Romans ou essais, appropriations de l’histoire ou de l’actualité, une multitude de livres récents aident à situer le Québec dans le temps, l’espace, la vie des cultures et des nations.
Miroirs et comparaisons
Florian Sauvageau, David Schneiderman et David Taras
LA COUR SUPRÊME DU CANADA ET LES MÉDIAS
À QUI LE DERNIER MOT ?
Presses de l’Université Laval, Québec, 2006, 326 p. ; 30 $
Dès le départ, question précise : ce sont les médias qui répercutent les décisions de la Cour suprême, mais leurs façons de le faire en favorisent-elles l’intelligence ? En termes mesurés, multipliant les vérifications et consultant les professionnels impliqués, les auteurs notent un fossé. D’une part, la presse, qui demande à ses généralistes de résumer une décision judiciaire aux connotations codées, résume souvent mal la pensée des magistrats. D’autre part, il serait futile d’espérer que les médias investissent temps et argent dans la « couverture » d’un tribunal qui parle à son rythme et dans sa langue. D’où – il fallait y penser ! – l’idée de loger entre la Cour et les médias un personnage rompu aux subtilités judiciaires et capable de les faire percevoir aux journalistes. L’enquête dont ce bouquin révèle la substance n’est modeste qu’en apparence.
Roméo Bouchard
Y A-T-IL UN AVENIR POUR LES RÉGIONS ?
UN PROJET D’OCCUPATION DU TERRITOIRE
Écosociété, Montréal, 2006, 224 p. ; 22 $
Les valeurs que défend depuis toujours Roméo Bouchard sont de celles que bousculent les engouements présents. Si la fébrile évaluation moderne impose sa logique immédiate et quantitative, les régions ont, en effet, tout à craindre. Elles demandent pourtant bien peu. Avant tout, qu’on cesse de les piller. Puis, que les réformes, qui ont secoué l’administration municipale, rejoignent aussi les régions excentriques pour leur faciliter des regroupements sur mesure. Ce que les grands centres obtiennent en promettant des économies d’échelle, les régions devraient en bénéficier au nom de la nécessité pour une société d’occuper la totalité de son territoire et de laisser vivre différents modèles. Concrètement, cela veut dire permettre aux régions « d’avoir la parole et les pouvoirs nécessaires pour exercer une gestion intégrée de leur territoire respectif », favoriser « la mise en place d’un modèle d’économie régionale basé sur les ressources et les caractéristiques propres de ces régions », assurer « une offre de services qui garantisse aux régionaux une qualité de vie comparable à celles des régions urbaines et aux régions concernées une force d’attraction suffisante ». Impossible ? Utopique ? La volte-face gênante que l’histoire vient d’infliger aux gouvernements dits supérieurs à propos de Mirabel devrait les rendre prudents.
Sous la dir. de Jean Crête
POLITIQUES PUBLIQUES : LE QUÉBEC COMPARÉ
Presses de l’Université Laval, Québec, 2006, 285 p. ; 35 $
Toute comparaison cloche, dit le proverbe. Elles sont pourtant utiles. À condition, dit un autre cliché, que les pommes se mesurent à des pommes. À condition, en plus, que la comparaison soit éclairante. Les parallèles effectués par l’équipe de Jean Crête résistent presque tous à ce double test. Parmi les plus fascinants, l’un porte sur la gestion des matières résiduelles, un autre sur la compétence civique. Dans le premier cas, on découvre que le Québec s’intéresse au recyclage, mais assez peu au volume des matières résiduelles ! Quant aux comparaisons d’Henry Milner entre le Québec, le Canada et d’autres pays, elles ne justifient ni la dépression ni la complaisance. « De façon générale, les Québécois s’intéressent davantage à la politique et sont plus engagés dans les partis et les syndicats que les Canadiens des autres provinces », mais « le niveau de participation aux organisations bénévoles est sensiblement plus faible dans le Québec qu’ailleurs au Canada ». D’autres comparaisons laissent le lecteur sur sa faim. Il est vrai que le Collège des médecins, qui compte quatre représentants du public parmi les vingt-huit membres de son conseil, « n’apparaît donc pas comme un lieu de délibération qui admet une large éventail d’opinions », mais pourquoi oublier que jamais les représentants du public n’ont fait rapport à ce public ? De même, l’étude portant sur « l’utilisation de la recherche universitaire dans la fonction publique fédérale et provinciale au Québec et en Ontario » conclut qu’elle est sous-utilisée, mais escamote une hypothèse délicate : cette recherche manque-t-elle de pertinence ?
