On connaît tous la fin tragique et absurde d’Albert Camus, alors qu’il n’avait que 46 ans. Arthur Koestler, pour ouvrir son Testament espagnol (1939), citait André Malraux : « […] Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie ». L’ouvrage que Pierre-Louis Rey1 nous offre ici présente une vie curieusement exemplaire…
Né le 7 novembre 1913 à Mondovi, en Algérie, Albert Camus connaîtra une enfance « placée à mi-distance du soleil et de la misère ». Jeune adolescent, c’est le football qui va le passionner. On décèlera, dès 1930, les premiers symptômes de la tuberculose. Cette maladie aura une influence déterminante sur la vie et les écrits de Camus. Il sera, en effet, constamment tiraillé entre une passion de vivre et une menace de mort. D’où la notion d’absurde et de révolte qui vont prédominer dans son œuvre. En ce qui concerne ses études, il va rapidement entrer au lycée d’Alger grâce à Louis Germain, un instituteur qui l’a remarqué. C’est la grande bibliothèque de son oncle Acault qui l’amènera à la culture venue de la « métropole » : Balzac, Dumas, Verne, Montherlant et Malraux vont l’émerveiller et Gide le décevoir avant qu’il ne découvre Les nourritures terrestres (1897). Le philosophe et essayiste Jean Grenier va grandement aider Camus à cheminer tant comme intellectuel que comme créateur. Camus s’intéressera d’abord au théâtre ; il participe à la création d’un texte collectif, Révolte dans les Asturies, portant sur les événements ayant précédé la guerre civile espagnole qui surviendra en 1936. I1 sera également acteur et metteur en scène – il montera, entre autres, le Prométhée enchaîné d’Eschyle. C’est en mai 1937 que paraîtra son premier « vrai » livre, L’envers et l’endroit. L’étranger sera mis en chantier en 1938, et Camus deviendra, en même temps, rédacteur du journal Alger républicain qui dénoncera l’arbitraire de l’administration coloniale en Kabilie : il va ainsi pratiquer un « journalisme critique ». Noces, dans lequel il évoque une fusion de la nature, de l’histoire et des mythes, sera publié en 1939. Dans cet ouvrage, c’est la nature qui semble porter en elle les enseignements les plus significatifs pour l’être humain.
Paris, 1940. Camus entre au journal Paris-Soir. Il trouve la « capitale » sale et désolante, mais c’est là qu’il va y faire des rencontres déterminantes grâce à la publication de L’étranger en mai 1942 chez Gallimard : c’est cette œuvre qui va le consacrer « écrivain de l’absurde ». Il finalisera également Le mythe de Sisyphe (1942) et la pièce de théâtre Caligula (1944) : ce seront les « trois absurdes ». Une des idées-forces de ces ouvrages est que la création sous toutes ses formes peut donner un « sens » à notre destin. C’est aussi en 1943 qu’il sera engagé comme lecteur chez Gallimard. Pendant les années noires de l’Occupation, Camus va concevoir – se sentant en « exil » dans cette métropole occupée – ce qui deviendra le grand texte qu’est La peste, cette « chronique » fictive présentée sous forme de récit. C’est après le succès de ce dernier roman publié en 1947 – qu’on a pu, avec raison, considérer comme un « miroir » des temps difficiles propres au deuxième conflit mondial ou de n’importe quelles « forces du mal »… -, alors qu’il est éditorialiste au journal Combat, qu’il sera le plus actif. C’est en 1943 qu’il rencontre Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir à Paris, à la générale des Mouches. Ce qui le mettra en contact avec l’intelligentsia parisienne comprenant autant des intellectuels que des artistes : Aragon, Elsa Triolet, Francis Ponge, Arthur Koestler, Picasso, Lacan… Et il va, on le sait, participer à ses houleux débats. On pense aux affrontements somme toute stériles entre les « existentialistes » et les « non-existentialistes », à la rupture, plus sérieuse, entre Camus et Sartre lors de la parution de L’homme révolté en 1951, qui a suscité une vague d’articles hostiles dans la presse de gauche : ce « livre d’espoir » en deviendra un de haine… Il sera suivi en 1956 de La chute, un des derniers récits très remarqués de Camus.
L’homme révolté met en relation le sentiment de 1’absurde et la nécessité de la révolte. Celle-ci peut rendre sa dignité à l’être humain – en dénonçant, par exemple, la terreur propagée par les régimes dits « révolutionnaires » -, et légitime hautement l’esthétique qui s’instaure contre toutes formes d’asservissement ou de conformisme. L’art est, à tout le moins, une manière d’être au monde… dans une « terrible époque » sans réelle morale. Ne pensons qu’à la sinistre guerre d’Algérie qui sévissait alors.
C’est un Albert Camus amer qui recevra le prix Nobel en 1957. On raconte qu’on lui aurait signifié que son œuvre était derrière lui, qu’il faisait partie du clan des « bourgeois » depuis les coups portés par André Breton, Sartre et Francis Jeanson représentant l’équipe des Temps modernes et l’intelligentsia de gauche. Il va, de plus en plus, se réfugier à Lourmarin afin de fuir les mesquineries de cette intelligentsia parisienne et mettre en forme Le premier homme qui ne sera publié qu’en 1994. C’est le 4 janvier 1960, alors qu’il quitte Lourmarin pour Paris dans la voiture de Michel Gallimard, que l’étrange accident va se produire…
1. Pierre-Louis Rey, Camus, L’homme révolté, Gallimard, Paris, 2006, 127p. ; 24,95 $.
Vient de paraître :
Jean Daniel, Avec Camus, Comment résister à l’air du temps, Gallimard, Paris, 2006, 158 p. ; 16,50 $.