En 2013, les zombies sont partout. Pas seulement dans les jeux vidéo, à la télévision, au cinéma, dans les bandes dessinées ou sur le Web. Ils font également leur apparition au rayon « essais » des librairies. Trois auteurs québécois ont participé au mouvement.
Chez les Anglo-Saxons, le phénomène n’a rien de nouveau : des essais universitaires tout à fait sérieux sont consacrés à la figure du mort-vivant anthropophage depuis quelques années. Outre-mer, l’ouvrage de 2009 de Julien Bétan et Raphaël Colson, Zombies !, qui vient de susciter une nouvelle édition augmentée, est en voie de s’imposer comme une référence. Au départ, le zombie intéressait les chercheurs en tant qu’icône du cinéma d’horreur. Puis, à l’ère des zombies walks, l’engouement populaire pour ces cadavres ambulants est devenu un véritable phénomène de société. Jusqu’à tout récemment, le Québec était peu touché par la déferlante zombie. Or, avec la parution coup sur coup des ouvrages de Maxime Coulombe, d’Amélie Pepin et de Vincent Paris, force est d’admettre que la contagion a gagné la Belle Province.
Zombie or not to be
Des trois ouvrages, c’est Petite philosophie du zombie1 qui présente la plus solide armature théorique. Sociologue et professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université Laval, Maxime Coulombe s’intéresse aux zombies après s’être penché sur l’imaginaire du post-humain et sur l’univers vidéoludique. S’appuyant sur Kant, Bakhtine, Freud, Warburg, Lacan et Agamben notamment, l’auteur se sert du zombie comme d’un Virgile, c’est-à-dire d’« un guide pour regarder notre société occidentale ». S’ouvrant et se concluant par une scène typique – mais tout à fait inutile – d’un film de zombies, Petite philosophie du zombie promène un regard intelligent sur les morts-vivants et la possibilité, par leur entremise, de « penser par l’horreur ». Certaines affirmations sont discutables, par exemple lorsque l’auteur soutient que « […] Orgueil et préjugés et zombies de Seth Grahame-Smith, largement inspiré du roman de Jane Austen, a connu, malgré sa médiocrité, un succès planétaire ». Non seulement l’auteur émet-il un jugement à l’emporte-pièce, mais il omet d’expliquer que le livre de Grahame-Smith relève de la technique du mash-up, détournement créatif d’un classique littéraire. Jules Verne, Lewis Carroll et Franz Kafka ont eux aussi subi le même traitement. Ce n’est pas la seule entorse du genre. Le livre de William Seabrook (orthographié à tort « Seebrook »), The Magic Island (1929), est qualifié de roman, alors qu’il s’agit d’un document ethnologique. Ces réserves exceptées, le livre de Coulombe reste assez lumineux. « Il n’est de zombies, écrit l’auteur, que sur fond de représentations apocalyptiques de villes en ruines, dévastées. » Guerres bactériologiques, tsunamis, pandémie de SARS ou de H1N1 – le zombie est un puissant symbole de nos grandes inquiétudes.
Des histoires à mourir debout
Dans son roman Le protocole Reston (Coups de tête, 2009), Mathieu Fortin décrit les efforts d’un professeur de cégep pour repousser une horde de zombies. Geste prémonitoire ? Zombie, Le mort-vivant autopsié2 et Zombies, Sociologie des morts-vivants3 sont tous les deux l’œuvre d’enseignants au collégial. Dans le premier ouvrage, Amélie Pepin part du principe que le zombie n’est pas un phénomène de mode, mais qu’il correspond à des peurs très anciennes tapies en nous. Un premier chapitre esquisse un portrait du zombie à partir de ses origines religieuses, mythologiques et folkloriques. Les trois chapitres suivants se concentrent chacun sur un film-culte : White Zombie (1932) de Victor Halperin, Dawn of the Dead (1978) de George A. Romero et 28 Days Later (2002) de Danny Boyle. Entre les chapitres, Pepin a inséré une rubrique « Un peu de cinéma » dans laquelle elle énumère et critique sommairement une sélection de films de zombies. Liant la fascination pour les morts-vivants avec les trois peurs universelles que sont la mort, la fin du monde et la déshumanisation, l’auteure insiste moins que Coulombe sur le caractère foncièrement apocalyptique du zombie. Elle émet un parallèle pertinent avec les westerns, mais sans élaborer. À part un usage lassant de la formule « Traduction libre » à la fin des citations, son livre se lit comme il a sans doute été écrit : vite et bien.