Joseph Facal
VOLONTÉ POLITIQUE ET POUVOIR MÉDICAL
LA NAISSANCE DE L’ASSURANCE-MALADIE AU QUÉBEC ET AUX ÉTATS-UNIS
Boréal, Montréal, 2006, 353 p. ; 29,95 $
Travail ambitieux et utile que celui de comparer les genèses des régimes d’assurance-santé du Québec et des États-Unis. Rares sont ceux qui refermeront le bouquin de Joseph Facal en n’y ayant rien appris. La recherche, en effet, est méticuleuse, sereine, attentive aux parentés comme aux dissemblances. Honnête, l’auteur torpille lui-même plusieurs des hypothèses du départ. Dans tel cas, le hasard fait mieux que les stratégies plus songées. Dans tel autre, la réforme survit au manque de charisme du « porteur de ballon ». Joseph Facal dégage quand même avec force deux constats peu enthousiasmants. D’une part, les deux réformes ont été interceptées par la profession médicale. D’autre part, le résultat final ressemble peu au projet initial. Si, malgré tout, le modèle québécois a mieux défendu l’idéal du départ, c’est que la profession médicale est un peu plus fragmentée en terre québécoise. On affectera d’un bémol les louanges que Joseph Facal déverse sur Claude Castonguay. Il eut le mérite de proposer une réforme et le tort de la revoir à la baisse. Le ministre Castonguay s’est largement dissocié du rapport Castonguay.
Un Québec sollicité par le large
Le Québec revendique depuis déjà longtemps une place sur la scène internationale. Plusieurs ouvrages récents en font foi.
André Patry
LE QUÉBEC DANS LE MONDE
1960-1980
Typo, Montréal, 2006, 151 p. ; 19,95 $
Bien que remaniée, l’édition 2006 du classique d’André Patry remet en lumière un document capital sur la diplomatie québécoise. Patry sait de quoi il parle et parle sans détour. Il remonte à 1816 et rappelle que le Bas-Canada ouvrit alors une agence à Londres. Il rigole en racontant les premiers gestes d’Ottawa, en 1960, en faveur de la francophonie : « Herbert Moran, ancien haut-commissaire au Pakistan, est unilingue et peu réceptif à la sensibilité latine. Mais c’est un homme diligent et méthodique, et il finira avec le temps par accorder une attention sérieuse à ce programme francophone ». Même mordant au moment de jauger tel régime : « Cet intérêt se maintiendra sous le gouvernement suivant, malgré la politique incohérente et souvent incompréhensible du gouvernement canadien envers les pays de cette région ». « L’Afrique, précise Patry, demeure l’entrepôt du fédéralisme canadien. Partout des verrous. On croirait que le salut de la constitution canadienne, dans sa version victorienne, se joue quelque part entre Nouadhibou et Curepipe. » Documenté et délectable.
