De leur production à leur réception, les livres et leurs auteurs ont été le lieu de plusieurs analyses et recherches publiées au cours de l’année 2000. En voici le panorama.
Parlons d’abord de la production et plus précisément de ceux qui écrivent les livres. Sous le titre L’écrivain/e dans la cité ?1, les éditions Triptyque publiaient les textes du 17e Colloque annuel de l’Académie des lettres du Québec. Sous la vice-présidence d’honneur de Marcel Dubé, une douzaine d’écrivains et de critiques ont débattu de la place de l’écrivain dans la société québécoise actuelle. Les opinions fort diversifiées s’inscrivent comme autant de réponses aux questions posées par Jean Royer reprises en liminaire du recueil publié sous sa direction. « Son œuvre [celle de l’écrivain] est-elle à méditer ou seulement un objet de consommation ? La société du spectacle nie-t-elle sa place à l’écrivain ? […] Quelle place donne-t-on aux questions que l’écrivain se pose sur sa société ? L’écrivain a-t-il une valeur sociale ou commerciale ? » On aura vite compris qu’il a beaucoup été question du rôle et du pouvoir de l’écrivain, de l’effet des médias sur la perception qu’on a de lui et de la valeur de son uvre. Aussi les opinions de critiques, de représentants des médias, d’intellectuels, souvent justes, alternent-elles avec les témoignages d’écrivains qui, en fin de compte, sont concernés au premier chef par ces questions. Gilles Archambault et Monique Proulx, en particulier, remettront des pendules à l’heure.
C’est autour d’une thématique semblable que s’articulent les études publiées aux éditions Nota bene sous le titre Que vaut la littérature ?2 Destinée à un lectorat spécialisé, la vingtaine de textes d’universitaires québécois, américains et européens s’interrogent sur la question de la valeur littéraire en regard des bouleversements causés par l’avènement des nouvelles technologies médiatiques. Plus précisément, les auteurs se sont penchés sur la sanction critique exercée par les trois grands secteurs que sont le milieu des producteurs littéraires, celui de l’enseignement et celui des médias. Le constat de Denis Saint-Jacques, qui dirige le collectif d’auteurs, rejoint le propos de L’écrivain/e dans la cité ? Selon lui, toutes les transformations se passent dans la sphère des médias où « l’homogénéisation culturelle ouverte comme horizon par la mondialisation entraîne une remise en question plus implacable encore ; la propagation d’une culture de grande consommation contemporaine à l’échelle transnationale se fait de plus en plus sans la littérature au sens où l’école ou les écrivains l’entendent ».
Devant cet état de fait, faut-il, comme les auteurs d’un autre collectif en hommage à Jean-Louis Major, continuer de Croire à l’écriture3? Les vingt-six études du recueil dirigé par Yvan G. Lepage et Robert Major en donnent assurément le goût. L’ouvrage publié aux éditions David, qui s’adresse tout autant au simple lecteur qu’au spécialiste, propose une diversité de textes sur les corpus littéraires québécois, franco-ontarien et même franco-américain. Les auteurs y explorent des aspects plus ou moins familiers, souvent passionnants, tels le poids de la ville dans l’œuvre d’Yves Thériault ou celui des chansons dans celle de Germaine Guèvremont, les notions d’identité et d’altérité pour les Franco-ontariens Patrice Desbiens et Daniel Poliquin ou de propagande dans la littérature franco-américaine, ou encore à la marge la présence des « résurrectionnistes », ces étudiants en médecine déterreurs de cadavres, dans la littérature québécoise du XIXe siècle.
Robert Dion, Anne-Marie Clément Simon Fournier, professeur assistants de recherche l’Université du Québec Rimouski, se sont intéressés, quant eux, à une collection publiée entre 1988 et 1993. « Essais littéraires » aux éditions de L’Hexagone4 (Nota bene), cette « radioscopie d’une collection », s’attarde plus spécialement sur les marques de la subjectivité et de l’hétérogénéité dans ces essais. Cet effort d’analyse de l’essai critique, bien que concis, reste toutefois un ouvrage très spécialisé.
