« Il faudrait se lancer par une fenêtre donnant sur un nouvel éden ».
PoéVie
Décédé en 1995, Gilbert Langevin – qui a produit, comme poète et poète-parolier, une œuvre importante – a plus ou moins été boudé par la critique à cause, sans doute, de sa personnalité dérangeante, de sa marginalité. Ainsi aurait été plus ou moins occulté son projet d’écriture qui se voulait l’instauration même d’une poésie ancrée dans la vie, une « poévie ». C’est dire que l’écriture et la liberté étaient très liées dans l’œuvre.
On peut dès lors affirmer que la vie et l’œuvre de Gilbert Langevin portaient à un très haut niveau le sens critique et la révolte créatrice. L’écrivain n’a pas cessé d’élaborer une poésie de la fraternité dans l’aliénation et la dépossession, tant pour l’individu que pour la collectivité, à travers plusieurs genres littéraires : la poésie (autour de 30 recueils), la chanson (on en a dénombré officiellement 110), la prose ainsi que des aphorismes. Cette écriture, même si elle est assez proche des problèmes sociaux du Québec, rappelle plutôt l’universalité de la condition humaine ; elle se révèle imprégnée de la difficulté d’être dans un univers d’où la métaphysique et le sacré ont été bannis.
Astraliser la nuit
PoéVie1 est une anthologie de poèmes, de chansons, de textes en prose et d’aphorismes présentés par Normand Baillargeon, critique littéraire au journal Le Devoir. Les textes retenus s’échelonnent sur presque quarante années, soit de 1959 à 1993. Nous sommes en présence d’un ouvrage qui rend justice à l’écrivain et demeure facile d’accès. Les fidèles de Gilbert Langevin ne seront pas déçus. Ils y trouveront un choix pertinent de poèmes, les chansons les plus touchantes du parolier et quelques textes en prose publiés sous le pseudonyme de Zéro Legel. Les références aux sources se retrouvent en fin de volume ainsi que de pertinents repères bibliographiques, discographiques et filmographiques. Un choix d’études, une notice biographique et des jugements critiques viennent compléter ce qui constitue un petit bijou d’anthologie.
L’écriture de Gilbert Langevin est percutante, elle est critique et explore en profondeur les méandres de l’existence. Elle met en lumière les aspects troubles et angoissants de l’aventure humaine tout en valorisant chez les êtres humains la fraternité et la spiritualité. Ces deux pôles de réflexion donnent à cette écriture qui interroge le « mal de vivre » jusqu’au vertige une sorte de noirceur lumineuse.
« L’âge de la parole »
La voix que j’ai2 se présente comme un recueil de chansons choisies par André Gervais, lui-même poète et essayiste, professeur de littérature à l’Université du Québec à Rimouski. Préfacé en toute simplicité par Dan Bigras, le recueil regroupe 110 chansons écrites entre 1960 et 1990. On se rappellera que les plus connues « Le temps des vivants », « La voix que j’ai », « Ange-animal », « Celle qui va » ont été brillamment interprétées par Pauline Julien, Offenbach, Dan Bigras, Marjo et Luce Dufault entre autres. On peut ici parler de « chanson poétique », car Gilbert Langevin, le parolier, était beaucoup plus poète que chansonnier. Certaines de ses chansons sont construites comme de véritables poèmes : il poétisait la chanson. Dans un entretien accordé à Gilles Marcotte en 1967 ou 1968 (le livre en fait état sans préciser la date), Gilbert Langevin le dira lui-même : « Ici, il faudrait que je parle, peut-être, du phénomène chanson pour expliquer ce que j’entends par poésie. Par exemple, on s’est aperçu que le phénomène chanson avait beaucoup d’importance au Québec depuis quelques années. On a cru, à ce moment-là, que la poésie reculait, que la chanson prenait la place de la poésie. Ce n’était pas cela. C’est que la poésie prenait place dans la chanson, comme la poésie a pris place un peu partout [..] et a envahi le réel. » Il mentionnera, par ailleurs, que la chanson s’adresse directement à autrui, alors que le poème est plus « secret » parce que retenu dans le livre.
