L’effort dure depuis assez longtemps maintenant pour que les résultats en soient concluants : la rencontre d’excellentes plumes et d’éditeurs déterminés vaut aux enfants et aux autres jeunes générations de quoi lire longtemps, profitablement, diversement. De quoi rêver, s’instruire, frémir, s’ouvrir…
Les albums : de l’information à l’art
De par son format et la générosité de son illustration, l’album peut beaucoup. Dans tel cas, il regroupe avec efficacité tout ce qu’une jeune mémoire peut absorber à propos des dinosaures1. Dans d’autres cas, il va plus loin encore. À propos de la terre2 ou des océans3, par exemple, l’album procède à un utile et attrayant travail de sensibilisation et d’éducation. Décrire n’est alors qu’une première étape ; indiquer les alternatives et suggérer des gestes concrets en constitue une seconde. Pour ce qui concerne les deux albums ici en cause, un fort parti-pris écologique se manifeste, mais sans conscription malsaine des jeunes cerveaux. Gare, pourtant, aux parents qui n’emprunteraient pas discrètement les albums à leur progéniture : ils courront, en effet, le risque d’avoir souvent à expliquer leurs distractions et leurs vilains comportements… Peut-être devront-ils, cependant, comme moi, apprendre patiemment à apprivoiser la mise en page éclatée, discontinue, arborescente avec laquelle les jeunes générations ont appris à composer et qui déroute ceux qui ont grandi à l’époque des exposés linéaires.
1. David Lambert, trad. Claude Lauriot Prévost, Le monde des dinosaures, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 64 p. ; 24,95 $.
2. David Burnie, trad. Jean-Philippe Riby, La Terre notre avenir, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 60 p. ; 19,95 $.
3. Martin Bramwell, trad. Jean-Philippe Riby, Les océans notre avenir, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 60 p. ; 19,95 $.
Le monde de l’art est superbement servi par les deux albums suivants. Siméon et la petite pieuvre raconte la très simple histoire d’un monsieur dont le cœur était tendre et qui, presque sans le savoir, s’ennuyait. Quand la vie, qui parfois fait bien les choses, lui donna l’occasion de secourir Poussy, une pauvre petite pieuvre qui avait réussi à quitter sa cage, Siméon se montra à la hauteur. Entre lui et la petite pieuvre, l’amitié s’installa. La pieuvre, d’ailleurs, se montrait reconnaissante et serviable. Quand Poussy servait à table, elle savait verser le vin en même temps qu’elle offrait le potage et en même temps que… Poussy, hélas !, prit du volume et tous ne furent pas d’accord quand ses tentacules s’étendirent jusque dans les appartements voisins. Le dessin, magnifique de légèreté et d’élégance, rend aussi belle qu’émouvante l’histoire de cette amitié sans pareille.
Daniel Casanave et Bernard Jagozinski, Siméon et la petite pieuvre, Les 400 coups, Montréal, 2000, non paginé ; 15,95 $.
L’album commandé par le Musée du Québec à Chrystine Brouillet déroule à l’intention des jeunes un fil d’Ariane à travers l’exposition consacrée à Jean Dallaire. Olivier, comme trop de ses contemporains, a vite fait de juger ce qu’il ne connaît pas, la peinture entre autres choses. Lui a son violon et il se résigne mal à suivre sa classe dans une visite de musée. Heureusement pour lui et pour nous, le violon, lui, s’intéresse à ce que présentent les tableaux de Dallaire. Olivier, grâce à ce violon curieux et cultivé, se voit transporté à l’intérieur d’une toile et amené à parcourir le monde de Dallaire. L’histoire est un peu mince, mais le travail d’édition est si ingénieux et séduisant qu’on oublie vite le côté un peu artificiel du pari.
Chrystine Brouillet, Le voyage d’Olivier, Musée du Québec, Québec, 2000, non paginé ; 19,95 $.
Dépaysements en tous genres
Les livres offerts aux jeunes misent volontiers sur le dépaysement. Dépaysement dans le temps par les récits qui transportent en d’autres siècles ; plus fréquemment, dépaysement dans l’espace lorsque les héros vivent les réalités de pays étrangers ou la transition d’un décor à un autre.
Le secret de Marie-Victoire ramène, mais en renouvelant certains aspects du thème, au monde des Filles du roi. Un élément frappe, par exemple, qu’on trouve rarement dans les récits pourtant nombreux qui, depuis quelques années, réhabilitent ces jeunes filles : celui de l’annulation du mariage lorsqu’une entente bâclée trop vite s’avérait inappropriée. Cela permet à l’auteure de faire bifurquer son récit et d’équilibrer tensions et joies. La documentation est considérable ; elle nourrit le récit sans pourtant le rendre sec.
