Il faut collectionner les pierres qu’on vous jette.
C’est le début d’un piédestal.
Hector Berlioz
Voici venir la fin. Pour l’instant. C’est la mienne. C’est la tienne. Surtout celle de l’Autre, cette persistante présence qui pèse sur les réalités, cet instant conquérant de l’éternité relative dans laquelle toute civilisation s’enlise avant de s’évaporer. Parfois quelques valeurs essentielles et naturelles s’évadent, s’élèvent et contaminent certaines cervelles géniales en équilibre précaire sur la passerelle du temps.
Pour commencer, je n’ai rien à dire. Tout à traduire. Ou à décrire sans rien crier au cœur solitaire. Car dans mon pays, le cœur est toujours ailleurs, en train de se déliter dans une médiocrité mondialiste suicidaire, sans changer au préalable les draps des criminels culturels aux taches de sens indélébiles. Quant au vrai sang civilisationnel, il est depuis longtemps parti dans les participes passés qui ne s’accordent plus avec rien, encore moins avec le présent. Alors, toujours rien à dire ? Ni à traduire ? J’ai tout à décrire avant de déchirer les dernières pages de La galaxie Gutenberg1 avec lesquelles confectionner de ridicules avions de papier parfaitement adaptés à des vols éphémères dans l’air du temps, surtout au ras des pâquerettes. Ne vous inquiétez pas : le papier de ces avions éphémères sera recyclé pour l’éternité relative de la vie occupée à s’éteindre sans rien créer, sans rien déranger d’une vie pour l’instant encore libre mais en voie de constipation par les jeunes nazillons et nazillonnes de la cuculture de l’annulation.
Maintenant je me souviens. Que le peuple québécois ne se souvient plus de rien. Pas même de son identité. Surtout pas de son identité que l’on a essayé de lui voler au cours de centaines d’années colonisées. Encore moins de sa résistance passée chèrement acquise, car nos dirigeants actuels sont devenus des glandeurs de grand chemin au service de milliardaires dégénérés ou de délirants mondialistes qui se prennent pour des génies. Au rythme actuel de l’abominable décontamination de notre identité chèrement acquise, bientôt il ne restera plus rien de mon peuple encore hier courageux, tenace et pragmatique, dont les rares enfants, maintenant remplacés par les chiens, sont prêts pour les rêves préprogrammés par une intelligence artificielle délirante sans réelle liberté. Bref, nous sommes soumis à l’inculture des fous et des dégénérés. Ça fait que le Québec, encore hier cohérent, se dissout maintenant à vue d’œil crevé. Peu à peu, il disparaît derrière le paravent pourri d’une mondialisation impossible à gérer sans une implacable dictature. Bientôt, nous graverons des fautes d’orthographe sur nos monuments funéraires parfaitement écologiques.
Il avait tout prédit
Déprimé, voici que j’élague encore une fois ma bibliothèque d’Alexandrie, expulsant quelques écrivains québécois qui ont trahi l’esprit de la liberté. Voici que je tombe sur Retour au meilleur des mondes2 d’Aldous Huxley, livre toujours lu dans mes nuits d’insomnie quand le soleil s’éteint sur les paresseux intellectuels qui n’ont plus rien à penser.
Dans cet essai publié en 1957, tout est dit. Logiquement. Rationnellement. Sur notre actuelle époque et… dans presque tous les domaines. Il y a 65 ans, Huxley avait tout prédit sur notre monde en route vers un néofascisme ou, pire, une dictature de la douceur. Il avait tout prédit, presque dans les moindres détails, à partir de brillantes extrapolations scientifiques et technologiques. Voilà la marque d’un authentique génie. Il a vu la venue d’un monde néo-féodal où « vous ne posséderez rien et vous serez heureux », selon les sinistres mots d’un certain Klaus Schwab, actuel président du Forum économique mondial.
J’aimerais citer tout son livre, mais je me contenterai de vous sidérer avec quelques-unes de ses parfaites visions, attendu l’écœurante décomposition politique, sociale, économique et morale de notre monde occidental voué au saccage. À savoir : « À une époque où la surpopulation s’accélère, où l’excès d’organisation s’accentue, où les moyens d’information à l’échelle planétaire deviennent sans cesse plus efficaces, comment pouvons-nous sauvegarder l’intégrité et réaffirmer la valeur de la personnalité humaine3 ? ». Il n’y a rien à ajouter, sauf que tout est en place pour détruire l’intégrité individuelle et la liberté fondamentale pour lesquelles des millions d’hommes sont morts dans un passé immédiat.
