Il est romancier (Monsieur Ho, Un lundi sans bruit, La corde à linge…), mais aussi préposé aux bénéficiaires dans un CHSLD. En guise d’hommage à toutes celles et tous ceux qui, comme Max Férandon, se donnent corps et âme au front du coronavirus, nous publions ce texte « rédigé durant une pause, du bout des doigts sur un téléphone », quelque temps avant que son auteur ne contracte lui-même la maladie.
Eh bien la semaine dernière, on m’avait confié « l’entraînement » de deux nouvelles personnes, venues en renfort au Jeffery Hale, et vous savez comme je prends soin des gens que l’on me confie. Deux demoiselles au cœur tendre, volontaires, prêtes à se jeter dans la bataille.
Il faut dire qu’elles auraient pu rester à la maison et regarder Netflix au son grelintant des deux mille dollars de Justin Trudeau. Non, elles avaient décidé de donner de leur temps à la cause et d’y consacrer leurs efforts. Je les vois encore enfiler leur habit de protection, leur attirail à quatre sous : ce masque aussi épais qu’un filtre à café et cette visière de mauvais plastique. Le sourire un peu fébrile, l’œil aux aguets. Puis vient la liste des précautions d’usage dispensée par moi-même. Ne pas toucher son masque avec ses mains, sous aucun prétexte. Enlever ses gants sans se contaminer, se laver les mains pour un oui ou pour un non. Ne pas oublier les poignets. Un doute, un soupçon : se laver les mains. Changer de gants, toujours, tout le temps. Changer de masque, comment enlever son masque. Nettoyer sa visière.
Enfin, tout pour rassurer quelqu’un dont c’est la première journée à l’hôpital.
On appuie sur le bouton en métal brossé et la porte vitrée à double battant s’ouvre.
Bienvenue à Covidland ! Dès lors, vous êtes dans un champ de mines microbien.
Les premières expirations dans le masque sont les plus désagréables ; on manque un peu d’air et le cœur bat plus vite. La visière occasionne un effet de serre. Il fait chaud là-dessous. Sept heures, huit heures, neuf heures durant dans sa propre étuveuse. Les filles me suivent en permanence. J’énumère les tâches qui nous incombent, je leur parle des résidents. Elles sont attentives, sérieuses, et je sais que pour elles, le fait de se retrouver dans un tel endroit, aussi infecté, c’est déjà beaucoup. Je veille surtout à ce qu’elles ne commettent pas d’erreurs et qu’elles soient protégées en tout temps. La journée se déroule comme peut se dérouler une journée dans un nid de coronavirus : entre l’irréel et le cauchemar. À la fin de la journée, les demoiselles sont brûlées et ont hâte de rentrer chez elles. Vraiment, des filles bien. Je les salue, les remercie de leur présence et vais faire du temps supplémentaire, car rien n’est jamais terminé, et puis ma pendule a des aiguilles élastiques. Je fais le tour des résidents, un câlin, une parole. Deux trois trucs.
Journée de travail ordinaire, me direz-vous peut-être ?
Si ce n’est que ce jour-là, l’une des deux demoiselles, en moins de temps qu’une fleur de cerisier ne s’ouvre, a été infectée par la COVID-19.
Oui, ordinaire.