José Ouimet, Le secret de Marie-Victoire, Hurtubise, HMH, Montréal, 2000, 149 p.
Avec Alexis, fils de Raphaël, Marie-Célie Agnant poursuit ce qui ressemble de plus en plus à une chronique haïtienne et de moins en moins à un roman. Le résultat est heureux si l’objectif est de sensibiliser deux psychologies et deux sociétés l’une à l’autre ; il paraîtra un peu terne à ceux qui ont besoin de péripéties pour s’ouvrir aux autres cultures.
Marie-Célie Agnant, Alexis, fils de Raphaël, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 222 p. ; 12,95 $.
Le dépaysement se fait linguistique dans les deux belles et courtes histoires offertes par Milagros Ortiz-B.. C’est en trois langues, en effet ‘ français, anglais et espagnol ‘ que se déploie le récit. Le vocabulaire est suffisamment simple, les illustrations assez explicites, les traductions assez près l’une des autres pour que l’enfant le moindrement curieux s’aventure de lui-même à aller voir ce que devient le récit dans une autre langue. Finesse, bon goût, délicatesse font de cet instrument (peut-être) pédagogique un bien sympathique compagnon.
Milagros Ortiz-B., Le jour où le père Noël se perdit dans le désert, Guérin, Montréal, 2000, 36 p. ; 4,95 $ ; La petite fille qui cherchait son sourire…, Guérin, Montréal, 2000, 34 p. ; 4,95 $.
Autre proposition originale, celle de Joujou Turenne : non seulement la narratrice investit dans le texte lui-même un superbe talent de conteuse, mais elle offre une version parlée et chantée du cheminement de Ti Pinge. Planète rebelle, qui s’est presque fait une marque de commerce de ce mariage entre texte et voix, livre ainsi aux jeunes un conte haïtien douloureux comme beaucoup des récits de l’île peuvent l’être, mais l’allège par la vitalité enjouée et communicative de Joujou Turenne.
Joujou Turenne, Ti Pinge (+ CD), Planète rebelle, Montréal, 2000, 34 p. ; 19,95 $.
Aïxa, Châteaux de sable aussi s’intéresse à la transplantation en terre québécoise d’une enfant créole. Des châteaux de sable familiers, il faudra passer aux châteaux de neige. Ce ne sera pas toujours simple, car il faudra laisser beaucoup derrière soi, depuis la parenté aux contours généreux jusqu’aux animaux intégrés au décor et à la vie. En revanche, on redoutera moins les cyclones et les vilains soldats qui cherchent les gens qui ne pensent pas de la même manière que le gouvernement. Du beau travail à tous égards. Que Pirouli, une maison d’édition que je ne connaissais pas, reçoive le coup de chapeau qui salue les arrivées et les réussites.Sans oublier les contes !
Florence Bolté-Mentalo, Aïxa, Châteaux de sable, Pirouli, 2000, 48 p. ; 16,95 $.
Qui dit littérature jeunesse englobe forcément et joyeusement une brassée de contes. Le papillon amoureux met en présence l’un de l’autre deux êtres beaux, mais que tout sépare : un papillon et une rose. Les différences, certes, n’empêchent pas l’amour, mais elles compliquent drôlement le quotidien, surtout si la rose suit son cycle d’épanouissement, de mort et de résurrection pendant que le papillon traverse sa propre série de mutations. Le conte est raconté et illustré sans lourdeur, sans moralisme crispant, avec le doigté qui convient quand débutent les jeunes questionnements. Les leçons à tirer ? Le conte n’en impose ni n’en interdit aucune.
Soraya Benhaddad et Joël Boudreau, Le papillon amoureux, Bouton d’or Acadie, Moncton, 2000, 64 p. ; 8,95 $.
Tite-Jeanne et la pomme d’or s’inscrit dans la veine des innombrables contes où le succès finit par échoir au plus jeune de trois enfants, à celui, en somme, qui n’avait pour lui ni la force, ni l’expérience, mais qui compensait par de discrètes qualités morales et intellectuelles. La nouveauté, c’est que, cette fois, le cadet est une cadette et que, époque oblige, c’est une Tite-Jeanne qui affronte les prétentieux aînés. Les péripéties n’ont rien de particulièrement original, mais le dessin agréable et une rafraîchissante présence féminine suffisent à renouveler le conte.
