Ainsi le veut cette cuvée : le tout-petit reçoit son dû, sous la forme agréable de la fantaisie joyeuse et du délire inoffensif, tandis que l’adolescent a droit à un bon choix de récits plausibles et de voyages stimulants. Parmi eux, quelques titres.
L’âge des premières caresses
Il n’est pas facile de savoir si un enfant aime son nouveau petit frère. L’aveu est encore plus improbable quand le nouveau membre de la famille encombre autant que Gugus. Car Gugus s’égosille au premier rayon de soleil, mange mal, teste généreusement ses jeunes crocs, renverse tout et répand un douteux parfum. Mais l’amour reprend le dessus et le garçon, traité d’abord en drôle d’animal, baigne dans les caresses. Dans Mon Gugus à moi1, le dessin de Nicole Claveloux illumine superbement l’ambivalence du texte de Francine Caron P. Il attendrit les impatiences, rend acceptable ce qui justifiait la colère, soude les parentés entre les deux enfants.
Le héros d’Où te caches-tu Cachou2 de Richard Edwards et Susan Winter, bien qu’ourson, ressemble à l’enfant. Il apprécie la sécurité, mais tient à son autonomie. Équilibre délicat entre la sécurité et le dépaysement. Cachou explore les mondes lointains, mais exige les présences rassurantes. Il joue tendrement avec sa mère, puis il s’éloigne, question de vérifier si la sécurité est toujours à portée de voix. Vérification faite, Cachou va plus loin, jusqu’au moment où on ne l’entend plus. Leçon sans lourdeur. Dessin qui recherche constamment l’équilibre.
1. Francine Caron P. et Nicole Claveloux, Mon Gugus à moi, Les 400 coups, Montréal, 2004, 32 p. ; 9,95 $.
2. Richard Edwards et Susan Winter, Où te caches-tu, Cachou ?, trad. de l’anglais par Hélène Pilotto, Scholastic, Markham, 2004, 32 p. ; 9,99 $.
Stella, personnage qu’adorent les petits, s’intéresse cette fois à la nuit dans Stella, princesse de la nuit1 de Marie-Louise Gay. Il y eut précédemment la mer, les neiges, les forêts… Sacha, fidèle faire-valoir, talonne Stella sans jamais la dérouter. Il faut dire que Stella a l’explication ingénieuse. Le soleil, explique-t-elle, porte parfois un pyjama rouge, il couche sur un gros nuage moelleux, dort plus tard les jours de pluie… Stella mêle le vrai et l’improbable, mais elle demeure rassurante et sereine. De fait, pourquoi les enfants craindraient-ils la nuit, ses lucioles, sa voie lactée, son défilé de ratons laveurs ? Quand la nuit se prolonge, la pensée se tourne vers la grand-mère qu’on ira voir demain. Très fin.
Le secret de Luciole2 n’est pas de ceux qu’on apprend facilement. Selon l’enfant, la fleur devrait dresser la tête dès l’instant où la graine a été mise en terre. Anna, heureusement, en sait plus long. Le personnage de Mireille Levert explique que la pluie est nécessaire et elle danse pour l’inviter. Elle raconte le dialogue entre les insectes et les fleurs et enseigne les chansons qui poussent les fleurs vers la surface du sol. Le secret ? La patience. Le dessin, généreux et coloré, éclate en rondeurs et en candeurs. Et les animaux, les chats surtout, sortent du bestiaire du Douanier Rousseau.
1. Marie-Louise Gay, Stella, princesse de la nuit, Dominique et compagnie, Saint-Lambert, 2004, 32 p. ; 9,95 $.
2. Mireille Levert, Le secret de Luciole, Dominique et compagnie, Saint-Lambert, 2004, 32 p. ; 9,95 $.
Le texte d’Émilie pleine de jouets1 est si bellement succinct que le dessin a tout loisir de séduire. Riche d’un don qui multiplie dans ses mains les jouets les plus divers, Émilie pouvait se satisfaire de ce talent. Le sort voulut qu’Émilie ait un jour à consentir un immense sacrifice : pour tirer son père du naufrage, elle dut épuiser son don. C’est d’amour qu’Émilie déborda désormais. Gilles Tibo, discret, laisse le dessin de Marie Lafrance conduire à cette découverte.
