Par son rythme et son entêtement, la production de Pierre Bertrand suscite des réactions d’ambivalence : s’agit-il d’un respectable approfondissement de notions sans cesse raffinées ou subissons-nous plutôt le battement répétitif d’approximations languissantes ? Après lecture d’une quinzaine de ses bouquins, j’hésite encore, séduit par une réflexion bellement éloignée des précipitations de l’époque, mais tout de même impatienté par les méandres d’une exploration qui se refuse à la synthèse.
Débuts et dégagement
L’artiste1 présente déjà plusieurs des caractéristiques qui marqueront la production : multiplication des synonymes, rareté des alinéas, juxtaposition des énoncés… Avec, en plus, le côté indûment prudent du livre inspiré par une thèse de doctorat. Ce premier Bertrand, en effet, cite à jets continus, ne réservant à l’auteur que de modestes interstices. Les cultes sont en place, les références affirmées, les relations déjà cordiales entre la philosophie et l’art. Le ton, qui ne sera jamais marqué par le doute, est ici cassant : « Tout d’abord, c’était la première fois que j’étais en contact avec quelqu’un qui travaillait. […] Ce fut une chance, une énorme chance. J’ai dit ailleurs combien je plaignais les étudiants en philosophie qui n’étaient jamais partis. Par quel maître ont-ils pu être formés ? Il n’en existe aucun ici, à ma connaissance, digne de ce nom ».
Dans Éros et liberté2, Pierre Bertrand associe à sa réflexion une dimension artistique révélatrice et heureuse, même si elle ne réhabilite pas la mise en page. Le recours aux titres et sous-titres, qui contraste avec le côté monocoque du premier ouvrage, allège trop peu un texte dense. On n’a d’ailleurs pas le sentiment que l’auteur se sente lié par les titres de l’ouvrage et des chapitres ; il lui suffit que se poursuive l’offensive contre les clichés et les conventions. Si Éros il y a, il ne blessera ici aucune pudeur : « Cet amour dont on parle tant n’est qu’un mot, un conditionnement, bien que celui-ci s’incarne dans notre chair et notre sang, se nourrisse, vampire, de notre propre vie. Il faut une grande force pour se débarrasser de ce conditionnement ».
Une cadence impressionnante
Les années passent et la productivité de Pierre Bertrand se maintient. Vie3 confirme l’importance de ce thème chez l’auteur : « Ma philosophie est une philosophie vitaliste, qui chante les louanges de la vie. En même temps qu’elle est une philosophie pratique, intéressée par une seule question : comment vivre ? » Dans le texte « La fiction comme exil » qu’il fournit au collectif Exil et fiction4, Bertrand invoque d’ailleurs la vie comme critère pour départager les vérités utiles et les autres : « […] même la vérité doit être évaluée. Que vaut par exemple une vérité qui émane de la tristesse et qui produit la tristesse ? À cet égard, non seulement beaucoup de vérités sont inutiles, mais beaucoup sont nuisibles, stériles et stérilisantes dans l’exacte mesure où elles ont un effet de dépression ».
Dans Les ailes du songe, Rêve et réalité dans la bulle humaine5, la vie élargit encore son domaine, quitte à bousculer la logique. « Autant dans la vie que dans l’écriture, il ne peut pas y avoir de logique, car celle-ci, loin de préexister, est inventée par la vie et l’écriture. De la même manière que la vie et l’écriture ne peuvent être mesurées à une vérité, car elles inventent la vérité, ou plutôt des vérités nouvelles. » Et les vérités, répète Bertrand, gagnent à se ranger dans le camp de la joie. « Les vérités provenant d’un état de tristesse étant sans doute aussi vraies, mais allant dans le sens d’une diminution de la puissance d’agir, allant dans le sens de sa faiblesse au lieu que celles proférées du fond de la joie vont dans le sens de la force. Telle est la vraie question éthique. »
L’art de plus en plus
Avec le temps, peut-être aussi parce que ses ouvrages obtiennent désormais l’attention de maisons d’édition plus aptes à exprimer la dimension artistique, la création intéresse davantage Pierre Bertrand. Une fusion s’effectue d’où naît une expression destinée à surgir partout : l’art de vivre.