Sous la dir. de Stéphane Paquin
HISTOIRE DES RELATIONS INTERNATIONALES DU QUÉBEC
VLB, Montréal, 2006, 365 p. ; 29,95 $
L’admiration s’impose tant foisonnent les angles d’observation. Certains dossiers, comme celui de l’ACCT ou du « Vive le Québec libre ! », se renouvellent peu, mais d’autres ont la fraîcheur du peu familier. Ainsi, « le retour du Québec en Chine », « la bataille de Londres » lors du rapatriement de la constitution canadienne, « la diplomatie préréférendaire » animée par Jacques Parizeau et bonifiée par Valéry Giscard d’Estaing… La doctrine Gérin-Lajoie (qui provient pour une part d’André Patry) bénéficie d’un acte de naissance plus fidèle à la vérité historique. Des personnes au rôle ignoré, comme John Ciaccia, reçoivent leur dû.
Ce survol des relations internationales du Québec prouve à la fois la constance du projet québécois et l’irascibilité du gouvernement central. Pas question que le Québec s’exprime sur la scène internationale, même si, à toutes fins utiles, les Cris purent défendre leur cause jusqu’à la porte de l’ONU. La doctrine Gérin-Lajoie, bien que portée par tous les gouvernants québécois, tarde à produire ses fruits.
Sous la dir. d’Alain-G. Gagnon
LE FÉDÉRALISME CANADIEN CONTEMPORAIN
FONDEMENTS, TRADITIONS, INSTITUTIONS
Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 2006, 603 p. ; 44,95 $
Présumant que le moderne se ressent des aléas de sa naissance, ce remarquable ouvrage collectif s’ouvre sur « la genèse de l’idée fédérale chez les pères fondateurs américains et canadiens ». Il terminera son parcours en zone d’actualité : « Les villes dans le système intergouvernemental canadien », « Vers un fédéralisme postcolonial ? », « Les modèles asymétriques au Canada et en Espagne ». Imperturbables, deux orientations s’affrontent. D’une part, Québec veut assumer partout les responsabilités qui sont siennes à l’intérieur du Canada ; d’autre part, le fédéralisme à la Trudeau réserve au seul gouvernement central le droit de parler. La question émerge : que reste-t-il du fédéralisme ?
Les mérites de ce travail sont nombreux. Le premier est de verser un contenu dans les termes dont usent les médias sans en préciser les contours. Le déséquilibre fiscal cesse d’être une nébuleuse. L’union sociale canadienne devient un enjeu défini. À l’inverse, le fameux « pouvoir de dépenser » doit avouer son absence dans les textes constitutionnels. Un deuxième mérite, c’est celui d’une franchise affranchie de la rectitude politique. Le texte d’Andrée Lajoie, « Le fédéralisme au Canada : provinces et minorités, même combat », en témoigne : « Il s’agit donc d’un envahissement par les autorités fédérales des compétences provinciales – ou, dans le cas de partenariats imposés, d’une vente au secteur privé des compétences provinciales par les autorités fédérales ».
Frédéric Bastien
LE POIDS DE LA COOPÉRATION : LE RAPPORT FRANCE-QUÉBEC
Québec Amérique, Montréal, 2006, 275 p. ; 24,95 $
Le précédent ouvrage de Frédéric Bastien avait fourni une précieuse évaluation des relations France-Québec. Les faits étaient nets, les affirmations étayées, les coups de griffes mesurés. Malgré ses mérites, le nouvel ouvrage n’égale pas le « coup d’essai ».
Le vocabulaire souffre d’inflation. Certes, la France succombe rarement au complexe d’infériorité, mais parler de « messianisme français » est excessif. Coquilles et distractions déparent le bouquin. Saint-Bruno devient Saint-Briens, le consulat français de Québec naît en 1850 plutôt qu’en 1859, la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec (CRÉPUQ) devient le CRÉPUQ et regrouperait les « recteurs des établissements d’enseignement professionnel et des Universités du Québec ». On regrettera des expressions comme « un dénommé Laurent Fabius » ou « l’ineffable Pierre Pettigrew ». Ce n’est pas le lieu.