Autre heureux mariage de l’écriture et de l’illustration, L’oiseau des sables2 ose limiter les pouvoirs magiques et parier sur les qualités humaines. Au début de l’existence, les raccourcis sont possibles et les miraculeuses colombes de pierre récupèrent les billes disparues. Peu à peu, cependant, c’est sur soi, sur ses décisions, que l’on s’appuie. Le risque s’en trouve décuplé, mais aussi la joie et la fierté. Dessin somptueux, même si les silhouettes de Stéphane Poulin accentuent le côté trapu des personnages. Texte efficace de Dominique Demers.
1. Gilles Tibo et Marie Lafrance, Émilie pleine de jouets, Dominique et compagnie, Saint-Lambert, 2003, 36 p. ; 19,95 $.
2. Dominique Demers et Stéphane Poulin, L’oiseau des sables, Dominique et compagnie, Saint-Lambert, 2003, 32 p. ; 19,95 $.
Science et langue
L’intérêt pour la science de la littérature consacrée aux jeunes ne se dément pas. Tout n’y est pas de premier ordre. Ainsi, Nos mammifères marins1 de René Trépanier, Josée Forest et Jocelyne Bouchard, pourtant produit par une maison connue pour sa maîtrise du secteur, se situe en deçà des critères usuels de cet éditeur. Les illustrations en particulier relèvent d’un amateurisme décevant.
De la « planète bleue », que savons-nous ? Bien peu de choses à en juger par l’Atlas des océans2 de Marie-Anne Legault et ses collaborateurs. Dès les premières pages, les révélations se multiplient. Les océans, le Pacifique en particulier, arborent des noms trompeurs ; les chaînes de montagnes immergées réduisent leurs homologues terrestres au statut de modestes échines… L’ensemble maintient un bon équilibre entre les curiosités et les explications qui dégagent les lignes de force et les synthèses. Les jeunes trouveront là une information vivante, abordable, séduisante.
Malgré l’appui que semble lui accorder Hubert Reeves, Mon album de l’Univers3 n’emporte pas l’adhésion. Certes, l’information est fiable et abondante, mais la mise en page et les choix de caractères dispersent l’attention. L’œil ne sait pas quel chemin suivre, quel élément assimiler en premier, quelle hiérarchie établir entre les diverses polices de caractère. On se demande également pourquoi le professeur Génius protège autant son anonymat et pourquoi le commentaire d’Hubert Reeves se limite aux premières pages du texte. Étrange.
1. René Trépanier, Josée Forest et Jocelyne Bouchard, Nos mammifères marins, Michel Quintin, Waterloo, 2004, 64 p. ; 7,95 $.
2. Sous la dir. de Marie-Anne Legault, Atlas des océans, Québec Amérique, Montréal, 2004, 96 p. ; 21,95 $.
3. Professeur Génius, Mon album de l’Univers, Québec Amérique, Montréal, 2003, 64 p. ; 18,95 $.
Le souci pédagogique est patent dans Mon premier livre des animaux d’Isabelle Allard. Fort louable. L’appel lancé aux adultes tombe d’autant mieux que les photographies et les questions séduisent assez peu. Les animaux sont figés, statiques, détachés de leur environnement. Les questions portent souvent sur le nombre de spécimens, ce qui importe assez peu, alors qu’on néglige les caractéristiques des espèces. Le raton laveur, par exemple, porte ce nom pour un motif qui aurait fasciné l’enfant, tandis qu’« un raton laveur qui grimpe » ne lui apprendra pas grand chose. « Un gnou qui marche » renseigne aussi peu. Belle préoccupation, mais résultats sans relief.
Isabelle Allard et Christiane Gunzi, Mon premier livre des animaux, L’outil idéal pour découvrir le monde des animaux, Scholastic, Markham, 2004, 32 p. ; 19,99 $.