Il en va autrement de l’ouvrage de Vincent Paris, qui affirme avoir écrit « [c]et essai de sociologie sur les morts-vivants […] pendant le mouvement de contestation étudiante de 2012 ». Pour être gentil, on pourrait dire que seule la dernière partie de cet énoncé paraît exacte. Qualifier cet ouvrage d’« essai de sociologie » est en effet exagéré. À part quelques définitions générales mal intégrées au propos principal, le livre de Paris n’a de sociologique que le titre. Les anecdotes divertissantes abondent, que ce soit au sujet de la « Zombie Research Society », qui réunit aux États-Unis des psychiatres, des politologues et des biologistes, ou encore à propos de Rick Genest, alias « Zombie Boy », ce jeune homme originaire de Châteauguay dont le corps est à 80 % tatoué d’un squelette. Or, sur le plan argumentatif, le livre de Paris accumule les maladresses. Par exemple, la question « D’où sortent les morts-vivants ? » est posée trop tard (p. 83). D’un rapprochement boiteux avec l’affaire Magnotta à la déformation du titre du roman (incontournable ici) de Richard Matheson, I am Legend, rebaptisé I am a Legend, du manque de méthode à l’absence d’une réelle prise de position, cet essai nous laisse sur notre faim, même si l’humour dont l’auteur fait preuve nous rend ce dernier sympathique. La préface de Nicolas Dickner et les illustrations de Kevin Massé sont toutefois une plus-value.
1. Maxime Coulombe, Petite philosophie du zombie, Presses Universitaires de France, Paris, 2012, 152 p. ; 24,95 $.
2. Amélie Pepin, Zombie, Le mort-vivant autopsié, Les Intouchables, Montréal, 2013, 123 p. ; 14,95 $.
3. Vincent Paris, Zombies, Sociologie des morts-vivants, XYZ, Montréal, 2013, 163 p. ; 21,95 $.
4. Ibid., p. 18-19.
EXTRAITS
Le zombie représente la mort, certes, mais il est également un amalgame des instincts primitifs de l’être humain, tout ce que l’homme tente de refouler. Devenir un zombie signifie à la fois mourir et se voir imposer une errance sans fin dans un corps privé de sa dignité, de son autonomie, bref de son humanité.
Amélie Pepin, Zombie, Le mort-vivant autopsié, p. 45.
[L]e zombie, en revenant à la vie, nous force à regarder l’un des grands tabous – peut-être le plus grand – de notre époque : la mort. Si notre époque ne sait plus donner sens à la fatalité et préfère la dénier, la refouler, plutôt que d’en faire une partie et une condition de la vie, le zombie, comme une singulière ironie, comme une vengeance ridicule, incarne ce retour d’une mort insensée et vide. Il nous confronte à ce que nous préférons ne pas voir, et nous amuse en représentant le franchissement d’un interdit. Si notre culture fantasme et s’obsède d’un corps maîtrisé et lisse, jeune et beau, le zombie répond de sa chair horrible et grouillante.
Maxime Coulombe, Petite philosophie du zombie, p. 14.
Entre le zombie haïtien et le zombie de Romero, il y a, littéralement, un monde. Le zombie n’est plus un vivant que l’on prendrait pour un mort, mais bien l’inverse : il est un mort paraissant vivant. Un presque-vivant. Il erre désormais sans but, laissé à lui-même. Le zombie est toujours cette créature sans esprit, lente et bête, mais désormais sans guide. Il ne sort de son apathie qu’en présence d’un humain, ce n’est qu’alors que son ultime, que sa plus simple volonté surgit : dévorer les vivants.
Maxime Coulombe, Petite philosophie du zombie, p. 26.
[…] Zombie Boy, en incarnant le mort-vivant, lance une injonction paradoxale qui va à l’encontre du bon sens : je suis mort et je suis vivant à la fois.
Vincent Paris, Zombies, Sociologie des morts-vivants, p. 82.