La scène se passe en 1956.
Les deux frères burent chacun une petite gorgée pour calmer leur impatience d’arriver à Labrieville. Parfois André se perdait au fil de la forêt et des crans qui surplombaient la route. Par moments, le camion valsait sur le gravier, et Johnny devait donner un brusque coup de volant ou était contraint de ralentir.
Le village surgit au lointain. André écarquilla les yeux pour mieux distinguer les baraques au sommet d’une colline rocheuse. Les maisons faisaient l’effet de cabanes aménagées trop rapidement ; pas d’herbe sinon par ci par là quelques touffes jaunies.
Des maisons alignées sans grande symétrie, des hommes casqués, peu de femmes, pas de débit de boisson, de l’eau, des forêts à perte de vue ; c’était ça le Nord, avec des hommes qui rêvent continuellement de la vie qu’ils vont vivre en descendant à la ville. […]
Un pays à venir, un pays en friche, un peuple de rêveurs et de poètes qui vous en inventent des châteaux et des domaines, et vous en abattent des sapins, des épinettes, des bouleaux pour faire de la place, inventer des lignes imaginaires, direction nord, direction fer et nickel… un peuple d’amoureux qui commencent à apprivoiser l’espace et à meubler le territoire… »
* Paul Villeneuve par Gabor Szilasi en 1970/BAnQ.
1. Johnny Bungalow. Chronique québécoise 1937-1963, Éditions du Jour, 1974, p. 252.