Frédéric Bastien, fort du succès mérité de son premier livre, passe ici à la vitesse supérieure, celle où les jugements de valeur s’ajoutent aux comptes rendus. Ce n’est pas un mal, à condition que les opinions soient mieux fondées que celles qui concernent Jean Charest ou Anne Légaré. Pour ces motifs, je préfère le chroniqueur à l’éditorialiste.
Sous la dir. d’Yvan Lamonde et Didier Poton
LA CAPRICIEUSE (1855) : POUPE ET PROUE
LES RELATIONS FRANCE-QUÉBEC (1760-1914)
Presses de l’Université Laval, Québec, 2006, 379 p. ; 32 $
« Lieu de mémoire », malentendu voulu ou prétexte à colloque, l’arrivée de la corvette française La Capricieuse dans le Saint-Laurent en 1855 fait penser à l’auberge espagnole. L’événement illustre le changement survenu dans les relations Paris-Londres : les belligérants sont devenus partenaires. À condition d’y mettre les formes, un pavillon français dans les eaux canadiennes ne cause aucun souci à Londres. Et sur les formes, Paris ne lésine pas : dix fois plutôt qu’une, le commandant de La Capricieuse est avisé que le commerce seul motive son expédition. Les Québécois, eux, liront l’événement comme un signe d’affection de leur oublieuse métropole.
L’occasion permettait de dire que, malgré l’anémie du commerce entre Paris et Québec, le siècle d’absence avait permis des fréquentations. Oui, l’imprimé circulait. Oui, lettrés et libraires se visitaient. Oui, les demandes québécoises recevaient bon accueil dans les banques françaises. Par contre, il n’est pas dit que les Québécois avaient bien compris 1789. Les communautés religieuses françaises, de vieille souche ou de création récente, en avaient profité pour s’implanter au Québec. Le dossier étoffé de Guy Laperrière le démontre sans insister sur La Capricieuse…
Qui compose la Cité ?
Martin Pâquet
TRACER LES MARGES DE LA CITÉ
ÉTRANGER, IMMIGRANT ET ÉTAT AU QUÉBEC, 1627-1981
Boréal, Montréal, 2005, 317 p. ; 25,95 $
Dans une langue où rivalisent rigueur et élégance, Martin Pâquet raconte trois cent cinquante ans d’histoire. D’entrée de jeu, la visière est levée. Il entend « préciser les contours de l’objet étudié – la formation de la pensée d’État -, le terrain d’enquête privilégié – l’histoire de la culture politique au Québec entre 1627 et 1981 -, ainsi que la méthodologie de l’enquête – celle de l’anthropologie historique ». L’auteur tiendra parole.
Au début, monarchie oblige, l’allégeance définit l’individu. Dépend-il de tel roi qu’il en devient le sujet. Sont du coup rejetés ceux dont l’allégeance va à un autre. Heureusement (?), la guerre peut modifier le cours des choses : « […] la capitulation transforme instantanément la nature des individus ». Tel est le sens des serments exigés : ils légitiment les changements d’allégeance et remodèlent la Cité. L’étape suivante changera le tamis. « À la fin des guerres napoléoniennes, écrit Pâquet, les autorités coloniales du Bas-Canada ne catégorisent plus l’étranger selon la nature théologico-politique de l’allégeance au souverain. Désormais, elles privilégient l’origine, le lieu de naissance, critère jugé plus objectif et plus rationnel. » Si la Cité veut gonfler ses effectifs, elle choisira ceux qui épousent ses valeurs. Pâquet use d’une formule lapidaire : « En matière d’immigration, l’État a plus de gésier que de cœur ». Les critères fluctuent, la Cité demeure sélective.
Synthèse aussi ample que nuancée, charnières justifiées, vocabulaire raffiné et savoureux. Le bouquin se referme sur un hommage mérité à l’ex-ministre Jacques Couture, un humain allergique à l’exclusion. Une prochaine édition rendra le prénom de leur enfance aux ministres Mario Cardinal (alias Jean-Guy, p. 199) et à Antonio Rivard (alias Antoine, p. 181).
