La littérature du Saguenay–Lac-Saint-Jean prend son envol au début des années 1980 avec de jeunes écrivains qui se démarquent dès leur première publication. Nicole Houde sonne la charge avec un récit percutant, La malentendue, et remporte le Prix des jeunes écrivains du Journal de Montréal en 1984. Danielle Dubé fait une entrée fracassante avec Les olives noires, prix Robert-Cliche en 1984. Elle signe un livre à succès qui entraîne le lecteur en Espagne pendant la crise d’Octobre. Elle indique la voie à Jean-Alain Tremblay, lauréat en 1989, avec La nuit des Perséides, puis à André Girard en 1991 avec Deux semaines en septembre. Arlette Fortin avec C’est la faute au bonheur en 2001, et Reine-Aimée Côté avec Les bruits en 2004 seront aussi lauréates de ce prix littéraire du premier roman.
Alain Gagnon publie Le gardien des glaces en 1984, un roman original et troublant, malheureusement ignoré par la critique. Le romancier cherche sa voix depuis 1970 et explore plusieurs genres. Dix ans plus tard, il fait tourner les têtes avec Sud (1995), un roman qui entraîne le lecteur dans les univers troubles de William Faulkner et Erskine Caldwell. Thomas K., en 1997, démontre toutes les facettes de son talent.
Élisabeth Vonarburg délaisse la chanson et fait paraître L’œil de la nuit en 1980. Chroniques du pays des mères (1991) la propulse sur la scène internationale. Avec cette œuvre traduite en plusieurs langues, l’écrivaine devient une grande figure de la science-fiction.
Du côté du théâtre, Michel Marc Bouchard est un inconnu en 1980. Les feluettes, son œuvre forte, est présentée pour une première fois par le Théâtre Petit à Petit (Montréal) en 1987. Un succès immédiat. Daniel Danis étonne en 1992 avec Cendres de cailloux. Je me souviens d’une présentation dans le noir total à Jonquière. Une expérience sensorielle difficile pour nombre de spectateurs. Un an plus tard, Larry Tremblay se démarque avec The Dragonfly of Chicoutimi ; Jean-Louis Millette y est criant de vérité. Jean-Rock Gaudreault écrit pour la scène à la fin des années 1990 et rafle de nombreux prix. Parmi ses pièces, je pense surtout à Une maison face au nord (1993). Il impose son monde singulier et devient une présence incontournable sur plusieurs scènes du monde.
Plusieurs écrivaines s’aventurent du côté de la jeunesse. Marjolaine Bouchard, avec Le cheval du Nord (1999), s’attarde à la légende d’Alexis le Trotteur. Isabelle Larouche publie une première fois en 2003 et Sylvie Marcoux remporte le prix Tamarac en 2011.
Enfin, dans les années 2000, Hervé Bouchard avec Mailloux (2002) et Parents et amis sont invités à y assister (2006) attire tous les regards. Guy Lalancette s’impose également avec des œuvres bouleversantes. Les yeux du père en 2001 et Un amour empoulaillé en 2005 sont en lice pour plusieurs prix. Samuel Archibald connaît le succès avec Arvida (2011) et Geneviève Pettersen dans La déesse des mouches à feu (2014) étonne par son langage et la dureté du milieu chicoutimien qu’elle décrit.
Au fil du temps, des carrières exceptionnelles se dessinent. Larry Tremblay particulièrement. Ses pièces sont traduites en une dizaine de langues. Il fait sa marque aussi dans le genre romanesque avec Le mangeur de bicyclette (2002), Le Christ obèse (2012) et L’orangeraie (2013), qui connaît un succès exceptionnel. Michel Marc Bouchard en fait tout autant comme scénariste avec les films Les feluettes en 1996 et L’histoire de l’oie en 1998. Christine, la reine-garçon devient un succès au grand écran en 2015. L’auteur reçoit l’Ordre national du Québec en 2012. Daniel Danis s’installe en France et est nommé chevalier de l’Ordre des arts et des lettres de la République française en 2000. Il est le seul dramaturge à avoir remporté trois fois le Prix du Gouverneur général du Canada.
Effervescence
Cette production littéraire remarquable s’amorce avec le regroupement de quelques écrivains autour d’une coopérative d’édition en 1984, Sagamie/Québec. Le recueil Traces (1985) rassemble des textes de Gil Bluteau, Alain Gagnon, Danielle Dubé et Guy-Marc Fournier, prix Jean-Béraud-Molson en 1974 avec L’aube. La maison publie la poésie de Carol LeBel, l’auteur d’origine haïtienne Maurice Cadet et Ultimacolor de Gilbert Langevin en 1988. Des dissensions mettent fin au projet.
L’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES) prend le relais. L’APES rejoint les écrivains vivant au Saguenay–Lac-Saint-Jean et ceux qui ont migré un peu partout au Québec. Le regroupement publie le collectif Un lac, un fjord pendant une quinzaine d’années aux éditions JCL. Plus de 200 nouvelles voient le jour. Deux numéros de XYZ. La revue de la nouvelle seront aussi consacrés aux écrivains du Saguenay–Lac-Saint-Jean pendant ces années. Par ailleurs, l’APES multiplie les événements. Suzanne Jacob, Denise Desautels, Robert Lalonde, Victor-Lévy Beaulieu, Louise Desjardins, Hélène Pedneault, Louise Dupré, John Saul et Nancy Huston participent à des lectures publiques avec les écrivains de la région. La gastronomie et la littérature font bon ménage dans le Festival des mets et des mots pendant plus de cinq ans.