À savoir, encore : « Pour qu’une démocratie puisse survivre, il faut que les majorités sachent faire des choix réalistes, à la lumière d’informations adéquates. Une dictature, par contre, se maintient en censurant ou en déformant les faits, en faisant appel non pas à la raison ou à l’intérêt bien compris, mais aux passions et aux préjugés, aux puissantes ‘forces cachées’ comme Hitler les appelait, présentes dans les profondeurs inconscientes de tout esprit humain4 ». Voilà la juste description de nos médias contemporains contrôlés par la collusion des gouvernements et des milliardaires (authentique néofascisme) qui demandent aux milliards de pauvres de la planète de manger des algues et des insectes afin de la sauver, tandis qu’ils voyagent en jets privés et bouffent joyeusement, entre deux partouzes, les meilleurs aliments sans jamais se priver. Cette description d’un doux enfer totalitaire correspond exactement à ce que pensent les authentiques éveillés qui n’ont pas encore vendu leurs larmes dans le désert de la réflexion.
À savoir, surtout : « Au cours de ses expériences qui ont fait époque sur les réflexes conditionnés, Ivan Pavlov a observé que si on les soumettait à une tension physique ou psychique prolongée, les animaux de laboratoire présentaient tous les symptômes d’une profonde dépression nerveuse. Refusant d’affronter plus longtemps une situation intolérable, leur cerveau se mettait en grève, pour ainsi dire, et s’arrêtait de fonctionner (le chien perdait conscience) ou recourait à la marche au ralenti et au sabotage (le chien se comportait de façon incohérente ou présentait des symptômes de ce que nous eussions appelé hystérie chez des humains)5 ». N’est-ce pas ce que nous avons vécu au cours des trois dernières années, ce programme sanitaire délirant qui a imposé un nivellement social aux baby-boomers improductifs et aux autres bouches inutiles ? N’est-ce pas la même déprogrammation suicidaire qui a été vécue par les anciens peuples et imposée par les dégénérés et les satanistes des civilisations avant leur effondrement ? Ce qui donne les terrifiants résultats suivants, toujours selon Huxley : « Les uns après les autres, ou par groupes entiers, les sujets s’effondrent, les symptômes de névrose et d’hystérie font leur apparition, certaines des victimes se suicident, d’autres contractent de graves maladies mentales. Ceux qui survivent aux rigueurs de la conversion en sortent avec des types de comportement nouveaux et indéracinables. Tous leurs liens avec le passé – familles, amis, traditions – ont été rompus. Ce sont des hommes nouveaux recréés à l’usage de leur nouveau dieu et intégralement voués à son service6 ». C’est-tu assez clair, cal… !?
Pis enfin, à la fin : « Les Gros Gouvernements et les Grosses Affaires possèdent déjà, ou posséderont bientôt, tous les procédés pour la manipulation des esprits décrits dans Le meilleur des mondes. […] Les dirigeants du monde de demain essaieront d’imposer une uniformité sociale et intellectuelle aux adultes et à leurs enfants. Pour y parvenir, ils feront usage de tous les procédés de manipulation mentale à leur disposition, et n’hésiteront pas à renforcer ces méthodes de persuasion non rationnelle par la contrainte économique et des menaces de violence physique7 ».
J’arrête ici la relecture de cet essai prophétique qui m’a hanté il y a 30 ans, alors que je me rétablissais de l’une de mes étranges maladies et surtout d’une extraordinaire rencontre imprévue qui a changé ma vie et celle de Charlotte.
Quand tu n’en finis plus de développer
Maintenant, réfléchissez aux mots de Dostoïevski cités dans cet essai, à savoir : « Ils déposeront leur liberté à nos pieds et nous diront : faites de nous vos esclaves, mais nourrissez-nous8 ». Et je conclus avec qui ? Avec l’historien gréco-romain Ammien Marcellin qui, au IVe siècle, a écrit ceci au sujet de la ville de Rome : « Qu’arrive-t-il ? Le peu de maisons où le culte de l’intelligence était encore en honneur sont envahies par le goût des plaisirs, enfants de la paresse. On n’y entend plus que voix qui modulent, qu’instruments qui résonnent. Les chanteurs ont chassé les philosophes, et les professeurs d’éloquence ont cédé la place aux maîtres en fait de voluptés. On mure les bibliothèques comme les tombeaux. L’art ne s’ingénie qu’à fabriquer des orgues hydrauliques, des lyres colossales, des flûtes, et autres instruments de musique gigantesques, pour accompagner sur la scène la pantomime des bouffons9 ».
