Tout comme la disparition du mur de Berlin a ouvert le marché littéraire à des œuvres boudées par les censeurs de Moscou, le vent qui souffle sur la littérature jeunesse suscite des œuvres inattendues et des explorations audacieuses. Les tendances lourdes conservent cependant leurs auditoires. Le paysage s’en trouve sainement contrasté.
Nourrir la curiosité
La curiosité n’existerait pas que l’enfant l’inventerait. Sans elle, comment rattraper la société des adultes, se mettre au diapason et, qui sait, prendre une longueur d’avance sur ceux qui boudent les questions ? Tant mieux si les livres nourrissent cette curiosité. Dans la collection « Savais-tu ? », c’est au tour des crocodiles de révéler leurs secrets avec Savais-tu les crocodiles ?1 Ils le font avec bonne humeur, ne cachant pas leur voracité, mais en expliquant que chaque espèce doit pondre ses œufs, grandir, communiquer, vivre en bande ou en couple, manger tout le mangeable. D’un titre à l’autre, les caricatures de Sampar servent le texte d’Alain M. Bergeron et Michel Quintin de plus près. Un flot d’informations déferle et l’humour en facilite la rétention. Leïla, enfant touarègue2 s’inscrit dans la série « Enfants du monde » et initie aux mondes méconnus. Les auteurs Hervé Giraud et Jean-Charles Rey ont d’emblée troqué l’exotisme de pacotille contre le regard amical sur l’humain différent de soi. Texte et photographies pratiquent dépaysement et respect. Les images déconcerteront les enfants d’un Occident sédentarisé et englué dans son confort, puis provoqueront questions et compréhension. L’eau, la condition féminine, la transhumance, le désert et le soleil incandescent, autant de facettes de l’univers touarègue qui éveilleront l’enfant aux persistantes différences culturelles.
1. Alain M. Bergeron, Michel Quintin et Sampar, Savais-tu les crocodiles ?, T. 10, Michel Quintin, Montréal, 2002, 64 p. ; 7,95 $.
2. Hervé Giraud et Jean-Charles Rey, Leïla, enfant touarègue, PEMF, Mouans-Sartoux, 2002, 20 p. ; 10,95 $.
Le conte du petit Amazigh de Wahmed Ben Younès choisit une autre tonalité. Le récit, bilingue, sonne comme un chant de résistance. La langue et la culture berbères sont menacées par un monstre à sept têtes qu’il semble futile de nommer. Le jeune lecteur s’étonnera du fossé linguistique et admettra que chaque collectivité a droit à son âme et à l’expression de son âme. Qu’il soit cependant permis de s’interroger sur ce recours un peu grinçant à la satanisation pour défendre une langue et une culture auprès des enfants. Le conte et la légende pourraient sensibiliser sans cette lourde insistance.
Wahmed Ben Younès, Conte du petit Amazigh, Le Figuier, Québec, 2002, 48 p. avec CD.
Vulgarisateurs de renom, John Crossingham et Bobbie Kalman examinent cette fois le phénomène de la migration. Les exemples pullulent, depuis les parcours de l’anguille jusqu’aux vols transcontinentaux des bernaches ou des sternes. Peut-être même l’observation a-t-elle perdu en précision ce qu’elle a gagné en diversité. Dans La migration, on mentionne, en effet, plus qu’on explique. Le splendide monarque ne reçoit qu’une mention laconique. Les lemmings ne livrent à peu près rien de leur mystère. La noyade de milliers de caribous n’est pas éclairée par la recherche. Peut-être l’intention était-elle de s’adresser à des jeunes qui découvrent le phénomène ; ceux dont la curiosité était déjà aiguisée resteront sur leur faim.
John Crossingham et Bobbie Kalman, La migration, trad. de l’anglais par Paul Rivard, Banjo, Mont-Royal, 2002, 32 p. ; 8,95 $.
Avec Pierre Chastenay, la précision est au poste. Je deviens astronome guidera l’astronome amateur, en plus de constituer une source de motivation. Car l’auteur parle d’astronomie avec une ferveur communicative, avec cette foi qui suscite l’engagement scientifique. Les principaux instruments d’observation, cherche-étoile, lunettes ou télescope, sont présentés, décrits, démystifiés. Leurs talents sont comparés, leur coût aussi. Les précautions, indispensables face au soleil, sont formulées et reformulées, avec l’insistance d’une lucide pédagogie. Pédagogie qui fournira des trucs mnémotechniques pour distinguer les premier et dernier quartiers de la Lune. Les distinctions, dont l’enfant s’enorgueillira vite pour éblouir ses géniteurs, sont clairement établies entre planètes, étoiles, satellites, étoiles filantes. À peine reprochera-t-on à l’auteur, emporté par son enthousiasme, d’omettre certaines explications, comme celle que requerrait la lune « gibbeuse ». Un bel album illuminé par une passion, une curiosité qui consent à la rigueur.