Guillaume Rousseau
LA NATION À L’ÉPREUVE DE L’IMMIGRATION
LE CAS DU CANADA, DU QUÉBEC ET DE LA FRANCE
Du Québécois, Québec, 2006, 158 p. ; 18,95 $
Le bouquin est court, articulé, documenté, capable de mémoire autant que d’audace. Il tombe pile pour étoffer le débat qui oppose, soit dit avec simplisme, homogénéité et multiculturalisme. Entre les deux, Québec navigue. « La spécificité du modèle québécois semblait découler du fait qu’il était animé par une volonté pragmatique de concilier autant que possible tous les droits, alors que l’intégration républicaine faisait primer le principe abstrait de la laïcité et que le multiculturalisme renforçait la liberté de religion au point où elle prenait le pas sur les autres droits. » Accommodements raisonnables ?
Rousseau ne se berce pas d’illusions. Astreindre le palier collégial à la loi 101 n’est pas chose faite. Réduire les subventions aux écoles privées non plus. La clarté et le professionnalisme de l’auteur imposent pourtant le respect. Son insistance sur le volet linguistique prouve qu’à ses yeux la langue est le plus puissant facteur de cohésion sociale. Admettons-le, en rappelant, à partir du résultat français, que d’autres forces ont contribué à imposer l’homogénéité. Le service militaire par exemple.
Chantal Théry
DE PLUME ET D’AUDACE
FEMMES DE LA NOUVELLE-FRANCE
Triptyque, Montréal/Cerf, Paris, 2006, 252 p. ; 25 $
Grâce à des enquêtes comme celle-ci, les femmes de la Nouvelle-France, y compris les religieuses, reçoivent leur dû. On ne pourra plus considérer les immenses figures féminines de la colonie comme de dociles satellites gravitant autour des gouverneurs, des évêques et des cols romains. Construire, gérer, éduquer, soigner, éditer, résister aux hiérarchies, voilà qui leur vaudrait aujourd’hui l’admiration des chantres de l’entrepreneurship.
Cela dit, était-il nécessaire, pour ajuster la balance, de tant enlaidir les mâles de l’époque ? Mgr de Laval ou Frontenac n’étaient-ils pas assez antipathiques ? Puisque l’époque avalisait la vanité masculine, comment reprocher au narrateur immergé dans ce temps l’idée de nommer les mâles en premier ? D’ailleurs, que valent les griefs entretenus contre tel jésuite si les religieuses assènent des verdicts aussi radicaux ? « Les hospitalières, nous dit-on, seront très sévères à l’égard de celles (de leurs compagnes) qu’elles considèrent comme des déserteurs. » Terme terrible. Quand un Iroquois soigné à l’hôpital coince une femme entre une porte et une armoire, il faut, certes, compatir, mais le commentaire qui suit fait sursauter : « On évoque plus volontiers les martyrs jésuites que le lourd tribut humain payé par les hospitalières ». Quant à la spiritualité de Marie Guyart, la prudence suggérerait une voie mitoyenne entre un dédain qu’elle ne mérite pas et l’endossement d’un mysticisme parfois bizarre.
Lectures et relectures
Jacques Cardinal
LA PAIX DES BRAVES
UNE LECTURE POLITIQUE DES ANCIENS CANADIENS DE PHILIPPE AUBERT DE GASPÉ
XYZ, Montréal, 2005, 207 p. ; 24 $
En un sens, Philippe Aubert de Gaspé n’a que lui à blâmer si son roman a été sous-estimé : il s’est lui-même déprécié ! Jacques Cardinal fait donc œuvre utile en remettant en lumière l’essentiel de son propos. Car, plus qu’une évocation passéiste, Les anciens Canadiens constitue un appel pressant à la réconciliation. Maints arguments y militent en faveur du pardon : le jeune Écossais qui a incendié le manoir devait ou obéir ou déserter, il avait sauvé la vie d’un membre de la famille, il avait obtenu de l’occupant anglais un sursis pour la famille dépossédée, il était, en plus, catholique…
L’art de Philippe Aubert de Gaspé, ce fut de rendre désirable le retour des belligérants au respect et même à l’amitié. Celui de Cardinal, c’est de ranimer, au creux d’un roman qui risquait le sort d’un reliquaire, l’utopie qui motivait Philippe Aubert de Gaspé. Cardinal ne prétend pas avoir été le seul à avoir bien lu ; on lui doit d’avoir protégé le message contre la distorsion.