La voix que j’ai, recueil de chansons pour la plupart inoubliables, comprend un dossier assez étoffé sur Gilbert Langevin dont une bibliographie et une discographie complètes. En lisant ces deux ouvrages, certains auront l’impression que Gilbert Langevin n’est pas mort, que son œuvre se poursuit. La Terre est peut-être toujours « débordante de peur » et terrifiante, mais la Vie et l’Art sont là, non point pour nous rassurer mais plutôt pour nous élever au-dessus de la médiocrité humaine. Tu es toujours présent, Gilbert, cher Frère en Poésie.
1. PoéVie, par Gilbert Langevin, Typo, Montréal, 1997, 260 p. ; 14,95 $.
2. La voix que j’ai, par Gilbert Langevin, VLB, Montréal, 1997, 273 p. ; 24,95 $.
Gilbert Langevin a publié :
À la gueule du jour, poésie, Atys, 1959 ; Poèmes à l’effigie de Larouche, Larsen, Miron, Carrier, Châtillon, Caron, Marguère et moi, Atys, 1960 ; Le vertige de sourire, poésie, Atys, 1960 ; Symptômes, Poèmes 1959-1960, Atys, 1963 ; Un peu plus d’ombre au dos de la falaise, poésie, Estérel, 1966 ; Noctuaire, poésie, Estérel, 1967 ; Pour une aube, poésie, Estérel, 1967 ; Ouvrir le feu, poésie, du Jour, 1971 ; Stress, poésie, du Jour, 1971 ; Origines, 1959-1967, poésie, du Jour, 1971 ; Les écrits de Zéro Legel, Première série, prose, du Jour, 1972 ; Novembre suivi de La vue du sang, poésie, du Jour, 1973 ; Chansons et poèmes, Vert blanc rouge / Québécoises, 1973 ; La douche ou la seringue, Les écrits de Zéro Legel, Deuxième série, prose, du Jour, 1973 ; Chansons et poèmes 2, Vert blanc rouge / Québécoises, 1974 ; Griefs, Poégrammes, l’Hexagone, 1975 ; L’avion rose, Écrits de Zéro Legel, Troisième série, prose, La Presse, 1976 ; Les imagiers, poème, Atelier Pierre Guillaume, 1977 ; Mon refuge est un volcan, poésie, l’Hexagone, 1978 ; Le fou solidaire, poésie, l’Hexagone, 1980 ; Issue de secours, poésie, l’Hexagone, 1981 ; Fables du temps rauque (pour l’enfant d’autrefois), poésie, du Pôle, 1981 ; Les mains libres, poésie, Parti pris, 1983 ; Entre l’inerte et les clameurs, poésie, Écrits des Forges, 1985 ; Comme un lexique des abîmes, poésie, Écrits des Forges, 1986 ; Au plaisir, poésie, Écrits des Forges, 1987 ; Body of night, selected poems, avec Marc Plourde, Guernica, 1987 ; La saison hantée, Écrits des Forges, 1988 ; Ultimacolor, Espace appelle écho, Sagamie / Québec, 1988 ; Né en avril, Écrits des Forges, 1989 ; Haut risque, Écrits des Forges, 1990 ; Les vulnérables, poésie, avec Jean Hallal, l’Hexagone, 1990 ; Le dernier nom de la terre, poésie, l’Hexagone, 1992 ; Le cercle ouvert, suivi de Hors les murs, Chemin fragile et L’eau souterraine, Poésie, l’Hexagone, 1993 ; Confidences aux gens de l’archipel, Quatrième série des écrits de Zéro Legel, Triptyque, 1993 ; Poévie, Poésie, chansons, prose et aphorismes, avec Normand Baillargeon, Typo, 1997 ; La voix que j’ai, Chansons choisies, avec André Gervais, VLB, 1997.