Selon l’Almanach des fermiers, l’hiver qui s’en vient sera froid, et l’on prévoit des précipitations au-dessus de la normale. Cette nouvelle ne devrait pas faire frémir les amateurs du neuvième art car, étant donné la quantité de nouveautés qui sont attendues cet automne, il sera facile de passer les froids mois d’hiver en bonne compagnie. Voici une sélection des titres qui ont attiré notre attention, en commençant par ceux des éditeurs québécois.
[Éditeurs québécois]
Petite maison d’édition qui compte seulement quelques années d’existence mais qui sort admirablement bien son épingle du jeu, Pow Pow présente trois nouveautés dont la suite tant attendue de Whitehorse (prix Bédélys 2016) de Samuel Cantin, ce récit loufoque où l’on suit Sylvain Pastrami alors qu’il tourne son documensonge, un faux documentaire sur un faux documentaire. Sauf que tout ne tourne pas rond sur le plateau et la tension monte entre les différents protagonistes.
Thomas Blais-Leblanc, alias Thom, présente VII, sa toute première création. Le titre fait référence au numéro du tome que le personnage Titus Caropin, auteur de son état, tente d’écrire alors que l’inspiration lui fait défaut. Tandis que ses fidèles lecteurs s’impatientent, la grande faucheuse en personne décide de prendre les choses en main. Une réflexion drôle et sincère sur la mort et la création.
Finalement, Julie Delporte présente une réflexion personnelle à saveur féministe à propos de la création, de la vie et du travail dans Moi aussi je voulais l’emporter.
Alto publie En cuisine avec Kafka, le dernier album de Tom Gauld, illustrateur britannique qui collabore avec The Guardian et The New York Times. Ce livre offre de courtes histoires à l’humour absurde, parfois tenant sur une seule page, qui mettent en scène des robots, des animaux et des livres.
Du côté de La Pastèque, Siris sort non pas le second tome mais l’intégrale de Vogue la valise, un récit autobiographique. Dans le premier tome, paru en 2010, il livre le récit touchant de son enfance, entre un père alcoolique incapable de conserver un emploi, une mère attentionnée mais à bout de ressources, et des frères et sœurs qui se promènent d’orphelinats en familles d’accueil. De tous les livres à saveur autobiographique à paraître cet automne, celui-ci est probablement le plus attendu.
Sur une tout autre note, l’illustrateur italien Matteo Berton signe sa première bande dessinée avec Voyage au centre de la Terre d’après le roman de Jules Verne, un exercice qui aura pris trois ans.
Et alors que l’on n’y croyait plus, Réal Godbout et Pierre Fournier publient Élixir X, une aventure de Red Ketchup, cet agent bien spécial du FBI. L’histoire, qui paraissait en feuillets dans le magazine Croc, était restée inachevée depuis la fermeture du mensuel en 1995.
[Auteurs québécois, éditeurs étrangers]
Les auteurs et dessinateurs du Québec sont bien présents chez les éditeurs européens. Dans le domaine de la bédé historique, Glénat Québec fait paraître le diptyque 1642 (scénario de François Lapierre et Tzara Maud). D’un côté, on retrouve la perspective des colons français avec Ville-Marie, avec des dessins signés par Jean-Paul Eid qui s’est fait remarquer avec La femme aux cartes postales. L’année dernière, sur son blogue, il avait présenté une planche de son travail, un extrait fort prometteur. De l’autre côté, le point de vue des Hurons et des Algonquins est représenté par François Lapierre avec Osheaga.
Julie Rocheleau, qui a signé les dessins de la série Fantômas, dont l’intégrale (Dargaud) sera disponible sous peu, et qui s’est fait remarquer avec la magnifique adaptation de La Petite Patrie (La Pastèque) de Claude Jasmin en 2015, publie Betty Boob (scénario de Véro Cazot ; Casterman), qui raconte, dans un style comédie musicale, l’histoire d’une jeune femme amoureuse devant composer avec les séquelles d’un traitement du cancer du sein.