Combien d’enfants sont déroutés par les expressions qu’utilisent les adultes ? « Prendre la mouche », est-ce tuer une bestiole agaçante ? Traiter quelqu’un de « grenouille de bénitier », est-ce installer un marécage à l’entrée de l’église ? J’ai un mot sur la langue1 de Florence Gremaud, Serge Pinchon et Hervé Coffinières jette une passerelle entre ces images et les réalités qu’elles évoquent. Le texte laconique qui fournit le sens de l’image est, dans l’ensemble, précis, factuel, accessible. L’explication qui s’y greffe possède rarement ces qualités. Prix inadmissible (32,95 $).
Dans Léon et les expressions2 d’Annie Groovie, l’enfant éprouve aussi des difficultés avec des locutions pourtant courantes. « Vider son sac » ou « tourner autour du pot », voilà qui le mystifie. La clarification s’effectue par le dessin humoristique et par la paraphrase. Malgré l’originalité du dessin et un bel effort pour donner aux expressions des équivalents limpides, l’objectif n’est pas toujours atteint. À propos de « s’arracher les cheveux », par exemple, on amorce un cercle vicieux : « Si un jour tu ne trouves pas de solution à un problème…, tu pourrais avoir envie de t’arracher les cheveux ». La puce à l’oreille ou Le bouquet des expressions imagées de Claude Duneton auraient pu guider.
1. Florence Gremaud, Serge Pinchon et Hervé Coffinières, J’ai un mot sur la langue, Gallimard, Paris, 2003, 127 p. ; 32,95 $.
2. Annie Groovie, Léon et les expressions, La courte échelle, Montréal, 2004, 64 p. ; 19,95 $.
Les sagas
Au début, La Princetta et le Capitaine d’Anne-Laure Bondoux ne promet que superficialité. On a trop lu de ces contes où une princesse refuse d’être mariée avec un « vieillard de trente-trois ans ». Très vite, cependant, le récit acquiert sa pleine densité. Le voyage qui emporte une demi-douzaine d’humains aux ambitions éclatées contestera les cartes géographiques connues, mais il insistera surtout sur le face-à-face entre chaque personnage et son rêve. L’exploration n’est plus celle des mers inconnues, mais celle des consciences et des éthiques. Belle démarche qui débute dans la simplicité et hisse ensuite le lecteur à un haut niveau.
Anne-Laure Bondoux, La Princetta et le Capitaine, Hachette, Paris, 2004, 527 p. ; 24,95 $.
Storine, surnommée l’orpheline des étoiles, n’aura jamais la vie facile. L’héroïne de Fredrick D’Anterny bénéficie de l’affection inconditionnelle d’un lion blanc, mais ses adversaires jouissent eux aussi d’avantages considérables. Le maître des frayeurs déchaînera contre Storine toutes les attaques que peut concocter un cerveau retors et ambitieux. L’action surabonde, mais elle constitue une fuite en avant plutôt qu’un affrontement stylisé. Inventer des mots, imaginer un « translucidateur » ou un « sabre psychique », créer une troisième lune ici ou là, cela, malgré tout, requiert peu de véritable créativité. On souhaiterait que la suite se dissocie de la tendance colorée et irrationnelle du Nintendo.
Fredrick D’Anterny, Storine l’orpheline des étoiles, T. 3, Le maître des frayeurs, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 407 p. ; 14,95 $.
En appendice aux plus récentes aventures de Peggy Sue et les fantômes, La bête des souterrains, Serge Brussolo offre les premières pages de sa nouvelle série Élodie et le maître des rêves. Tout en réservant le jugement sur cette éventuelle saga, réjouissons-nous de voir Peggy Sue partir à la retraite. L’affrontement entre Peggy Sue et une bête aux dimensions cosmiques témoignait, en effet, d’un essoufflement désolant de l’imagination et de sérieux dérapages dans le bon goût. À la rigueur, on aurait admis que les tentacules de la pieuvre monstrueuse demeurent vivants à la manière de ceux qu’Hercule devait trancher, mais pas que le cannibalisme se pratique sur des vivants.
Serge Brussolo, Peggy Sue et les fantômes, La bête des souterrains, Plon, Paris, 2004, 366 p. ; 14,95 $.