Dans La ligne de création6, le thème de la vie se fait, si possible, encore plus insistant, tandis que la pensée se tait. « Le moment vivant doit demeurer le plus possible vide afin de servir de réceptacle digne pour le fondamental de l’événement, à savoir la minute qui passe, la lumière du jour, l’impalpable, cette part de l’événement qui ne s’actualise pas. » Est-il paradoxal que ce silence soit aussitôt occupé par l’écriture ? Bertrand ne le croit pas. « Le Je quant à lui reste sur la berge et contemple la dérive. Celui qui écrit est habité par l’écriture plus qu’il ne la contrôle. » Tant mieux, car « l’affirmation de la raison, notamment avec Socrate et Platon en Grèce et jusqu’à nous, correspond à une peur de la vie, peur de la foison des passions, peur du chaos qui constitue l’être de chacun » !
Dans À pierre fendre7, Pierre Bertrand, pour notre plus grand plaisir, parle de ce qu’il voit et aime, l’art d’aujourd’hui. Il en parle avec finesse, empathie, incarnant ses convictions sur la vie, la création, l’art. C’est de l’intérieur qu’il comprend Michel Goulet, Yvone Duruz… Parmi les meilleures pages.
Le titre, déjà, le laissait prévoir, Logique de l’excès8 sera l’occasion d’avancer dans la voie du paradoxe. « […] il est reconnu, écrit-il, que les actes les plus puissants de création se tiennent toujours proches d’autres excès : ivresse, folie, mort. » Le mot toujours laisse songeur, le lien entre la création et les autres excès également.
La vie au plus près9 marque le début d’une relation féconde entre l’auteur et l’éditeur Liber. On passe aux notes infrapaginales, mais les thèmes familiers reprennent du service. La vie et la pensée campent sur leurs positions. « […] il y a plusieurs intensités de vie, et la vie la plus intense est celle qui investit le plus fortement son univers, comme sait le faire l’artiste. Inversement, une vie moins intense, comme la vie savante, investit du bout des doigts. »
Cela n’empêchera pas l’écrivain, dans Le cœur silencieux des choses, Essai sur l’écriture comme exercice de survie10, de présenter la création comme un geste défensif. « Il faut bien voir, dit-il, que c’est par incapacité de vivre que l’homme crée. Tant qu’il peut vivre, vivre lui suffit. » Bel hommage à la vie, mais qu’en pensera le créateur ?
Le beau titre Éloge de la fragilité11 aurait pu rappeler Érasme et sa folie ou Pascal et son roseau. Peut-être est-ce d’ailleurs le message auquel songeait Bertrand. Si tel est le cas, son goût du paradoxe le voile en partie. En effet, à force de dénoncer le système, l’auteur construit le sien. Le ton, en effet, est péremptoire. « Tout système n’est-il pas l’œuvre d’un esprit habile et retors », « […] l’esprit de système est immanquablement mû par un désir de justifier rationnellement la réalité dominante », « tout système est un viol du réel ». Fragilité ?
Décantation en souplesse
Fidèles aux valeurs devenues familières, mais plus autonomes par rapport aux auteurs fétiches de Pierre Bertrand, les quatre plus récents ouvrages témoignent du progrès. L’art et la vie12 rend hommage à des artistes (Tania Lebedeff, Marc Sylvain…), en plus de substituer le hasard à Dieu et au destin. Pour l’amour du monde13 s’ouvre, sans surprise, sur un assaut virulent contre l’idéalisme, « un fléau ». Conscient d’être tout près de proposer un nouvel idéal (« il faut vivre intensément, simplement, etc. »), Bertrand dissipe l’équivoque : « Ce n’est donc pas un nouvel idéal de sainteté ou de sagesse que nous proposons, mais plutôt l’abandon de tous les idéaux ». Connaissance de soi et vie quotidienne14 soude de nouveau l’une à l’autre la vie et la joie, « l’acte de connaître dans ce contexte n’étant rien d’autre que l’acte d’éprouver ». Comme « la pensée est incapable de joie », on ne lui demandera que de se taire : « Mais la seule réponse adéquate à l’événement est le silence de la pensée ». Ne reste donc, comme le proclame le titre de l’ouvrage le plus récent de Bertrand, que L’intelligence du corps15.
Lente émergence ?