J’ajouterai, pour terminer les restes en beauté : « Ou bien le peuple se livre avec fureur au jeu des dés, retenant son haleine, qu’elle chasse ensuite avec un bruit dont l’oreille est choquée ; ou bien encore (et c’est là le goût qui domine) on la voit du matin au soir, bravant le soleil et la pluie, s’exténuer en débats sans fin touchant les moindres circonstances du mérite ou de l’infériorité relative de tel cheval ou de tel cocher. Étrange engouement que celui de tout un peuple respirant à peine dans l’attente du résultat d’une course de chars ! Voilà les préoccupations auxquelles Rome est livrée, et qui n’y laissent place pour rien de sérieux10 ».
Tentative de conclusion avant d’essuyer mes armes
Le futur totalitarisme enlèvera le poids insupportable de la liberté à la plupart des pleutres survivants de notre civilisation occidentale. Dans un futur immédiat, ils auront les pieds pris dans le ciment de leur identité numérique. Cela permettra aux fous de pouvoir dégénérés de surveiller et de persécuter en toute impunité les gens dits normaux. Mais… la paix ? La paix sera le fait de tous ces jeunes cons sympathiques et hyper-dynamiques bien à l’abri dans leurs forums sociaux. Là, ils dénonceront les vieilles nappes, ces baby-boomers qui défendaient autrefois la liberté de parole. Les peureux, les lâches et les pusillanimes adoreront. Ils pourront détruire tout individu qui aura encore le courage de parler en toute liberté. Car tous ces incultes et ces sangsues censureuses ne veulent pas lire ni entendre la moindre critique qui les dépasse. Ils sont tous fils et filles de Procuste, vous savez, ce brigand de la mythologie grecque qui obligeait les invités à s’étendre sur un de ses lits afin de couper, entre autres folles tortures, les membres qui en dépassaient, car il ne tolérait pas les… différences. Cela illustre la dangereuse tendance actuelle au conformisme mondialiste et à l’odieuse cuculture de l’annulation, quitte à me répéter.
Dans sa préface à la réédition du Meilleur des mondes, Aldous Huxley annonçait déjà : « À mesure que diminue la liberté économique et politique, la liberté sexuelle a tendance à s’accroître en compensation. Et le dictateur […] fera bien d’encourager cette liberté-là. Conjointement avec la liberté de se livrer aux songes en plein jour sous l’influence des drogues, du cinéma et de la radio, elle contribuera à réconcilier ses sujets avec la servitude qui sera leur sort11 ». Et si le Québec ne se réveille pas bientôt, tant pis pour nos futurs mangeurs d’insectes qui, heureusement, ne péteront plus du méthane.
Vraie conclusion ?
– Je savais que tu allais encore nous dérouler ton savoir de face à claques. T’es pas tanné de te faire haïr par la gent littéraire ?
– Toi, espèce de mauvaise bonne conscience… Qui saisit mon œuvre quand elle tente de fusionner la poésie, la science et la philosophie dans une seule phrase universelle ? Personne… jusqu’à présent. Ça fait que je reste seul, seul avec mes visions et mes illuminations impossibles à partager parce que personne ne sait mon histoire… extraordinaire.
– Eh ben, je reconnais là ta vulgarité.
– Eh ben, dans ton désert culturel tu boiras tes larmes. Quant à moi, je continuerai de défendre la liberté de penser et de… parler.
– N’oublie pas celle de me la fermer !
– Ai-je besoin de te répéter ce que je t’ai dit la dernière fois ? Je dis ce que je pense, « littéralement et dans tous les sens » (Rimbaud).
1. Marshall McLuhan, La galaxie Gutenberg. La genèse de l’homme typographique, traduit de l’anglais par Jean Paré, HMH, Montréal, 1967, 428 p.
2. Aldous Huxley, Retour au meilleur des mondes, traduit de l’anglais par Denise Meunier, Pocket, Paris, 1978, 153 p.
3. Ibid., p. 63.
4. Ibid., p. 64.
5. Ibid., p. 79.
6. Ibid., p. 88.
7. Ibid., p. 135.
8. Ibid., p. 152.
9. Ammien Marcellin, Histoire de Rome, Livre XIV, Firmin Didot, Paris, 1860.
10. Ibid.
11. Aldous Huxley, Le meilleur des mondes, traduit de l’anglais par Jules Castier, Le Livre de poche, Paris, nos 346-347,1967, p. 23.