Après le succès largement mérité de la série Amos Daragon de Bryan Perro, il fallait s’attendre à ce que d’autres auteurs relèvent le défi. C’est fait et de la bonne façon. Mario Francis aime comme son devancier les aventures déployées en plusieurs volets, mais il joue autrement des pouvoirs divins ou magiques et conçoit différemment les défis à relever. Francis situe le héros de Leonis dans l’Égypte des pharaons. Il le fait naître dans une famille de lettrés, mais le prive ensuite de ses parents et l’enferme dans le statut d’esclave. C’est du fond de cet abîme que Leonis surgira. Est-il celui qu’annonçaient les prophéties et qu’espère le chancelant royaume égyptien ? On le saura quand – et si – Leonis survit aux épreuves. S’agit-il d’un long voyage ? Chose certaine, rien n’est encore joué au terme du troisième tome. La petite sœur de Leonis est toujours entre les mains de ses ennemis… À suivre.
Mario Francis, Leonis, Les Intouchables, Montréal, 2004: T. 1, Le talisman des pharaons, 254 p. ; 8,95 $ ; T. 2, La table aux douze joyaux, 254 p. ; 8,95 $ ; T. 3, Le marais des démons, 254 p. ; 8,95 $.
Inépuisable humour
Alfred est un dindon, mais d’une espèce inédite. C’est à lui qu’il faut songer lorsque les mystères se multiplient. Une absence dans la basse-cour, à la rigueur, cela peut incriminer Alfred. Mais un bouquet de fleurs à la porte de la jolie voisine et le départ inopiné d’un pédaleau, voilà qui ne devrait pas diriger l’enquête vers un dindon. Mais Alfred, c’est Alfred. L’évasion d’Alfred le dindon1 d’Annie Langlois et de Jimmy Beaulieu est une histoire fantaisiste sans prétention, comme les meilleurs contes.
Les parents partis, c’est le règne de Fabienne, gardienne prompte à changer en jeux les tâches les moins inspirantes. Le safari peut commencer. Ou Fabienne mène la danse ou elle sourit au joyeux débordement. Le salon se transforme en jungle, tout devient cachette, le bain prélude à une dernière collation, le sommeil se prépare par un ultime récit. Safari d’un soir2 de Michèle Thibodeau et Caroline Merola est un bel hommage à toutes celles qui assurent une soirée de détente aux parents et une expédition aux enfants.
1. Annie Langlois et Jimmy Beaulieu, L’évasion d’Alfred le dindon, La courte échelle, Montréal, 2004, 64 p. ; 8,95 $.
2. Michèle Thibodeau et Caroline Merola, Safari d’un soir, Les 400 coups, Montréal, 2004, 32 p. ; 9,95 $.
La présence d’une souris dans la maison ne réjouit pas nécessairement tout le monde. Mais quel est le point de vue de la souris ?, s’interrogent les auteurs de Quelle étrange bête chez moi !, Johanne Gagné et Josée Masse. N’a-t-elle pas droit, elle aussi, à sa tranquillité ? Pourquoi la petite bête ne ressentirait-elle pas des frayeurs plus vives que la grosse bête qui claque les portes, déclenche l’avalanche des cubes de couleur, s’endort grâce à des récits bizarres ou effrayants et se relève pour un dernier pipi ? Julie, petite souris, songe à déménager, mais s’éloigner de la grosse bête la priverait des histoires dont elle bénéficie discrètement. Dessin intelligent qui souligne les disproportions entre la petite et la grosse bête.
Johanne Gagné et Josée Masse, Quelle étrange bête chez moi !, Les 400 coups, Montréal, 2004, 32 p. ; 9,95 $.
Les blagues de Toto, L’école des vannes de Thierry Coppée procure le plaisir des meilleurs albums de gags. D’Achille Talon à Nathalie, combien de fois ces histoires logées en une seule page ont-elles déclenché le rire ou le sourire ? Si l’une laisse un peu froid, la suivante surgit au bout des doigts et réaffirme le droit à la bonne humeur. Toto a ceci de magnifique qu’il laisse les adultes le soin de se ridiculiser, qu’il gaffe avec conviction, qu’il obéit à une logique imprévisible, que le fil blanc de ses fourberies dépasse toujours de plusieurs mètres. La moyenne est excellente.