Pierre Chastenay, Je deviens astronome, Michel Quintin, Montréal, 2002, 48 p. ; 24,95 $.
Quand coule la fantaisie
Curiosité et fantaisie s’unissent parfois pour cheminer de conserve. C’est le cas quand Gilles Tibo emprunte les yeux du Petit Bonhomme pour identifier tantôt ses mots (Les mots du Petit Bonhomme1), tantôt ses musiques (Les musiques du Petit Bonhomme2). Quiconque observe l’enfant s’aperçoit, en effet, qu’il gobe avec une sereine boulimie lettres, mots, bruits. Il sait que les mots ont une maison. Il a, lui, sa voix intérieure. Il étiquette mentalement les objets qui l’entourent et dresse l’inventaire des sons produits par les mains ou les jouets. Les préfaces des deux albums, l’une rédigée par la violoniste Angèle Dubeau, l’autre par le génial Sol, confirment que musiques et mots s’offrent à l’enfant infiniment plus intensément et plus vite qu’il n’y paraît. Dessin et texte pétillent d’intelligence.
1. Gilles Tibo et Marie-Claude Favreau, Les mots du Petit Bonhomme, Québec Amérique, Montréal, 2002, 48 p. ; 12,95 $.
2. Gilles Tibo et Marie-Claude Favreau, Les musiques du Petit Bonhomme, Québec Amérique, Montréal, 2002, 48 p. ; 12,95 $.
L’abécédaire des pays imaginaires de Réjane Bougé et Maude Bonenfant, bel et exigeant album, offre sa fantaisie et ses richesses à ceux et celles qui savent lire comme on goûte. Peu de profit pour ceux qui confondent lecture et course fébrile. L’humour, en effet, y est fin, recherché, dissimulé au détour des mots et des phrases. La curiosité doit se faire attentive, ralentir, s’habituer aux tonalités du conte. Heureusement, une découverte souriante récompensera chaque temps d’arrêt et chacune des relectures. Ce serait sous-estimer les jeunes que de les croire incapables d’accéder à un imaginaire intelligent et un peu codé. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas lire l’album avec eux ?
Réjane Bougé et Maude Bonenfant, L’abécédaire des pays imaginaires, Les Heures bleues, Montréal, 64 p. ; 19,95 $.
Autre album qui invite à une lecture partagée, L’auberge de Nulle Part de J. Patrick Lewis et Roberto Innocenti. Illustrations et texte multiplient les détours pour évoquer la meilleure littérature. Les lecteurs qui fréquentent cette auberge y stimulent leur imagination, car les grands conteurs y délèguent leurs personnages. Dans tel coin, Huckleberry Finn. Dans un autre, la Petite Sirène. Et là-bas, est-ce l’aviateur du Petit Prince ? Et là, Don Quichotte ? Pour peu qu’un adulte aide à décoder les allusions, le passage dans cette étrange auberge constituera un tremplin vers les indispensables lectures qui y sont évoquées, celles de Charles Dickens, d’Italo Calvino, d’Emily Dickenson, de Cervantès… Permission est donc accordée à l’adulte de lire l’album en cachette et de guider ensuite la jeune génération à travers une galerie de chefs-d’œuvre littéraires. Roberto Innocenti, à lui seul, justifierait la contemplation de l’album.
J. Patrick Lewis et Roberto Innocenti, L’auberge de Nulle Part, Gallimard, Paris, 2002, 48 p. ; 24,95 $.
L’humour et ses modulations
Grosse commande pour le lutin Barouf dans Barouf au pôle Nord : à la demande du père Noël, il doit combler le rêve d’une fille de cheikh, rien de moins qu’un Noël neigeux dans le désert. Avec l’aide de l’oie blanche Kéra, qui lui sert de fusée porteuse, Barouf part en mission. Des collaborations inattendues lui porteront secours et l’imagination fera le reste. L’auteure Sonia Sarfati, aussi à l’aise lorsqu’elle quitte le monde du vraisemblable que lorsqu’elle crée des personnages plausibles, écrit bellement, efficacement, avec finesse.