Sous la dir. de Mounia Benalil et Janusz Przychodzen
IDENTITÉS HYBRIDES
ORIENT ET ORIENTALISME AU QUÉBEC
Université de Montréal, Montréal, 2006, 202 p. ; 20 $
L’Orient existe-t-il dans l’imaginaire québécois ? La réponse, chez la plupart d’entre nous, serait évasive. Pourtant, à la lecture de ce collectif, le Québec se révèle souvent touché par l’Orient. Les responsables de ce bilan ont eu l’intelligence de demander aux différents auteurs un éclairage circonscrit plutôt qu’une complémentarité artificielle. Missionnaires et diplomates ont fréquenté un Orient différent de celui qui a pu inspirer Borduas. Le Nô de Robert Lepage a exigé la plongée dans le théâtre japonais, tandis que les auteurs Ying Chen, Guy Parent, Ook Chung et Aki Shimazaki situent leurs Chinatown à leur gré ou, tout simplement, loin de tout cadastre. Naïm Kattan, juif francophone élevé à Bagdad, construit, pour lui et pour nous, un espace culturel préoccupé du réel, du temps et de l’Autre. « On est toujours l’Oriental de quelqu’un », aime-t-il à dire. Victor Teboul, juif de culture arabe, proposera sa propre réflexion identitaire. Les nouvelles de Marie José Thériault et la poésie de Serge Patrice Thibodeau renforceront une conviction qui s’est ancrée au fil des pages : l’Orient, concret ou imaginé, n’est pas si loin.
Univers juifs
Malka Zipora
LEKHAIM !
CHRONIQUES DE LA VIE HASSIDIQUE À MONTRÉAL
Trad. de l’anglais par Pierre Anctil
Du passage, Outremont, 2006, 173 p. ; 19,95 $
Le livre respecte le sous-titre. Deux douzaines de chroniques racontent avec un bel humour maternel la vie hassidique à Montréal. Les discussions ? Elles portent sur la transmission des vêtements, les embouteillages autour du téléphone, les célébrations rituelles des fêtes qui ponctuent l’année… N’importe quelle famille se reconnaîtra dans ces textes de quatre ou cinq pages chacun. À une exception : la vie hassidique maintient la foi juive au cœur du quotidien et aucune dérogation ne semble en vue. S’il faut deux fours pour séparer produits carnés et produits lactés, il y aura deux fours. Si le rappel de la traversée du désert exige que la souca, abri de fortune, soit érigée chaque année, la famille la construira. « Il y a peu de chances, écrit l’auteure sans jamais douter de son droit, que les gens d’Outremont perçoivent dans ‘la chose’ plus qu’un amas de détritus, surtout après ces huit jours durant lesquels la cabane a déparé le quartier. » En quatrième de couverture, la justification se suffit : « Nous vivons, si je puis me permettre cette métaphore, les rideaux fermés sur le monde extérieur ». Même le lecteur qu’impatienterait l’avalanche de termes empruntés à un autre univers ne peut que sourire quand les rideaux s’entrouvrent.