Ce rapide survol, à plusieurs égards, est injuste. D’une part, l’œuvre de Pierre Bertrand ne se résume pas aux quinze ouvrages mentionnés. D’autre part, lire en quelques semaines ce qu’un auteur a mis vingt ans à rédiger conduit à sous-estimer l’évolution et à confondre répétition et consolidation. Ces circonstances dont l’auteur fait les frais n’occultent pas d’heureuses évidences. Ainsi, Pierre Bertrand écrit beaucoup mieux qu’au départ. Ainsi, son autonomie, sans trahir les fidélités, lui permet désormais d’abandonner les béquilles au vestiaire (ou à la bibliothèque) et de donner des couleurs personnelles à une philosophie qui parie sur la vie, l’amour, l’art, les perceptions. Ainsi, les énoncés qui hésitaient à se dire acquièrent une éclairante netteté. Plus que jamais, Bertrand oublie les gants blancs pour parler de Dieu, de l’idéalisme, des médias.
Cela dit, le lecteur a le droit, à partir de sa perception à lui, de juger le cheminement longuet. Que les avancées ressemblent à de minutieux cercles concentriques, soit, mais faut-il citer toujours les mêmes auteurs, les mêmes phrases des mêmes auteurs ? Le plus grave, ce sera cependant la contradiction que Bertrand exorcise comme s’il s’agissait d’un simple paradoxe : la méfiance à l’égard de la pensée et de l’esprit de système n’empêche pas l’auteur d’adopter presque constamment le ton du maître à penser. C’est par dizaines, même dans les textes récents, qu’on recense les « il faut » et les « nous devons ». Comme quoi la vieille objection au scepticisme universel résiste toujours : on doute de tout sauf du doute…
Un vœu en terminant : que Pierre Bertrand, qui « entend » la poésie et « sent » la sculpture et la peinture, utilise plus souvent ces tremplins pour nourrir sa propre méditation. À faire confiance à ses propres perceptions, il incarnerait plus efficacement sa philosophie.
1. L’artiste, L’Hexagone, Montréal, 1985, 197 p.
2. Éros et liberté, Humanitas, Longueuil, 1988, 143 p.
3. Vie, Humanitas, Longueuil, 1990, 166 p.
4. « La fiction comme exil », Exil et fiction, Humanitas, Longueuil, 1992, 135 p.
5. Les ailes du songe, Rêve et réalité dans la bulle humaine, Humanitas, Longueuil, 1992, 131 p.
6. La ligne de création, Les Herbes rouges, Montréal, 1993, 123 p.
7. À pierre fendre, Humanitas, Longueuil, 1994, 151 p.
8. Logique de l’excès, Les Herbes rouges, Montréal, 1996, 120 p.
9. La vie au plus près, Liber, Montréal, 1997, 191 p.
10. Le cœur silencieux des choses, Essai sur l’écriture comme exercice de survie, Liber, Montréal, 1999, 173 p.
11. Éloge de la fragilité, Liber, Montréal, 2000, 207 p.
