leur vision politique et sociale. Certains des noms dont s’enorgueillissait tout à l’heure le plaidoyer théorique reprennent du service : de Vadeboncœur à T.-D. Bouchard, de Buies à Esdras Minville, les penseurs se font pragmatiques, par souci de « donner des mains » à la pensée. Une fois de plus, Papineau sort du lot. Dans une conférence prononcée en 1867, lors du 23e anniversaire de l’Institut canadien de Montréal, il juge son auditoire digne de profiter des meilleures sources : c’est d’Aristote et de Montesquieu qu’il tire ses arguments les plus probants en faveur du régime républicain.
Parlons d’édition
Nécessaire et éclairant, ce travail collectif mérite pourtant quelques bémols. La langue vacille parfois. On ne contestera pas le droit des auteurs à leur relatif anonymat : ils partagent globalement la paternité d’une réussite, mais ils empêchent ainsi le lecteur de savoir lequel des responsables s’est occupé personnellement de chaque témoin. Belle collégialité, mais frustration du lecteur.
On ne sait trop comment expliquer les coquilles qui affligent le texte, pas plus qu’on ne s’explique la surabondance des agaçants sic. Nombre de fautes passent incontestées, certains sic condamnent à tort des usages admis au temps jadis (épithètes sans le t final, fesant pour faisant…). Réserves pourtant mineures par rapport à l’éclairage offert.
1. Textes choisis et commentés par Marc Chevrier, Louis-Georges Harvey, Stéphane Kelly et Samuel Trudeau, De la république en Amérique française, Anthologie pédagogique des discours républicains au Québec, 1703-1967, Septentrion, Québec, 2013, 536 p. ; 44,95 $.
EXTRAITS
Cette anthologie permettra, nous l’espérons, de remédier à une sérieuse lacune dans la connaissance de notre tradition politique. Elle vise à faire connaître une troisième voie politique, à côté des voies libérale et conservatrice.
p. 9
Cette relecture de l’histoire des idées politiques, qui met en doute le monopole du libéralisme sur la formulation de l’idéal démocratique moderne, s’est imposée progressivement à la suite des travaux phares d’historiens de l’école dite de Cambridge, qui ont bouleversé les grilles de lecture habituelles des débats politiques dans le monde anglo-saxon.
p. 27
Ainsi le discours républicain dans la colonie et dans le Québec post-confédératif a-t-il embrassé un certain nombre de thèmes durablement débattus. Les républicains bas-canadiens et québécois ont mis du temps à remettre en cause le caractère monarchique, si formel fût-il, du régime constitutionnel imposé par les Anglais.
p. 400