Mikaël, Québécois d’adoption, fait paraître le premier tome de la série Giant (Dargaud). L’action se situe dans l’entre-deux-guerres, à New York, où l’on suit des travailleurs sur le chantier d’un gratte-ciel. À la suite d’un accident mortel, un travailleur d’origine irlandaise écrit en secret à la veuve de son collègue décédé en se faisant passer pour son défunt mari, et lui fait parvenir de l’argent.
[Auteurs étrangers, éditeurs étrangers]
Du côté des auteurs européens, la rentrée de l’automne est marquée par des parutions grandement attendues. La traduction de La forêt millénaire de Jirô Taniguchi, un récit écologique mis en couleur à l’aquarelle, est publiée chez Rue de Sèvres. Ce maître incontournable de la bande dessinée japonaise, auteur de L’homme qui marche et Quartier lointain, est décédé en février dernier. Triste conséquence, ce livre qui se voulait le premier d’une série de cinq tomes restera une œuvre à jamais inachevée.
Corto Maltese, célèbre personnage du défunt Hugo Pratt, est de retour dans Equatoria (Casterman), deuxième aventure créée par le tandem composé de Juan Díaz Canalès (qui signe les scénarios de Blacksad) et de Rubén Pellejero (lauréat de l’Alph’Art du meilleur album étranger avec Le silence de Malka). L’action commence à Venise, où Corto est sur la piste d’un mystérieux artefact, ce qui l’amènera jusque dans les jungles d’Afrique équatoriale, sauvant au passage Winston Churchill d’un attentat avant de naviguer avec Henry de Monfreid, types de rencontres que reconnaîtront les habitués du marin à la casquette blanche.
Jean-Louis Tripp, un des deux codessinateurs et coscénaristes de la série désormais terminée Magasin général, nous offre le premier tome d’Extases (Casterman), un album intimiste où l’auteur se met à nu et réfléchit à propos des relations amoureuses, de son rapport au corps et à la sexualité. Un livre qui fait office de témoignage doux et sincère, fort probablement savoureux à souhait, loin des Manara de ce monde.
Lors de la Première Guerre mondiale, la France a enrôlé dans son armée de nombreux jeunes hommes issus de ses colonies africaines. C’est pour rappeler cette réalité que Jean-Claude Fournier, dessinateur de Spirou entre 1968 et 1981, et Kris s’unissent pour faire paraître Plus près de toi (Dupuis), où le lecteur suit Addi, un jeune séminariste qui est contraint d’échanger sa robe contre l’uniforme militaire. Une série qui promet beaucoup.
Dans Alexandrin ou L’art de faire des vers à pied (Futuropolis) d’Alain Kokor et Pascal Rabaté (qui a signé l’adaptation d’Ibicus), il est question d’un poète, Alexandrin de Vanneville, qui vend de porte en porte ses poèmes à la pièce. Lorsqu’il rencontre un adolescent en fugue, il décide de l’initier aux arts de la poésie et de la débrouillardise.
Il y a aussi la rencontre entre François Schuiten (le dessinateur des Cités obscures) et Benoît Sokal (Canardo) pour le premier tome de la série Aquarica (Rue de Sèvres), où l’on plonge dans les années 1930, dans un petit port de pêche, à une époque où les mystères de la mer étaient insondables.
[Mentions honorables]
Le début du XXe siècle fut marqué sur le plan des idées par les écrits de Karl Marx. Pour comprendre toute la portée de cette influence, on pourra lire la biographie de Rosa Luxemburg dans Rosa la rouge de Kate Evans (éditions Amsterdam). On y retrace le parcours intellectuel de cette militante socialiste ainsi que son implication politique jusqu’à son assassinat en 1919. De leur côté, Patrick Rotman et Benoît Blary publient Octobre 17 (Seuil Delcourt), où ils présentent le contexte social et politique des mois décisifs de 1917, au moment où Lénine et Trotsky sont engagés dans des événements qui seront par la suite connus sous le nom de révolution d’Octobre.
