Tout d’abord, il y a l’amour, avec un grand A. Puis il y a le sexe – à moins que ce ne soit l’inverse ? Chose certaine, cet heureux mélange produit des conséquences appelées des enfants. Voici deux récits et deux histoires qui explorent, chacun à leur façon, ce triangle de la vie.
Amour
Dans Et si l’amour c’était aimer ? (6 pieds sous terre), Fabcaro s’inspire des romans-photos à l’eau de rose pour présenter des personnages à l’expression faciale neutre et les mettre dans des situations aussi loufoques que déjantées. Cette mise en abîme ne fait que relever l’humour absurde dont fait preuve l’auteur, le tout avec une histoire de triangle amoureux qui, il faut l’avouer, devient rapidement secondaire à mesure que l’on plonge dans ce récit sans queue ni tête mais fort hilarant.
La notoriété de Fabcaro s’est trouvée propulsée en 2015 avec Zaï zaï zaï zaï (6 pieds sous terre), où l’on suit un homme qui est contraint à la fuite après s’être présenté à la caisse d’un supermarché sans sa carte fidélité. Les forces de l’ordre se mettent à sa poursuite et déclenchent une vaste chasse à l’homme qui mobilisera tout le pays et captivera un vaste auditoire qui suivra l’état de la situation par les bulletins télévisés. Cette bande dessinée a été encensée par la critique et a reçu de nombreux prix, car outre son humour absurde, peu fréquent dans le neuvième art, on y trouvait surtout une critique à peine voilée de la société de consommation et de communication. Malheureusement, dans Et si l’amour c’était aimer, cette absence de trame de fond laisse le lecteur sur sa faim.
Sexe
Il faut être culotté pour publier pareil livre. Dans Extases (Casterman), Jean-Louis Tripp raconte ses explorations sexuelles. Littéralement. Pas mal pour celui qui s’est fait connaître en cosignant, avec Régis Loisel, la série à saveur féministe Magasin général (Casterman).
Au fil des pages, il nous raconte comment, enfant, il découvre les plaisirs de la masturbation, puis, plus tard, ceux de l’amour et des premières explorations sexuelles avec son amoureuse, pour ensuite détailler ses expériences sexuelles, que ce soit avec un homme, en groupe ou avec une prostituée. Tout au long de ce récit, il se confie avec une grande humilité, que ce soit en parlant de ses préconceptions à propos du sexe féminin, ou en présentant ses découvertes, ce qui lui permet de tracer une ligne entre ce qu’il aime et ce qui ne l’intéresse finalement pas.
Côté visuel, son tour de force consiste à livrer un dessin soigné et explicite qui n’est jamais vulgaire ou pornographique. Sur ce plan, on savoure chacune des planches, et si le regard descend parfois sur les parties intimes des personnages, le vrai plaisir de la lecture consiste à voir comment Tripp représente les visages et les yeux, où l’on peut lire curiosité, plaisir et excitation. L’acmé de ce premier tome – l’auteur a promis une trilogie – se situe à la page 86. Il faut voir comment il se représente lui-même alors qu’il voit pour la première fois une femme avoir un orgasme.
Un récit touchant et d’une profonde humilité où JeanLouis Tripp couche sur papier ses questionnements les plus intimes sans jamais le faire autrement qu’avec beaucoup de tendresse et d’humilité. Un livre qui fera école.
Conséquences (première partie)
S’il est vrai que les récits autobiographiques pullulent, force est d’admettre que la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Heureusement, certains livres se démarquent par leur approche et leur style, et Vogue la valise (La Pastèque) de Siris est l’un de ceux-ci.
Dans ce livre, l’auteur se personnifie en un petit garçon ayant une tête de poussin et dénommé La Poule, et présente le récit de son enfance jusqu’à ses dix-huit ans. Dernier d’une fratrie de cinq enfants, il connaîtra plusieurs familles d’accueil et un orphelinat avant d’être envoyé dans la famille Troublant, où il passera la majeure partie de son enfance tandis que sa mère tentera sans succès de récupérer sa garde. Tout au long de ce récit crève-cœur mais jamais larmoyant, on ne peut qu’admirer l’esprit de résilience de l’auteur ainsi que sa capacité à toujours garder la tête haute même si parfois il doit baisser les bras.
La force de Siris réside dans son style de dessin à la fois naïf et très bien articulé. Les dimensions sont souvent tronquées, et l’absence d’effet de perspective permet de réduire le caractère tragique de certaines situations et de rendre la lecture plus dynamique. Certaines pages sont de véritables chefs-d’œuvre sur le plan visuel en raison de leur composition. À certains moments, l’auteur s’amuse à intégrer plusieurs petites cases à l’intérieur d’une même grande case qui s’étend sur toute la superficie d’une page. Il faut regarder la page 280, sublime, où dans une même image, avec une seule perspective, il intègre deux moments différents. Ces compositions visuelles donnent un rythme soutenu au récit et font que l’on dévore ce livre à grande vitesse. Encore plus formidable, on lit cet album persuadé que le meilleur reste à venir – car oui, c’est un récit qui se termine bien.
Conséquences (deuxième partie)
Dès la lecture de la première case, on sait que la fin de ce livre de 24 pages arrivera trop vite.
Une heure au parc (La mauvaise tête), c’est l’histoire d’un père qui rencontre pour la première fois sa fille, âgée d’à peine six ou sept ans, et qui tente de lui expliquer pourquoi il a convaincu sa mère de la donner en adoption dès sa naissance. Tout au long de la rencontre, on est captivé par le personnage du père, dérisoire et pathétique, qui fait tout ce qu’un père ne devrait pas faire tout en parlant en ellipses.
En quelques pages, Maxime Gérin réussit à exploiter à son plein potentiel chacun des éléments qui composent cette bande dessinée, avec un coup de crayon tout en finesse, faisant ressortir ces petits détails importants qui rendent chacun de ses dessins captivants. Il ne reste plus qu’à espérer une suite.
1. Fabcaro, Et si l’amour c’était aimer ?, 6 pieds sous terre, Montpellier, 2017, 56 p. ; 23,95 $.
2. Jean-Louis Tripp, Extases, T. I, Où l’auteur découvre que le sexe des filles n’a pas la forme d’un x…, Casterman, Bruxelles, 2017, 268 p. ; 32,95 $.
3. Siris, Vogue la valise. L’intégrale, La Pastèque, Montréal, 2017, 349 p. ; 32,95 $.
4. Maxime Gérin, Une heure au parc, La mauvaise tête, Montréal, 2017, 24 p.