Melvin Gallant et Denise Paquette, Tite-Jeanne et la pomme d’or, Bouton d’or Acadie, Moncton, 2000, 80 p. ; 8,95 $.
Simone Bussières aussi connaît ses classiques et sait les rajeunir sans les dénaturer. Elle fait donc sa place à la tradition de Noël, mais l’enjolive en permettant aux deux amis que sont l’olivier et le cèdre de se rendre, tout comme les mages, tout comme les bergers, à une certaine grotte à l’occasion d’une certaine nuit. Peut-être les arbres sont-ils devenus sédentaires cette nuit-là après avoir découvert leur utilité. Finesse et culture sont au rendez-vous.
Simone Bussières, Au temps où les arbres marchaient, Guérin, Montréal, 2000, 40 p. ; 4,95 $.
Les grands-pères sont à l’honneur dans les deux contes suivants. Dans le premier, l’aïeul intervient pour montrer à Maya et à Maïpo, deux enfants qui n’ont aucune notion d’arithmétique, comment savoir, en fin de journée, s’il leur manque des moutons1. L’histoire est intelligente et la pédagogie efficace, car le souci didactique n’entrave pas le cours de l’histoire ni ne diminue le plaisir de la lecture. Dans le second, un grand-père qui n’en a plus pour longtemps à vivre réserve à sa petite fille son ultime récit2. Il s’épuise à le terminer, mais il lui faut absolument tout transmettre. La mort est là, présente, annoncée, mais elle s’avance dans une admirable sérénité.
1. Philippe Jonnaert et Nathalie Lemay, Maya et Maïpo, Le Loup de Gouttière, Québec, 2000, 56 p. ; 7,95 $.
2. Marthe Latulippe et Pascaline Naninck, Louna et le dernier Chevalier, Le Loup de Gouttière, Québec, 2000, 72 p. ; 7,95 $.
Et pourquoi pas de simples histoires ?
Une histoire se suffit à elle-même, à condition cependant de susciter et de garder l’intérêt. C’est souvent le cas, mais pas toujours.
À force de vouloir dédramatiser les choses, C’est la vie, Pitchounette1 oublie d’en dire assez. Le ton, qui se veut quotidien et apaisant, est en fait trop dépouillé, trop retenu, pour atteindre à l’efficacité. Quant aux illustrations, elles aussi manquent de relief. Le sujet était pourtant excellent. De par son écriture un peu négligée au départ, La 13e carte2 risquait des reproches analogues. Mais le récit est si bien mené, si vite conduit à la tension dramatique, que les détails cessent de peser dans la balance. Le défi qui se pose à une jeune conscience et que nous raconte l’auteure sur un mode prenant et saccadé n’a rien à envier aux enjeux éthiques auxquels se heurtent les adultes les plus avertis. Comme expérience de vie et comme modèle de courage, on ne fait pas mieux.
1. Sylvie Massicotte, C’est la vie, Pitchounette, La courte échelle, Montréal, 2000, 60 p. ; 8,95 $.
2. Karmen Prud’homme, La 13e carte, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 157 p. ; 8,95 $.
Avec Marie-Danielle Croteau, on a, d’entrée de jeu, l’assurance d’une écriture alerte et d’un grand respect pour les jeunes lecteurs. L’auteure, grande navigatrice devant l’Éternel, veille toujours, en outre, à ce que son récit rapproche de la mer et des marins qui la sillonnent. Jusque-là, tout va bien. On garde cependant l’impression, cette fois, d’un travail vite fait et d’une aisance qui se laisse gagner par la facilité. C’est dommage, car ce qu’apporte cette auteure, de par l’originalité de son parcours et la qualité de sa réflexion, a peu d’équivalent.
Marie-Danielle Croteau, Les corsaires du capitaine Croquette, La courte échelle, Montréal, 2000, 96 p. ; 8,95 $.
Glissons rapidement sur Une histoire de Valentin. On a beau s’adresser à des enfants de sept ans, il n’est pas indispensable, en effet, de pousser aussi loin le côté infantile de l’écriture et l’allure négligé du dessin. Utile sans doute comme instrument pédagogique en raison de l’encadrement qu’on lui ajoute, le livre ne séduira que si un adulte sait le rendre séduisant.
Nicole M. Boisvert et François Thisdale, Une histoire de Valentin, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 70 p. ; 8,95 $.