Le Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, au début des années 1990, crée ses prix littéraires en récompensant les auteurs selon les critères de l’APES. Les premières lauréates sont Lise Tremblay avec L’hiver de pluie et Nicole Houde avec Lettres à cher Alain.
À l’extérieur de la région, Larry Tremblay, Hervé Bouchard, Danielle Dubé, André Girard, Alain Gagnon, Élisabeth Vonarburg et Nicole Houde mettent la main sur des prix prestigieux. Marie Christine Bernard reçoit le prix France-Québec en 2009 avec Mademoiselle Personne. Le Prix du Gouverneur général est attribué à Nicole Houde pour Les oiseaux de Saint-John Perse (1994) et à Lise Tremblay pour La danse juive (1999). Pierre Gobeil reçoit le Grand prix du livre de Montréal avec Dessins et cartes du territoire en 1993. La région s’enorgueillit de trois prix Ringuet (attribués par l’Académie des lettres du Québec) consécutifs pour mon roman Le voyage d’Ulysse (2014), Épisodies (2014) de Michaël La Chance et Tas-d’roches (2015) de Gabriel Marcoux-Chabot.
Lieu
Comment caractériser la littérature du Saguenay–Lac-Saint-Jean ? Bien sûr, la géographie joue un rôle particulier. Le premier à montrer l’aspect inquiétant du fjord du Saguenay est Gil Bluteau dans Meurent les alouettes en 1978. Un homme veut en finir avec la vie et descend le Saguenay en canot jusqu’à Tadoussac, où son aventure s’arrête. Ce climat d’inquiétude se retrouve chez André Girard, particulièrement dans Zone portuaire (1997), Lise Tremblay dans La pêche blanche (1994) et La sœur de Judith (2007), et Nicole Houde dans La maison du remous (1986) et Je pense à toi (2008).
Le lac Saint-Jean joue un rôle tout à fait différent. Il suffit de s’éloigner de la rive, d’aborder une île ou encore de se réfugier sur les glaces en hiver comme dans Le gardien des glaces (1984) d’Alain Gagnon pour échapper aux fureurs humaines. Guy Marc Fournier évoque cette présence rassurante en 1973 dans Ma nuit.
Dans Les feluettes, Vallier trouve le repos en prenant le large dans sa longue embarcation. Pierre Gobeil reprend le thème dans Tout l’été dans une cabane à bateau (1988). Dans Mistouk (2002) de Gérard Bouchard, un personnage échappe aux fureurs de ses ennemis en se réfugiant sur une île du lac Saint-Jean. La violence se déclenche dès qu’il revient sur la terre ferme. Il trouve la mort dans les rapides qui se dressent comme une frontière entre le lac et la rivière Saguenay. Son grand corps de géant dérive sur le fjord jusqu’à une anse tout près de Tadoussac où ses os blanchiront.
La nature et l’espace deviennent des personnages qui bousculent les individus dans les œuvres fortes d’Alain Gagnon, de Gérard Bouchard, de Michel Marc Bouchard et de Guy Lalancette. Dans Le voyage d’Ulysse, le lac devient le centre du monde et mon personnage découvre la vie en longeant les rives du Grand Lac sans fin ni commencement pendant plus de vingt ans. Le clin d’œil à Homère est évident.
Rayonnement
Que serait le théâtre québécois sans Larry Tremblay, Michel Marc Bouchard, Daniel Danis et Jean-Rock Gaudreault ? Dany Boudreault s’impose aussi sur la scène comme comédien et auteur. Il joue dans Je suis Cobain (peu importe) qu’il a lui-même écrit. Avec ce texte, il remporte le prix du meilleur texte Cartes premières en 2010. Il signe par ailleurs avec Maxime Carbonneau Descendance, publiée à L’instant même en 2014, et est lauréat du Prix du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean en 2014. Il a publié aussi deux recueils de poésie aux éditions Les Herbes rouges. La relève est assurée.
De nouveaux romanciers attirent l’attention. Marie Christine Bernard, Richard Dallaire, Geneviève Pettersen, Samuel Archibald, Marie-Paule Villeneuve et Marité Villeneuve publient des œuvres solides et singulières. Marjolaine Bouchard et Hervé Gagnon mélangent l’histoire, l’action et le suspense. La poésie de Tony Tremblay, Kim Doré, Marie-Andrée Gill, Charles Sagalane et Laurance Ouellet Tremblay retient l’attention.
Et L’APES ne rate jamais une occasion de mettre les écrivains et leurs œuvres en évidence.
Il faut enfin signaler le travail de la maison d’édition La Peuplade, qui se distingue par son travail et ses publications. À sa façon, elle réalise le rêve de Sagamie/Québec en s’imposant sur la scène internationale, particulièrement du côté des pays nordiques. Mylène Bouchard et Simon Philippe Turcot révèlent de nouvelles figures d’ici et d’ailleurs. Marie-Andrée Gill, entre autres, apporte une couleur autochtone à la production d’ici.
Le Saguenay–Lac-Saint-Jean offre des œuvres étonnantes, marquées par des thèmes singuliers et uniques. La région bouscule les créateurs du Québec et leur ouvre souvent de nouvelles voies. Un monde en soi.