Thierry Coppée, Les blagues de Toto, L’école des vannes, Delcourt, Paris, 2004, 32 p. ; 14,95 $.
Millions est un récit brillant et drôle. À première vue, Damian et Anthony sont des enfants comme la vie les multiplie. L’histoire prend son envol quand un train échappe près d’eux un sac rempli jusqu’à la gueule de livres sterling. Plus de 200 000 livres sterling ! Petit détail : ces livres filaient vers l’incinérateur, car l’euro devient dans dix-sept jours la seule monnaie utilisable. Avec humour, Franck Cottrell Boyce laisse l’argent faire son travail. Il suscite les convoitises, stimule l’inventivité, peut provoquer les catastrophes. Et que devient la morale ?
Frank Cottrell Boyce, Millions, trad. de l’anglais par Pascale Houssin, Gallimard, Paris, 2004, 225 p. ; 20,95 $.
Tout près de la vie
Les sculpteurs de rêves1 de Joan Clark ressuscite le destin que vécurent bien des jeunes à l’époque où clans et tribus s’entretuaient, mais savaient quand même assimiler leurs prisonniers. Un jeune Groenlandais, enlevé par un groupe autochtone, est peu à peu transformé en fils du clan. Adaptation difficile, car les mSurs diffèrent et l’insertion d’un jeune mâle au sein du groupe indispose ses semblables. Récit étoffé, respectueux des différences, lourd d’observations éclairantes.
Quand Enrique cesse d’expédier ses courriels, son cousin Francis s’inquiète. Une visite à son appartement à Mexico conduit Francis à se rendre à Toulouse. Il retrace Enrique, mais il cherche encore la clé du mystère. Dans Le silence d’Enrique2 d’Annie Vintze, le hasard écorche un peu trop la vraisemblance du récit, la bonne hypothèse s’impose avant que le livre ne la dévoile, l’amour se présente aux deux cousins sous une forme trop classique pour convaincre… Récit vivant, mais aux ressorts usés.
1. Joan Clark, Les sculpteurs de rêves, trad. de l’anglais par Catherine Germain, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 272 p. ; 12,95 $.
2. Annie Vintze, Le silence d’Enrique, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 240 p. ; 11,95 $.
La tragédie qu’évoque Gilles Devindilis dans Une aventure de Laurent Saint-Pierre, Mission en Ouzbékistan n’a rien d’imaginaire. La mer d’Aral est effectivement en voie d’assèchement. Certains intérêts voient avantage à ce que le désert ensevelisse la mer, mais quelques convaincus tentent d’inverser le cours des choses. Deux Canadiens s’immiscent dans l’affrontement et reçoivent leur part de coups. Le récit familiarise avec un monde trop peu connu. Il accorde aux femmes des rôles déterminants des deux côtés de la barricade et n’éprouve pas le besoin de faire triompher le machisme. Un peu trop de rencontres fortuites, mais on en supporterait davantage pour que survive la mer d’Aral.
Gilles Devindilis, Mission en Ouzbékistan, Une aventure de Laurent Saint-Pierre, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 208 p. ; 11,95 $.
Au premier abord, le bouquin de Marc Robitaille semble un hommage aux agonisants Expos de Montréal. La lecture corrige cette impression injuste. Oui, le sport, le baseball en particulier, occupe l’avant-scène, mais il sert de prétexte à des découvertes importantes. On peut s’amuser sans disputer la série mondiale. Les parents peuvent se révéler, malgré leur évidente incompétence, des partenaires efficaces ; ils réveilleront les élus. Marc Robitaille multiplie les clins d’œil en direction des « avertis » : ils souriront au rappel des superstitions des chroniqueurs sportifs. L’une, non écrite, interdit d’évoquer trop tôt le match sans point ni…
Marc Robitaille, Un été sans point ni coup sûr, Les 400 coups, Montréal, 2004, 143 p. ; 19,95 $.