Belle intention, résultat quelconque
L’idée d’expliquer très tôt aux jeunes les bases de notre système économique et de décoder l’étrange relation qui existe entre le travail et l’argent ne déplaira certes à personne. À condition, cependant, qu’on tienne parole. Malheureusement, malgré le sérieux des auteurs et l’effort pédagogique, ce n’est pas tout à fait le cas dans Le travail et l’argent. Certaines informations passent aisément, d’autres ne correspondent à rien dans l’univers des huit-neuf ans. Surtout, presque rien n’affleure de ce qui constitue l’aspect le plus tangible de l’argent dans le monde des tout petits : les énormes abus qui lui sont attribuables.
Brigitte Labbé et Michel Puech, Le travail et l’argent, Les goûters Philo, Paris, 2000, 40 p. ; 7,95 $.
Place au suspense
Nul public n’est insensible au polar, à l’intrigue policière, à l’angoisse, pas plus celui des jeunes que les autres. Ce secteur est d’ailleurs tellement peuplé qu’on y trouve aisément de l’excellent et du médiocre.
Dans Partie double, le prolifique Laurent Chabin réussit peut-être trop bien à dérouter son lecteur. Un adulte s’y retrouve, mais encore faut-il que jamais ne faiblisse son attention. Quant au jeune, ce savant jeu de miroirs et d’identités se réfléchissant presque sans fin le laissera probablement plus éberlué que conquis. Mais peut-être Chabin a-t-il raison, cette fois encore, de faire confiance à l’agilité mentale de son jeune public.
Laurent Chabin, Partie double, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 160 p. ; 8,95 $.
Norah McClintock, quant à elle, n’échappera en route aucun de ses jeunes lecteurs. On pactise d’emblée avec ce jeune homme qui, contre toutes les apparences et en dépit des témoignages qui accablent sa mémoire, persiste à admirer son père. Mais on aimerait lui dire, pour lui épargner de nouvelles déceptions, que c’est peine perdue, que son père n’a jamais tenu parole, qu’il a trahi tout le monde et son fils. Et puis, se dit-on, laissons-le aller, puisqu’il tient à mener sa propre enquête. Et cette enquête, aussi fine qu’émouvante, tour à tour éprouvante et réconfortante, est menée de bout en bout par un fils en qui beaucoup se reconnaîtront. La traduction rend bien l’atmosphère lourde – presque trop – de cet univers.
Norah McClintock, trad. Claudine Vivier, Enquête à…, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 272 p. ;
Le titre, en lui-même, est déjà un hommage au son : Symphonie en scie bémol. Le récit respectera cette consigne en se déroulant sur un tempo fantaisiste et emporté. Les illustrations, d’une grande finesse, contribueront elles aussi à rendre l’ensemble chatoyant, désinvolte, imprévisible. Seul bémol, l’écriture, que Magnenot maîtrisait pourtant bien en d’autres circonstances, et qui se permet ici d’étonnantes négligences.
Francis Magnenot, Symphonie en scie bémol, Boréal, Montréal, 2000, ; 8,95 $.
Blanc comme la mort mérite à peu près tous les éloges. L’atmosphère est crédible et prenante, l’écriture est correcte et plausible, la mise en situation s’effectue promptement et dans l’efficacité et, surtout, les propos qu’échangent une mère et une fille de ce temps sonnent juste. En peu de pages, nous avons droit à une histoire complète et bien structurée et à un suspense fort bien maintenu.
André Marois et Philippe Brochard, Blanc comme la mort, Boréal, Montréal, 2000, 122 p. ; 8,95 $.
15, rue des Embuscades tient le même pari. L’écriture est alerte, le ton est celui qui convient et le suspense, vite créé, résiste longtemps. La correspondance, art tombé en désuétude jusqu’à ce que surgisse le courrier électronique, reçoit ici sa réhabilitation. La fin déçoit un peu.
Claudie Stanké et Daniel M. Vincent, 15, rue des Embuscades, Hurtubise HMH, Montréal, 2000, 94 p. ; 8,95 $.
Et une grande place au fantastique
Sur le thème pourtant récurrent des mondes parallèles, Marcel Braitstein présente un face à face très réussi entre un anthropologue d’aujourd’hui et une culture qui a précédé notre temps et qui, néanmoins, dure encore. L’intérêt ne tient pas surtout aux théories scientifiques censées expliquer le passage d’un univers à l’autre, mais à la mise en parallèle de différents systèmes de valeurs. L’autre monde contrôle autrement, punit d’une manière différente, imagine une gestion inédite des transports en commun, cherche ailleurs ses sources d’énergie. Tout cela est cohérent et se tient jusqu’à la fin.
Marcel Braitstein, Saber dans la jungle de l’Antarctique, Éditions de la paix, Saint-Alphonse -de-Granby, 2000, 184 p. ; 8,95 $.
