Si Bernard Gauthier Rambo1 rappelle l’intérêt de Victor-Lévy Beaulieu pour l’écriture biographique, cet ouvrage consacré à l’intimidant représentant du local 791 de l’Union des opérateurs de machinerie lourde, à Sept-Îles, est sans rapport avec les biographies de l’écrivain sur Jacques Ferron, Yves Thériault ou Voltaire.
Dans la biographie littéraire, Beaulieu pouvait se projeter comme fiction de lui-même ; il opte cependant ici pour la manière directe et pragmatique de la biographie militante. Ce faisant, il reconduit ses préoccupations quant à l’attitude souvent méprisante du gouvernement envers le développement des régions. Cet intérêt régional avait pu expliquer en partie l’appui de l’écrivain à l’ADQ aux élections de mars 2007, avant que, profondément déçu du chef adéquiste, il ne devienne candidat indépendantiste. Il a transposé dans Antiterre, le roman qui venait clore La vraie saga des Beauchemin en 2011, les désillusions de cette aventure. On se rappelle aussi que, dans la trilogie Bouscotte (2001-2002), le personnage nietzschéen de Manu Morency crée le Parti des régions.
Ce parcours de l’écrivain devait être rappelé, car il a ici autant d’intérêt que la biographie d’un syndicaliste dont le travail n’est certes pas banal, mais dont la vie, jusqu’à son éveil au syndicalisme au début des années 1990, n’intéressera ici personne. Bien sûr, Beaulieu a souhaité, en couvrant l’enfance et l’adolescence de Gauthier, et surtout son long séjour dans les Forces armées canadiennes, montrer comment on devient Rambo. Cela nous aide à comprendre pourquoi le syndicaliste ne connaît pas d’autres manières de s’exprimer que celle de la force physique. Il reste qu’il faut attendre le dernier tiers du livre pour arriver à ce qui peut faire l’intérêt réel du personnage, cet engagement syndicaliste qui dérange parce qu’il pratique « un syndicalisme de combat ».
Bernard Gauthier, dit Rambo, n’est pas un enfant de chœur. On l’a vu à la commission Charbonneau, et on se rappelle l’émission d’Enquête, en 2010, au sujet de l’intimidation et du taxage que pratiquait Gauthier sur les chantiers. Dans les derniers chapitres, l’homme fort argumente sa défense vis-à-vis de ses détracteurs, rappelant le témoignage que, à l’époque, il a livré aux médias. Dans la conjoncture de sa lutte contre la mobilité provinciale des travailleurs, défendant l’embauche prioritaire de ceux de sa région mais aussi s’assurant que chacun, dans un souci d’égalité, de justice et de respect, a les compétences pour exercer ses fonctions, Gauthier aura dérangé les plans de quelques bailleurs de fonds des partis politiques et autres magouilleurs patentés.
C’est pourquoi, pour Beaulieu, le syndicaliste de la Côte-Nord incarne la résistance et la droiture dans un contexte, celui de la construction, où c’est la loi du plus fort qui mène le bal, où les élus municipaux s’acoquinent avec le pouvoir d’entrepreneurs sans scrupules pour qui ne comptent que le profit engendré par le capitalisme sauvage, tout cela sous les yeux d’un gouvernement libéral peu regardant. À l’exemple d’un Michel Chartrand, auquel Beaulieu le compare, Gauthier dénonce le fait que « les lois sont déterminées par le Pouvoir afin de privilégier ceux qui le confortent dans son administration. […] [P]ourquoi le Pouvoir aurait-il le droit d’intimider les citoyens alors que ceux-ci sont considérés comme des criminels quand ils s’y adonnent ? Et cela même si ce n’est que pour défendre son coin de pays, impuissant à parvenir à ses grosseurs parce que l’argent et ‘le profitable’ qui vient avec n’y restent que sous forme de miettes ? » demande l’écrivain. Ne serait-ce que pour faire valoir cette réalité des choses dont bien des gens ne sont pas conscients, cette biographie un peu lassante n’est pas inutile.
Dans cette optique, elle vient faire indirectement écho à l’ouvrage précédent de Beaulieu, ce curieux pamphlet anarchiste intitulé Désobéissez ! Si Gauthier devient Rambo, s’il parle principalement le langage des poings, c’est aussi qu’à la violence doit répondre la violence quand elle seule peut garantir le respect dans un monde qui est une jungle, où la morale est assujettie aux intérêts des classes dominantes. En réactivant cette vue des choses à travers le cas concret de Bernard Gauthier, Beaulieu apporte à sa position idéologique un relief plus consistant et convaincant que dans Désobéissez !, qui souffrait de considérations philosophiques mal adaptées à notre époque. Car les faits sont toujours plus parlants que les paroles. À sa manière, le syndicaliste est aux yeux de l’écrivain une sorte de Gabriel Nadeau-Dubois, car les deux hommes ont en commun de « se tenir debout » face à un gouvernement libéral manipulateur et hypocrite.
Mais il faudrait être bien naïf pour penser que les choses changeront sous Philippe Couillard. David n’en a pas fini avec Goliath.
1. Victor-Lévy Beaulieu, Bernard Gauthier Rambo, Trois-Pistoles, Trois-Pistoles, 2014, 257 p. ; 24,95 $.
EXTRAIT
J’aime les êtres d’exception, particulièrement en régions, car sans ces êtres d’exception, celles-ci n’obtiendraient guère leur part, juste et légitime, de l’exploitation qu’on y fait et dont les profits essaiment à leurs dépens vers les grands centres urbains et à l’étranger. […] Dans cette perspective, n’en doutez pas : l’histoire de Bernard Rambo Gauthier n’est rien de moins qu’unique.
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