Sonia Sarfati et Jacques Goldstyn, Barouf au pôle Nord, La courte échelle, Montréal, 2002, 64 p. ; 8,95 $.
Roddy Doyle, dans Le chien au nez rouge, lance son humour vers tout ce qui bouge, y compris son lecteur. Il taquine celui qui le lit, lui impose des messages publicitaires délirants, retricote son début, multiplie les précisions loufoques et aboutit à une drôlerie alerte et soutenue. C’était une trouvaille que de substituer le chien Flannigan, imprévisible et gavroche, au renne Rodolphe tombé malade juste avant la distribution des cadeaux de Noël. Mais une trouvaille ne serait que cela si elle s’essoufflait en quelques pages. Ce que réussit Roddy Doyle exige un autre souffle : le délire dure 160 pages, le rythme ne faiblit pas, la truculence prend le relais des pitreries, la géographie se montre conciliante et les négociations entre Flannigan et le père Noël tournent à la caricature. De quoi rigoler.
Roddy Doyle et Brian Ajhar, Le chien au nez rouge, Scholastic, trad. de l’anglais par Groupe Syntagme, 2002, 160 p. ; 8,99 $.
D’après Muzo, même une petite sorcière peut devenir amoureuse. Dans Amanda Crapota, Le philtre d’amour, celle-ci envisage d’ailleurs avec optimisme la conquête du garçon qui lui plaît, car elle sait quel philtre cacher dans le gâteau offert au désirable garçon. Ce n’est pourtant pas si simple de prévoir les caprices de la jeune nature humaine et Amanda, toute sorcière qu’elle soit, aura des surprises. Texte simple, dessins presque rudimentaires, mais situation propice à de sympathiques malentendus.
Muzo, Amanda Crapota, Le philtre d’amour, Albin Michel, Paris, 2002, 30 p. ; 7,95 $.
Peut-être l’album de Dominique Demers et Hélène Desputeaux, Pour Noël, Damien veut un chien, devrait-il porter un avertissement : « Danger. Ceci peut inciter vos enfants à imiter Damien ! » Que Damien veuille un toutou pour Noël, on le conçoit. Qu’une mère soit réticente à l’idée d’accueillir dans sa maison un ouragan de poils, on le conçoit également. Que le père, qui ne s’occupera probablement pas de ramasser les dégâts, pactise un peu lâchement avec la demande et obtienne qu’un tout petit chien serve de compromis, cela aussi est imaginable. Ce qui était moins prévisible, c’était que l’énorme et tumultueuse Bavette, au grand dam de la mère, remplace la minuscule bête à laquelle celle-ci se résignait. Bavette saura-t-elle se faire accepter ? Il semble que oui. Le dessin d’Hélène Desputeaux, superbement effervescent, montre pourtant que Damien et son monstre appelé Bavette constituent un redoutable défi à l’ordre maternel. Vous aurez été avertis !
Dominique Demers et Hélène Desputeaux, Pour Noël, Damien veut un chien, Les 400 coups, Montréal, 2002, 32 p. ; 12,95 $.
Contes et mystères
Quel cadeau plairait à la reine Aurore boréale ? C’est ce que Rose cherche à savoir dans Le cadeau de Rose, car cela la tirerait de son isolement et de sa pauvreté. Hélas ! Elle est, à la manière de Cendrillon, en concurrence avec des gens riches. L’amitié que lui porte l’étoile Églantine viendra à son aide. Texte simple de Louise Burgoyne, atmosphère bien créée, solution un peu étonnante puisque l’amitié entre Rose et Églantine semble en faire les frais.
Louise Burgoyne et Denise Bourgeois, Le cadeau de Rose, Bouton d’or Acadie, Moncton, 2002, 72 p. ; 8,95 $.
Avant même de naître, Le piano muet était voué au succès. Texte (de Gilles Vigneault), musique (de Denis Gougeon) et illustrations (de Gérard Dubois) étant tous de bon calibre, l’album, de fait, mérite des éloges. L’ensemble est sobre, contenu, pudique : ce qui a fait taire le piano ne se raconte pas à coups de superlatifs ou de trompette, ni dans le fracas des couleurs violentes. Écouter livre à la main la version sonore qu’offre le CD rappellera l’atmosphère de Pierre et le loup et montrera à quel point une osmose a agi entre l’élégance du texte, l’ocre feutré des illustrations et la capacité d’évocation de la musique.
Gilles Vigneault, Denis Gougeon et Gérard Dubois, Le piano muet, Fides, Montréal, 2002, 52 p. avec CD ; 24,95 $.