12. L’art et la vie, Liber, Montréal, 2001, 131 p.
13. Pour l’amour du monde, Liber, Montréal, 2002, 275 p.
14. Connaissance de soi et vie quotidienne, Liber, Montréal, 2003, 263 p.
15. L’intelligence du corps, Liber, Montréal, 2004, 244 p.
Pierre Bertrand a publié :
L’oubli, révolution ou mort de l’histoire, Presses Universitaires de France, 1975 ; L’artiste, L’Hexagone, 1985 ; Une vraie rupture, Méditations sur Fitzgerald, Lawrence, Nietzsche, Hurtubise HMH, 1987 ; Éros et liberté, Humanitas, 1988 ; Du philosophe, Une attitude singulière et impersonnelle, Triptyque, 1988 ; Vie, Humanitas, 1990 ; « La fiction comme exil », dans Exil et fiction, sous la dir. de Gina Stoiciu et Axel Maugey, Humanitas,1992 ; Les ailes du songe, Rêve et réalité dans la bulle humaine, Humanitas, 1992 ; La ligne de création, Prix de la Société des écrivains canadiens 1994, Les Herbes rouges, 1993 ; À pierre fendre, Essais sur la création, Humanitas, 1994 ; Méditations I, Penser et créer, Humanitas, 1995 ; Le silence de la pensée, L’immanence une et multiple, Humanitas, 1995 ; Méditations II, Voyager et combattre, Humanitas, 1996 ; Logique de l’excès, Les Herbes rouges, 1996 ; La vie au plus près, Liber, 1997 ; Le cœur silencieux des choses, Essai sur l’écriture comme exercice de survie, Liber, 1999 ; Éloge de la fragilité, Liber, 2000 ; L’art et la vie, Liber, 2001 ; « Fragments sur l’enseignement », dans Pratiques de la pensée, Philosophie et enseignement de la philosophie, Liber, 2002 ; Pour l’amour du monde, Liber, 2002 ; « Le sens de l’insignifiant », dans Accessoires, La littérature à l’épreuve du dérisoire, sous la dir. d’Isabelle Décarie, Brigitte Faivre-Duboz et Éric Trudel, Nota bene, 2003 ; Connaissance de soi et vie quotidienne, avec des poèmes de Sylvie Gendron, Liber, 2003 ; « Pourquoi créer ? », dans Entre mythes et réalités : un espace prismatique, Les conditions socioéconomiques de la pratique des arts visuels, RAAV, 2004 ; L’intelligence du corps, Liber, 2004, ; La conversion du regard, Liber, 2005.
EXTRAITS
L’homme n’offre spontanément que son apparence. Ce n’est qu’elle que l’on voit sur une photo, sur une toile, au cinéma. L’homme ne cache pas son abîme intérieur, c’est cet abîme qui se cache de lui-même, constitutivement, de par sa nature précisément d’abîme, de chaos, de devenir, de n’être jamais présent mais toujours passé ou à venir, ou encore d’aucun temps assignable, voyageant dans un passé qui ne fut jamais présent ou dans un futur qui ne le sera pas non plus, en somme dans l’espace insaisissable de la mort.
Logique de l’excès, Les Herbes rouges, p. 25.
C’est quand il mesure tout le poids du visible à l’impondérable de l’invisible, tout le pouvoir d’une certaine superficialité et bêtise à la puissance fragile de ce qui n’a pas de nom, que l’homme est un héros.
Logique de l’excès, Les Herbes rouges, p. 79.
L’écrivain écrit un texte comme un peintre peint une toile. II s’y essaie, il s’y essaie encore, jusqu’à ce qu’il trouve le ton juste, le bon filon pour ainsi dire, jusqu’à ce que quelque chose réussisse à passer, à se produire effectivement. Il est seul juge. Il est très exigeant pour lui-même. Il produit plus de déchets que d’œuvres réussies.
L’artiste, l’Hexagone, p. 88.
On est totalement immobile, on est patient, on sait attendre son heure, patient comme l’étaient les vrais nomades de l’histoire, et puis soudainement, sans crier gare, plus vite que l’éclair, on lance une flèche, on porte une attaque, on envahit un territoire.
L’artiste, l’Hexagone, p. 106.
C’est à partir de sa souffrance que l’homme créera les plus beaux chants, et notamment les plus beaux chants de joie. Ce seront les plus beaux chants parce qu’ils émaneront d’une absolue nécessité, ils seront enracinés profondément dans la vie. C’est en fait à partir de tout ce qu’il est que l’homme crée, et toute création, même quand elle prend un aspect objectif ou extérieur, même si elle concerne tout le monde, est profondément individuelle. Il n’y a là rien de contradictoire. C’est dans la mesure où il est le plus lui-même que l’homme rejoint par le fait même l’autre homme. En étant le plus lui-même, il s’enfonce profondément en la nature humaine commune à tous, au-delà des masques et des carapaces.
Le cœur silencieux des choses, Essai sur l’écriture comme exercice de survie, Liber, p. 84.
Nous devons écrire parce que nous ne savons pas vivre, ou encore parce que nous ne sommes pas aussi sages que les morts. Et si nous ne le sommes pas, c’est parce que nous sommes vivants, à savoir poussés constamment par le désir, la fébrilité et l’insatisfaction, aux prises avec des problèmes, sollicités et provoqués par l’événement. Parfois, nous connaissons le calme des morts. Mais ce calme n’est qu’un moment de la vie, qui en comprend d’autres innombrables.
Le cœur silencieux des choses, Essai sur l’écriture comme exercice de survie, Liber, p. 92.
