Hymne à la vie en milieu rural, loin des images bucoliques et réconfortantes. Car c’est bien de vie qu’il est question dans ce recueil de nouvelles, de vie et de mort, aussi bien celle qui se déroule au-dehors, comme l’indique le titre, que des drames qui couvent à l’intérieur des personnages.
Le recueil1 s’ouvre sur un échange entre une mère et son fils qui reviennent d’un concours, la finale régionale d’une épreuve de connaissances scolaires à laquelle participe le garçon. Sur la route de retour, alors que défilent les champs qu’il faudra bientôt moissonner tout autour, la mère cherche à comprendre. En l’absence du père, qui avait promis d’être présent, tout s’est écroulé. Le garçon n’arrivait plus à formuler les réponses attendues, sues, mémorisées des jours durant pour être restituées le jour venu. Un drame s’est produit à la ferme, retenant le père, paralysant le fils sur la tribune. L’effort à déployer est soudain trop grand, surhumain, voire inutile parce qu’il a perdu tout son sens. Ce motif reviendra à plusieurs reprises dans le recueil, sous des formes chaque fois différentes, chaque fois suggérées plutôt qu’expliquées, comme le sera la difficulté de communication entre père et fils, entre conjoints et entre membres d’une même fratrie. Les personnages sont le plus souvent emmurés dans leur silence, comme les bêtes dans leur enclos qui ne se laissent pas toujours approcher sans renâcler et piaffer. La dureté et même la cruauté qui émanent par moments de certaines nouvelles ne sont le plus souvent qu’évoquées, jamais jugées. Certains textes ne sont d’ailleurs pas sans rappeler l’univers de Raymond Carver. Dans l’une d’elles, « Pourquoi tout ça ? », une femme prépare le repas du soir au moment où son mari rentre et se sert à boire avant d’entreprendre de lui confier ce qui le bouleverse, une rencontre faite le jour même à la quincaillerie du village. Un ex-détenu revient hanter la mémoire de chacun sans que l’on en apprenne davantage sur les raisons qui l’ont conduit en prison. Une prison en remplace ici une autre, sans barreaux mais tout aussi, voire plus efficace. L’inconfort ressenti par les personnages prend lentement forme tandis que l’eau ruisselle des gouttières en ce début printanier, que l’homme retire ses chaussures et que la femme épluche les pommes de terre, beaucoup plus qu’il n’en faut puisque leurs enfants ne viendront pas souper, comme le lui fait remarquer le mari. Mais il faut bien accomplir le rituel de la préparation du repas, du retour à la maison, meubler l’espace et le temps de ces petits gestes qui rassurent et donnent un sens à nos vies, sinon qu’adviendrait-il ?
Plusieurs nouvelles se font écho et concourent à renforcer l’unité thématique du recueil. Six textes, intercalés dans le recueil, s’intitulent « Portrait I, II, III… », et mettent en scène des lieux, des constructions, des arbres, comme si l’auteure avait souhaité nous rappeler l’importance du cadre dans lequel nos grandes et petites actions trouvent à s’inscrire. Ce qui l’amène, dans le dernier de ces textes qui porte sur un prunier oublié au milieu d’une cour, à écrire qu’« on voudrait pour les hommes une fin semblable à celle des arbres : qu’elle soit ce miracle qui rend plus fécond encore ce qu’il reste de vie, qu’elle permette à chacun de produire, de briller, de se répandre en décuplant ses fruits. Une apothéose ».
Avec une rare justesse d’évocation et une maîtrise du genre dès son premier recueil, Geneviève Boudreau nous rappelle que la vie, au-dehors comme en dedans, est plus grande et plus riche qu’on ne le croit.
1. Geneviève Boudreau, La vie au-dehors, Boréal, Montréal, 2019, 166 p. ; 19,95 $
EXTRAITS
C’est simple, il te faut seulement ne pas trop réfléchir, saisir la hache, la lever très haut, et la gravité fera le reste : elle tombera toute seule, ce n’est pas toi qui trancheras la chair. Il faut tout bonnement te convaincre du caractère inévitable de cette mort. Prendre la hache, l’abattre. Prendre la hache, l’abattre. Tu ne peux pas te défiler.
« La mort t’avait paru facile », p. 21.
Il aimerait entendre les bruits du village tout proche, ou ceux des fermes plus près encore, mais la vérité, c’est que le village est fait de silence et que presque toute rumeur s’étouffe avant d’avoir passé le vestibule des maisons.
« Toto », p. 41.
Lorsqu’on s’y arrête l’hiver, le village est une bête couchée qui a froid, dont on entend claquer les os, les clous dans les vieilles planches de bois de maisons devenues aveugles et sans lumière. Les bâtisses sont trop proches pour rien dans l’infini des terres.
« Portrait III », p. 78.