Marc-Alain Wolf
KIPPOUR
Triptyque, Montréal, 2006, 266 p. ; 23 $
Écrivain réfléchi et pénétrant, Marc-Alain Wolf passe pour la première fois de l’essai au roman. Il y investit son sens de la nuance, l’aptitude à juxtaposer des sensibilités diverses, l’art de moduler le rythme stylistique. Dès le départ, Wolf fournit ce qui est (peut-être) une clé : « Il a lu dernièrement, dans un magazine littéraire, un article mentionnant que Stendhal écrivait pour faire taire la parole des autres en lui. […] Faire taire en soi la parole des autres. La voix des autres. Mais de qui au juste ? » Lorsque, quelques pages plus loin, le narrateur s’identifie, on mesure le défi : « C’est à dix-neuf heures quinze, le dimanche 15 septembre 2002, que Zaccharias Lemieux, accompagné de ses deux enfants, pénétra dans le sanctuaire principal de la synagogue hispano-portugaise. La Spanish and Portuguese ». Un Zaccharias juif, un Lemieux québécois, une synagogue perpétuant à Montréal une foi enracinée dans la péninsule ibérique, « la parole des autres » en a beaucoup à dire. Comme Lemieux, à l’exemple de Wolf, est psychiatre, il n’a besoin de personne pour cultiver les interrogations. Pourquoi respecter le Kippour ? Et pourquoi « déteste-t-il tant son nom » ?
L’écriture choisie par Wolf est fiévreuse. Les phrases sont souvent brèves, syncopées, dispensées de rattachement. La culture du psychiatre s’insinue pour évoquer le lien possible entre son intérêt professionnel pour l’Alzheimer et l’exigeante mémoire juive. Elle rappelle aussi le cruel diagnostic de Lacan sur le Nom de la mère. Étrange et prenant. Vertigineux et honnête.
Univers amérindiens
Sous la dir. d’Anna Paola Mossetto et Isabelle Miron
PAROLES ET IMAGES AMÉRINDIENNES DU QUÉBEC
Pendragon, Bologne, 2005, 167 p.
En lisant le compte rendu du séminaire tenu en 2004 au Centro Interuniversitario di Studi Quebecchesi de l’Université de Bologne et intitulé Paroles et images amérindiennes du Québec, le lecteur nord-américain devra contenir son ambivalence. Que peut-on voir quand on regarde de si loin ? Pourtant, l’ouverture d’esprit est au poste et le recours est constant aux témoins fiables que sont Rémi Savard, Serge Bouchard, Jean-Jacques Simard, Bernard Assiniwi ou Michel Noël. Il n’en demeure pas moins que Lévy-Strauss n’a pas fait disparaître la propension aux certitudes ethnocentristes. « […] je suis convaincue, écrit une auteure européenne, que la distance permet de regarder les choses et les événements de façon plus objective. De loin, on peut plus facilement comparer, car l’implication émotive est moindre. » Peut-être. Que le doute demeure permis. On peut même sourciller, en pensant à Riel et au pays que les Métis croyaient se construire au Manitoba, en lisant ceci : « Le Canada en général et le Québec n’ont pas connu la triste expérience des guerres indiennes de la fin du XIXe siècle qui a au contraire marqué les États-Unis et d’autres lieux latino-américains ».
Ne doutons pas du professionnalisme d’un tel séminaire, mais sachons que la pire illusion consiste à croire qu’on les a toutes vaincues.