Quelque chose d’apparemment aussi insignifiant qu’un nombril est émouvant parce qu’il est la marque, en son centre même, de la fondamentale fragilité de l’homme, de son lien, non pas tellement avec la mère, mais avec la terre. L’homme vient de la terre, de la boue, de la poussière. Il continue le grand flux de vie sans commencement ni fin. Il ne s’appartient pas, ne se contrôle pas mais vient d’ailleurs, est projeté d’ailleurs dans l’existence. Son corps et son esprit lui sont donnés par la Nature et par l’histoire.
Éloge de la fragilité, Liber, p. 99.
La réalité dépasse la fiction au sens ou le fait, vivant, simple, dépasse toute interprétation, a fortiori tout mythe. Le fait est simple, vivant, humble, alors que le mythe raconte des histoires… Des histoires à croire, alors que le fait n’est qu’à constater…
« La fiction comme exil », Exil et fiction, Humanitas, p. 57.
L’ESPRIT DE SÉRIEUX
Ce qui semble prévaloir actuellement, c’est un lourd esprit de sérieux. Cet esprit a envahi toutes les sphères, le pouvoir politique, le pouvoir religieux, le pouvoir intellectuel, etc.
On se prend au sérieux, on prend tout au sérieux, on emploie de grands mots, de grandes formules, on se croit investi de telle ou telle mission. Un goût effrayant pour les responsabilités, pour assumer des responsabilités. On se sent responsable de ceci et de cela. Il existe une forte tendance au moralisme et à la moralisation, même si, modernité oblige, on préfère le terme plus « noble » d’éthique.
Méditations II, Voyager et combattre, Humanitas, p.165.
C’est ce qui manque à tout fou, quelqu’un qui soit capable, parce qu’il serait situé, lui aussi, dans cet entre-deux, ce vide, cet hiatus, de le suivre dans son délire, et de faire de ce délire une nouvelle raison, de cette folie une inouïe sagesse.
Méditations I, Penser et créer, Humanitas, p. 83.
La joie est une façon de faire triompher la vie envers et contre tout. Elle n’exclut pas des sentiments négatifs, telles la colère, la douleur, la souffrance et les différentes variétés de ce qu’il est convenu d’appeler la mauvaise humeur. La joie est plus forte que toutes les logiques et que toutes les morales. Elle est inexplicable. On ne peut convaincre quelqu’un d’être joyeux. On l’est ou on ne l’est pas.
Connaissance de soi et vie quotidienne, Liber, p.117.
L’égoïsme ou l’égocentrisme est très fort. Chacun est hypersensible. Il y a tellement d’occasions de frictions et de frustrations dans les relations. À observer les relations humaines telles qu’elles se déroulent effectivement au fil de la quotidienneté, nous sortons de tout idéalisme, nous abandonnons les grands principes moraux, les sublimes notions de devoir et d’amour pour entrer en contact avec un niveau beaucoup plus terre à terre.
Connaissance de soi et vie quotidienne, Liber, p. 203.
Nous ne savons pas vivre et ne le saurons jamais. Pour savoir vivre, il faudrait que la vie s’arrête, alors qu’elle ne cesse de devenir, qu’elle se compose d’une multiplicité d’événements qui ne cessent de remettre en question l’acquis et de forcer à de nouvelles inventions. La vie ne nous laisse pas le choix, même si nous résistons. Elle nous ouvre à ce qui nous métamorphose.
Pour l’amour du monde, Liber, p.110.
Ce qui se passe dans la conscience n’est pas toujours au diapason de ce qui se passe dans la réalité. Le rapport de l’homme à l’illusion est intrinsèque.
Pour l’amour du monde, Liber, p.121.
Lire et écrire sont des actes solitaires, mais qui nous mettent en contact avec les autres humains, les animaux, les plantes, les pierres, le monde, d’une manière souvent plus profonde et plus intense que ce qui a cours dans la vie quotidienne lors des divers rassemblements, sur les lieux de travail et de loisir, en fait sur toutes les places publiques. C’est que le livre peut être un lieu privilégié de rencontre, dans un contexte de silence et de recueillement, où nous pouvons enfin laisser remonter à la surface les vraies questions, celles qui nous habitent sans que nous prenions souvent le temps de les formuler, celles qui nous touchent dans notre nudité d’humain et qui concernent le sens de notre vie.
L’art et la vie, Liber, p. 76.