Dans Clone à risque, Diane Bergeron confie un autre problème à sa policière Annie Jobin. La jeune femme, pourtant échaudée lors d’une enquête précédente, succombe encore à sa témérité. Pour notre plus grand plaisir cependant. Puisqu’une secte utilise des jeunes femmes comme porteuses d’embryons clonés, la policière se convertit en proie. En sortira-t-elle vivante ? La question du clonage est traitée de manière sérieuse et presque clinique. La direction policière accepte trop aisément qu’une enquêteuse inexpérimentée se jette dans la gueule du loup, mais Diane Bergeron compense ce raccourci par son aptitude à créer la tension.
Diane Bergeron, Clone à risque, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 264 p. ; 12,95 $.
Superbe conteur, Gordon Korman, une fois encore, déstabilise son auditoire en quelques pages avec Sous la mer, T. 1, L’épave. Quatre jeunes aux parcours diversifiés participent à une exploration sous-marine aux objectifs incertains. Ils n’ont ni affinité les uns pour les autres ni compétence uniforme ; les dangers communs les rapprocheront. Grâce à Gordon Korman, ces jeunes sont denses, plausibles, criants de naturel. L’intrigue révélera sa trame par le regroupement des observations. Écriture apparemment spontanée mais parfaitement maîtrisée.
Gordon Korman, Sous la mer, T. 1, L’épave, trad. de l’anglais par Claude Cossette Scholastic, Markham, 2004, 144 p. ; 8,99 $.
Le terme de Loyalistes éveille peu d’échos au Québec francophone. On sait qu’ils quittèrent un jour les États-Unis et s’implantèrent au Canada, mais nos notions s’arrêtent là. En suivant d’Albany à Sorel une jeune loyaliste, Karleen Bradford projette un éclairage inédit sur un pan oublié de l’histoire québécoise dans Une vie à refaire, Mary MacDonald, fille de Loyaliste. La documentation est précise et abondante. Modes de transport, usages culinaires, drames des familles traversées par des convictions opposées, tout est reconstitué par le récit d’une enfant. Mary MacDonald aurait pu correspondre avec Anne Frank.
Karleen Bradford, Une vie à refaire, Mary MacDonald, fille de Loyaliste, trad. de l’anglais par Martine Faubert, Scholastic, Markham, 2004, 225 p. ; 16,99 $.
Le fait que Jean Lacombe n’ait pas su ou voulu choisir entre le métier de dessinateur et celui de romancier nous vaut un petit livre d’une rare originalité. En quelques planches, le Lacombe dessinateur plante le décor de L’orignal blanc. Le Lacombe romancier prend ensuite la relève pour préciser les identités. Puis refait surface l’autre Lacombe. Course à relais qui confie au dessin ce qui ouvre au mystère et à l’écriture ce qui exige la précision. Résultat séduisant.
Jean Lacombe, L’orignal blanc, Éditions du soleil de minuit, Saint-Damien-de-Brandon, 2004, 96 p. ; 9,95 $.
Le sous-titre du Dernier saut de l’ange de Thierry Gautier attire d’emblée l’attention : Journal intime d’un suicidé. La formule n’a rien du cliché. L’auteur ne livre pas le journal qu’aurait pu écrire Christophe avant de plonger vers la mort, mais celui que Christophe établit après son plongeon. Le regard, c’est celui que jette le jeune suicidé sur son existence de l’autre côté de la mort. Une communication rattache le jeune « mort » à une vivante. Un dialogue se noue entre la jeune femme qui ne voit pas son interlocuteur, mais le sait présent. Ce n’est pas un ésotérisme à la petite semaine que propose Thierry Gautier, mais un magnifique questionnement sur la vie après la mort. Admirable amitié entre le jeune suicidé et celle qui voudrait l’apaiser suffisamment pour que l’éternité lui soit douce. Petit livre déroutant, pénétrant et chaleureux.
Thierry Gautier, Le dernier saut de l’ange, Journal intime d’un suicidé, Les 3 Spirales, Saint-Martin de la Brasque, 2003, 94 p. ; 23,95 $.