Dans une perspective davantage historique, le collectif Emblématiques de « l’époque du joual »5 (Lanctôt), sous la direction d’André Gervais, s’est penché sur les fondements du phénomène et l’accueil qu’il a reçu. Se plaçant dans le contexte sociopolitique des années 1960 et 1970, l’étude propose une relecture des nouvelles de Jacques Renaud (Le Cassé), des poèmes de Gérald Godin (Les cantouques), de la pièce Les belles-sœurs de Michel Tremblay et du monologue Les unions, qu’ossa donne ? d’Yvon Deschamps. Elle invite aussi à évaluer la légitimité et l’évolution du joual – ou plus précisément de l’oralité pour Francine Noël – dans les productions littéraires actuelles.
Après ceux qui les écrivent et ceux qui les analysent, passons maintenant à ceux qui vendent les livres. C’est à une toute première Histoire de la librairie au Québec6 que nous convie Fernande Roy, professeure au département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal. De la Nouvelle-France jusqu’au tournant du XXIe siècle, de la tutelle de l’Église jusqu’à la protection du réseau des librairies laïques par l’État dans le sillage de la Révolution tranquille, de la lutte des librairies et de leurs associations au contentieux avec les bibliothèques, l’auteur trace le parcours de ce commerce particulier. Un portrait passionnant d’une « profession qui fait rêver les lecteurs, mais qui s’avère difficile à exercer avec sérénité au Québec », comme le mentionne la jaquette du livre, publié chez Leméac.
Une profession que certains libraires exercent avec plus de bonheur que d’autres selon Alberto Manguel. Dans son « Autoportrait d’un bouquineur », l’un des deux courts textes parus chez Leméac sous le titre La bibliothèque de Robinson7, Alberto Manguel, grand voyageur et lecteur devant l’Éternel, fait l’apologie des petites librairies de Buenos Aires, Paris, Londres, Tahiti, Toronto et Montréal qu’il affectionne, où le lecteur trouve, à son aise et à son rythme, une pitance parfois unique. « On peut reconstituer la vie d’un lecteur d’une infinité de manières : en étudiant l’ordre des livres dans sa bibliothèque, en faisant l’inventaire des ouvrages empilés sur sa table de chevet, en déchiffrant les notes qu’il a griffonnées dans les marges […]. Je peux reconstituer ma vie de lecteur en suivant l’une ou l’autre de ces traînées de petits cailloux, mais aussi, et peut-être avec plus de succès, en retraçant mes pas à l’entrée des librairies innombrables, semble-t-il, que j’ai fréquentées. » Cet hommage d’Alberto Manguel au métier de libraire est suivi, dans La bibliothèque de Robinson, de son credo face à l’envahissement croissant de la technologie. « Je suis convaincu, écrit-il, que nous continuerons à lire aussi longtemps que nous persisterons à nommer le monde qui nous entoure. » S’il dit vrai, nous continuerons aussi à écrire, à critiquer et à étudier ces œuvres qui persisteront à nommer le monde qui nous entoure.
1. Sous la dir. de Jean Royer, L’écrivain/e dans la cité ?, Triptyque, Montréal, 2000, 90 p. ; 17 $.
2. Sous la dir. de Denis Saint-Jacques, Que vaut la littérature ?, Nota bene, Québec, 2000, 375 p. ; 23,95 $.
3. Sous la dir. de Robert Major et Yvan G. Lepage, Croire à l’écriture, Études de littérature québécoise en hommage à Jean-Louis Major, David, Ottawa, 2000, 435 p. ; 22 $.
4. Sous la dir. de Robert Dion, Anne-Marie Clément et Simon Fournier, Les « essais littéraires » aux éditions de L’Hexagone (1988-1993), Radioscopie d’une collection, Nota bene, Québec, 2000, 116 p. ; 12,95 $.
5. Sous la dir. d’André Gervais, Emblématiques de l’« époque du joual », Lanctôt, Montréal, 2000, 194 p. ; 18,95 $.
6. Fernande Roy, Histoire de la librairie au Québec, Leméac, Montréal, 2000, 238 p. ; 25,95 $.
7. Alberto Manguel, La bibliothèque de Robinson, trad. de l’anglais (Canada) par Charlotte Melançon, Leméac, Montréal, 2000, 52 p. ; 10,95 $.