Toujours dans la bande dessinée historique, avec un scénario de Denis-Pierre Filippi et des dessins de Patrick Boutin-Gagné, on pourra suivre Jacques Cartier (Glénat) lors de son deuxième voyage sur les côtes de la Nouvelle-France. C’est pendant ce séjour, qui durera un an, qu’il pourra établir un dialogue avec le chef Donnacona et fera ériger un fortin où lui et son équipage effectueront le premier hivernage documenté de Français au Canada.
L’inceste n’est pas un sujet populaire ni très fréquent dans la bande dessinée. C’est pourtant le thème du livre d’Ingrid Chabbert et Clémentine Pochon, Luna la nuit (Les Enfants Rouges). Toujours dans la catégorie des sujets peu communs, Kérosène (Futuropolis), d’Alain Bujak et Piero Macola, qui met en scène des Romanichels contraints à quitter leur lopin de terre, cédé à l’armée, et qui doivent se loger ailleurs. Mais où aller lorsque personne ne veut de vous ?
Du côté de la bande dessinée philosophique, Anne-Lise Combeaud, Jean-Philippe Thivet et Jérôme Vermer présentent la pensée de dix philosophes à propos du bonheur dans Philocomix (Rue de Sèvres).
L’exercice qui consiste à adapter un roman en bande dessinée est toujours périlleux mais jamais inutile. Notons que David Sala (Casterman) adapte le roman Le joueur d’échecs de Stefan Zweig, dernier texte qu’il publiera avant son suicide, tandis que Laurent Lefeuvre reprend cinq nouvelles de Claude Seignolle, ce maître du récit fantastique, dans Comme une odeur de diable (Mosquito). Le premier homme, roman inachevé d’Albert Camus, a été mis en dessins par Jacques Ferrandez chez Gallimard. Finalement, Marcello Quintanilha a adapté le roman L’Athénée (Çà et là) de Raul Pompeia, considéré comme un classique de la littérature brésilienne.
Les amateurs de Lewis Trondheim – qui était l’invité du 6e Festival de BD de Montréal en mai dernier – fait renaître son personnage Lapinot. Dans Un monde un peu meilleur (L’Association), ce personnage attachant, décédé en 2004, revient avec sa bande d’amis dans des aventures où, somme toute, il est surtout question des grands tracas du quotidien. Seul changement, il porte désormais un chandail noir avec un dessin de tête de mort.
Dans la catégorie des suites, le dixième album de Pico Bogue (Alexis Dormal et Dominique Roques), intitulé L’amour de l’art (Dargaud), soulignera le dixième anniversaire de ce délicieux personnage, tandis que le tome 4 des Vieux fourneaux, La magicienne (Dargaud), de Paul Cauuet et Wilfrid Lupano, permettra de suivre cette brochette de personnages en perpétuels conflits générationnels.
Les Schtroumpfs reviennent avec Les haricots mauves (Alain Jost, Thierry Culliford, Pascal Garrray et Nine Culliford ; Le Lombard), où une nouvelle plante vient bouleverser leur régime alimentaire – une analogie avec les OGM ? L’intérêt des histoires de ces petits gnomes bleus est qu’elles présentent souvent une critique assez mordante de notre société. Il suffit de replonger dans Le Schtroumpfissime, paru en 1965, pour s’en convaincre. Dans ce tome, où il est question d’élire un chef en l’absence du Grand Schtroumpf, l’un des candidats détourne l’attention en offrant du jus de framboise et, une fois au pouvoir, distribue des médailles pour inciter les villageois à une corvée. Détail frappant, le bonnet couleur or que le Schtroumpfissime revêt fait étrangement penser au toupet jaune d’un certain président.
Pour terminer, une question reste en suspens : est-ce que Enki Bilal saura nous surprendre avec Bug (Casterman) et son histoire futuriste où il est question d’un homme qui revient d’une mission sur Mars accompagné par ce qui semble être un martien alors que la Terre est paralysée à la suite de la disparition de toutes les données numériques ?