Guy Sirois propose, lui aussi, un dépaysement d’une grande cohérence. Certes, Mikkan ressemble aux adolescents de tous les temps et de tous les mondes par son besoin d’autonomie et sa propension à garder pour lui ce que les adultes ne sont pas censés comprendre, mais l’épreuve initiatique qu’il affronte se déroule selon des règles déroutantes et sans lien avec les nôtres. C’est d’ailleurs tout l’art de Sirois que de faire partager le destin de Mikkan sans perdre de temps à trop préciser les contours des bêtes ou des décors qu’il imagine. Il suffit que Mikkan affronte correctement son initiation et entre le front haut dans le monde de l’autre génération.
Guy Sirois, Un voyage de Sagesse, Médiaspaul, Montréal, 2000, 184 p. ; 8,95 $.
Nuits occultes se situe plus près du monde familier et, il faut le dire, à une plus grande distance de la réussite. L’intention pédagogique est tangible et certes louable, mais les soutiens qu’offre le récit à la jeune Sara n’ont rien de très rassurant. La psychologie est sommaire, la tentation suicidaire affrontée avec amateurisme, la méditation simplifiée à l’excès. Et le retour en force des anges gardiens n’a rien de nécessaire.
Suzanne Duchesne, Nuits occultes, Éditions de la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2000, 222 p. ; 9,95 $.
La forêt qui marche mêle de façon originale le propos écologique et le fantastique. Pourquoi, demande ce récit, les arbres ne pourraient-ils pas se défendre contre les excès humains ? Pourquoi devraient-ils assister à la désertification de la planète sans mot dire et sans bouger ? La question reçoit une réponse originale, mais qu’on aimerait moins abstraite, plus vulgarisée. Le recours aux légendes est séduisant, mais tant de personnages envahissent la scène que le récit s’emmêle un peu.
Bernard Boucher, La forêt qui marche, Boréal, Montréal, 2000, 129 p. ; 8,95 $.
Avec son superbe Siegfried ou L’or maudit des dieux, Daniel Mativat comble un vide. On connaît trop peu, en effet, cet immense personnage que se disputent avant de le partager presque toutes les cultures du nord de l’Europe. Sans doute pourrait-il également être revendiqué par d’autres peuples tant sont nombreux les liens qui apparentent, par exemple, Siegfried et le monde d’Homère. Comme Achille, Siegfried conserve un point faible. Comme Ulysse, il est le seul à pouvoir utiliser son arme favorite. Comme chez Homère, les dieux se mêlent des affaires des humains et ne s’inclinent que devant l’implacable destin. Narrateur alerte et fidèle, Mativat garde au héros ses dimensions, son côté belliqueux, sa conception de l’honneur, tout comme il met en évidence les différences qui, depuis les temps immémoriaux, séparaient le nord de l’Europe du royaume des Goths. On peut parier que l’épopée séduira la jeune génération comme elle a enchanté les précédentes.
Daniel Mativat, Siegfried ou L’or maudit des dieux, Éditions Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2000, 272 p. ; 11,95 $.
Terminons sur l’incontournable Harry Potter. Le succès des titres précédents est si total que les nouvelles aventures du jeune étudiant en sorcellerie sont évidemment promises à un engouement comparable. J’avoue pourtant ma tiédeur face au phénomène Potter. Le récit coule sans heurt, certes, et les rebondissements se succèdent sans grand essoufflement de l’écriture, mais la fusion est si imprévisible et si peu cohérente entre le réel et l’univers de la magie qu’on ne peut compter, d’une couverture à l’autre, sur une psychologie à peu près stable. On présente le jeune Harry comme un concurrent d’une parfaite droiture, mais il finit par tricher autant que les autres et il ne devra ses succès qu’aux aides extérieures sur lesquelles il n’est pas censé compter. Comme, d’autre part, la magie intervient parfois bien avant que les ressources humaines soient épuisées, on a le sentiment de circuler dans un récit d’où le raisonnement est banni. Un peu comme dans ces livres « dont vous êtes le héros », l’intrigue invite à choisir entre la gauche et la droite, entre l’effort humain et le recours magique, mais ne fait reposer la décision sur aucune rationalité. La vie de Harry Potter ressemble ainsi à une saga interminable où le hasard se substitue à la vraie fantaisie. Mais tant de millions de jeunes lecteurs peuvent-ils avoir tort… ?
J.K. Rowling, trad. de Jean-François Ménard, Harry Potter et la Coupe de Feu, Gallimard, Paris, 2000, 655 p. ; 29,95 $.