Maurizio Gatti
ÊTRE ÉCRIVAIN AMÉRINDIEN AU QUÉBEC
INDIANITÉ ET CRÉATION LITTÉRAIRE
Hurtubise HMH, Montréal, 2006, 218 p. ; 24,95 $
Maurizio Gatti me surprendra toujours. Le préfacier François Paré, toujours sensible aux « littératures de l’exiguïté », vante sa contribution : « […] c’est un Italien de naissance, venu étudier le Québec par le biais de ses marges, qui nous aura aussi fait découvrir de nombreux autres auteurs autochtones ». Or, Gatti persiste. Tantôt par de nouveaux chantiers, tantôt en creusant des intuitions déjà offertes à la discussion. Cette fois encore, il cherche à « typer » l’écrivain autochtone. « Est-ce par une exigence personnelle, un choix politique, une contrainte éditoriale, une demande des lecteurs ? » Gatti choisit ses parallèles. Comparer la littérature amérindienne anglophone et celle qui se crée en français au Québec ne le séduit pas. En revanche, Charles Taylor l’intéresse, car il interroge à la fois l’identité collective et celle de l’individu. Avec minutie, l’auteur décortique la Loi sur les Indiens. De même, il réfère souvent à Albert Memmi, à ses observations sur les stratégies coloniales et au risque que courent certains Amérindiens d’assumer le portrait créé d’eux par les Européens. Il débouche ainsi, en bonne logique, sur une large gamme de « stratégies de consécration ». Certaines semblent prometteuses, d’autres plutôt problématiques.
Arnaud Balvay
L’ÉPÉE ET LA PLUME
AMÉRINDIENS ET SOLDATS DES TROUPES DE LA MARINE EN LOUISIANE ET AU PAYS D’EN HAUT (1683-1763)
Presses de l’Université Laval, Québec, 2006, 345 p. ; 40 $
Le titre, malgré sa précision et peut-être à cause d’elle, risque d’effrayer. Ce serait dommage, car Arnaud Balvay livre avec clarté et rigueur une masse d’informations rarement regroupées. Il rattache (mieux que notre nombrilisme québécois) la Louisiane et le Pays d’en Haut. Il évalue les stratégies d’occupation et surtout les forts. Il constate que la France ne cherche pas l’implantation. Quant aux troupes expédiées par la France, Balvay est net : « […] les militaires envoyés par la France en Amérique du Nord entre 1683 et 1755 appartiennent tous aux troupes de la marine ». C’est à eux d’abord que l’auteur s’intéresse. Ces soldats vivront longuement dans des endroits secoués par tous les commerces. Ils sont si mal approvisionnés qu’ils doivent tout aux Autochtones. La traite, plus qu’une preuve de cupidité, est une condition de survie. Mariages, unions « à la mode du pays » et métissages s’ensuivront. Les missionnaires regardent ailleurs ou régularisent les choses… un ou deux enfants plus tard. Même les stratégies militaires se compénètrent, jusqu’à ce que la « petite guerre » à l’indienne et la « grande guerre » à la Montcalm s’emboîtent. Malgré l’osmose, certains traits marquent toujours la société autochtone. Balvay fait voir que jamais l’Autochtone ne renonce à son autonomie. Les chefs autochtones paraissent inutiles à Vaudreuil, car « ils n’ont aucun pouvoir coercitif sur leurs concitoyens et sont donc incapables de relayer les ordres qu’ils pourraient recevoir des Français ».
Le travail de Balvay est de ceux devant lesquels on s’incline en hochant la tête : « Comment diable a-t-il fait ? »
Sans oublier le Saint-Laurent
André Morin et Christian Lamontagne
VU DU LARGE
LE SAINT-LAURENT AUX GRANDES EAUX
Trois-Pistoles, Trois-Pistoles, 2006, 213 p. ; 59,95 $
Ne lésinons pas : voici une merveille. C’est beau, intelligent, socialement utile, pressant sans catastrophisme, culturellement prenant et dépaysant, porteur de mythes, décloisonné jusqu’à la cohabitation des genres littéraires… Ce que montrait la série télévisée Vu du large, cet album en permet la sereine dégustation. Bienvenue dans l’univers de Magtogoëk le chemin qui marche, ce fleuve géant que fragilisent les abus humains ! Telle page est poésie, une autre plonge dans la mythologie, telle autre fait craindre la disparition de centaines d’espèces et le déferlement de la pollution meurtrière… Et toujours file le Sedna IV. Véritable pélerinage en hommage au fleuve-océan qui engendre un pays. Superbe.