« Que reste-t-il de lui dans la tempête brève ? »
Émile Nelligan, « Le vaisseau d’or »
Il y a très exactement un siècle, Nelligan écrivait avec fébrilité les poèmes qui devaient, dans son esprit, composer le sommaire de son premier recueil. Le 9 août de cette année 1899 commence son long exil intérieur – il vivra en internement jusqu’à sa mort. En 1900, il reçoit Franges d’autel que lui remet Louis Dantin. Le poète Germain Beaulieu lui apportera aussi un exemplaire des Soirées du Château de Ramezay au sommaire duquel il retrouvera dix-sept de ses poésies. Sa mère, Émilie, ne lui rendra visite qu’une seule fois, en 1902. Son père, David, se tiendra à distance du drame dans lequel il avait pourtant joué un rôle de censeur ultime en faisant les démarches qui conduisirent à l’internement du jeune poète de 19 ans. Les années passent et c’est dans une extrême solitude qu’Émile Nelligan meurt à Montréal le 8 novembre 1941 à l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu. Son œuvre allait lui survivre. La poésie de Nelligan ouvre le XXe siècle, donnant au sujet singulier, à l’émotion personnelle, une place qui rejoindra de plus en plus de lecteurs. Dans une présentation récente d’un choix de poèmes de Nelligan, Bernard Pozier écrit : « Comme personnage de l’histoire littéraire québécoise, Émile Nelligan a une importance capitale, parce qu’il cristallise en quelque sorte la possibilité de l’existence même d’une écriture québécoise totalement singulière et complètement autonome1. » Dans l’édition du 18 mai 1918 de l’Europe Nouvelle, le poète Guillaume Apollinaire posait la question suivante : « Y a-t-il un grand écrivain canadien-français ? Il paraît que oui. Mais il est parfaitement ignoré et se nomme Nelligan. Qui nous le fera connaître ? »
1. Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Nelligan, poèmes choisis et présentés par Sophie Montreuil et Bernard Pozier, Écrits des Forges/Le dé bleu, Cégep Joliette-de Lanaudière, Trois-Rivières, 1997, 181 p.
Traductions : Émile Nelligan, El Recital de los Angeles/Le récital des anges, édition bilingue, choix et présentation par Claude Beausoleil, traduction en espagnol par Marco Antonio Campos, El Tucan de Virginia, Mexico, 1989, 68 p.
Émile Nelligan, Il recital degli Angeli, édition bilingue, choix et présentation par Claude Beausoleil, traduction en italien par Lucia Bonato, Buizoni, Rome, 1994, 163 p.
Émile Nelligan, O Recital dos Anjos, choix et présentation par Claude Beausoleil, traduction en portugais par Miguel Mascarenhas, Tertulia, Sintra, 1998, 90 p.
Quelques rappels bibliographiques :
1990, Michel Tremblay, Nelligan, Leméac, Montréal, 90 p.
1991, paraît, un ouvrage monumental : Œuvres complètes (2 volumes), édition critique établie par Réjean Robidoux et Paul Wyczynski (vol I : Poésies complètes 1896-1941) et par Jacques Michon (vol. II : Poèmes et textes d’asile 1900-1941), Fides, Montréal, 646 p. et 615 p.
La même année, Gérald Godin publie Nelligan revisité, l’Hexagone, Montréal, 57 p ; en 1992, Réjean Robidoux fait paraître Connaissance de Nelligan, Montréal, Fides, 186 p.
1996, André Vanasse publie chez XYZ une biographie romancée d’Émile Nelligan intitulée Le spasme de vivre, 138 p.
1998, en France, paraît Poésies complètes, « La petite Vermillon », La Table ronde, Paris, 235 p.
1999, la Bibliothèque québécoise édite au format de poche, Émile Nelligan, Biographie, de Paul Wyczynski, 345 p.
Pendant plusieurs mois, en 1995, on avait pu lire, placardé dans les stations du métro parisien et dans les autobus de la RATP, son célèbre poème « Soir d’hiver ».
Actualité de Nelligan :
– Diverses éditions de l’œuvre poétique d’Émile Nelligan sont offertes en édition de poche chez Triptyque, chez Boréal, dans la Bibliothèque Québécoise et sous l’étiquette Typo,
– Le prix Émile-Nelligan, créé en 1979, pour célébrer le centenaire de la naissance du poète, est décerné annuellement.
– Était inauguré l’automne dernier, à la Maison des écrivains de la rue Laval à Montréal, à deux pas de la maison où Nelligan a écrit la plupart de ses poèmes, le « Salon Émile Nelligan » où se tiendront diverses manifestations à caractère littéraire.
– En 1999, l’œuvre de Nelligan continue de fasciner autant lecteurs et spécialistes. On peut constater que l’auteur du « Vaisseau d’or » vogue sur plusieurs sites Internet tout en générant des discours savants qui ne cessent de se multiplier,
– Les manifestations publiques abondent : à Montréal du 22 au 25 avril 1999 se tiendra sur la rue Saint-Denis, à la Bibliothèque nationale, au cœur du quartier nelliganien par excellence, un colloque organisé conjointement par le creliq et le cetuq intitulé « Autour de l’École littéraire de Montréal. La vie culturelle montréalaise au tournant du siècle ». Se greffent à cet événement un concert à la Chapelle du Bon Pasteur, rue Sherbrooke, et une exposition à la Bibliothèque nationale.
– Ce printemps québécois sera décidément nelliganien !
– « Où vis-je ? où vais-je ? » se demandait le poète il y a déjà un siècle cette année. « Laissez-le s’en aller ; c’est un rêveur qui passe », répond son œuvre en écho…