Il fallait beaucoup d’imagination et de générosité pour rendre émouvant le cri grinçant du corbeau. C’est chose faite, grâce à La légende du corbeau d’Isabelle Larouche et Julie Rémillard-Bélanger. Beau conte où le croassement rappelle aux chasseurs de ne rien oublier en quittant leur igloo. Puisqu’il y va de leur vie d’écouter le corbeau, une forme de reconnaissance apaise les protestations de l’oreille.
Isabelle Larouche et Julie Rémillard-Bélanger, La légende du corbeau, trad. en inuttitut de Sarah Beaulne, Éditions du soleil de minuit, 2002, 24 p. ; 8,95 $.
Sagas en germes ou épanouies
Depuis que Harry Potter a prouvé que les jeunes peuvent ingurgiter des récits interminables, des sagas naissent ou renaissent. Toutes ne méritent pas de passer à la postérité.
À en juger par le deuxième tome des aventures du génial Artemis Fowl, Artemis Fowl, La mission polaire, ce n’est pas demain la veille que ce surdoué habitera un univers minimalement prévisible et constant. On passe de la mafia russe à un centaure responsable des services d’espionnage, d’un nain cambrioleur pestilentiel à des policières qui guérissent comme des elfes, avec le résultat que la logique ne vaut pas plus cher que celle d’un Nintendo. Si un des bons (?) a des ennuis, Eoin Colfer modifie le cours des choses pour inventer l’antidote, l’allié, le miracle qui permettront de recoudre le doigt amputé ou de réactiver miraculeusement les armes frappées d’inefficacité dans le chapitre précédent. Le réalisateur de cinéma qui préfère les effets spéciaux à un scénario intelligible trouvera ici de quoi s’inspirer.
Eoin Colfer, Artemis Fowl, T. 2 : Mission polaire, trad. de l’anglais par Jean-François Ménard, Gallimard, Paris, 2002, 357 p. ; 23,95 $.
La princesse au dragon de Marion Zimmer Bradley ne correspond pas, du moins pas dans son gabarit actuel, à la famille des sagas. Cependant, le récit laisse la porte ouverte à des tomes ultérieurs. Apprécions déjà l’ancrage du projet dans un monde médiéval. Un code existe, éprouvé par le temps, qu’on ne saurait enfreindre ; cela, qui ne stérilise pas l’imagination, empêche de confondre arbitraire et fantaisie, facilité et liberté. On campe dans le virtuel, mais des balises existent qui valorisent l’élégance.
Marion Zimmer Bradley, La princesse au dragon, Du Rocher, Monaco, 2002, trad. de l’américain par Monique Lebailly, 105 p. ; 14,95 $.
Beau récit libre et cohérent, Le phare d’Isis de Monica Hughes hisse le fantastique à son meilleur niveau. Oui, Isis est située à plusieurs parsecs de la Terre. Oui, des Terriens, chassés par la pollution de la planète autrefois bleue, débarquent sur Isis. Oui, un jeune Terrien admire jusqu’à l’attachement l’énigmatique Nolwenn qui fut, des années durant, gardienne du phare d’Isis. Clichés à la tonne ? Attention ! Nolwenn est admirablement adaptée aux exigences d’Isis, mais à quel prix a-t-elle acquis cette protection ? Des mutations, indispensables et marquantes, provoquées ou lentement subies, en auraient-elles fait une femme moins attirante ? Mark, le Terrien, devra affronter la question ; Nolwenn aussi. Le fantastique aborde ici les questions fondamentales : la différence, la tolérance, les préjugés. Une saga dont on désire déjà la suite.
Monica Hughes, Le phare d’Isis, trad. de l’anglais par Jean-Louis Trudel, Médiaspaul, Montréal, 2002, 271 p. ; 12,95 $.
Aux frontières des hypothèses
Le mystère des marais de Michel Lebœuf fait penser à l’univers de Kafka. Une métamorphose a lieu et le héros se retrouve grenouille. Son horizon se réduit à trois objectifs, précis et exigeants : manger, ne pas être mangé, perpétuer l’espèce. Et ces règles contraignent comme si, dans nos gênes, subsistait la trace d’anciens impératifs. Récit troublant et solidement construit.
Michel Lebœuf, Le mystère du marais, Michel Quintin, Montréal, 2002, 112 p. ; 8,95 $.
Dans L’aigle et le héros de Colette Quesnel, les mythes sont mis à contribution. Les valeurs aussi. Combien de collectivités ont consenti, lors d’une invasion, à s’en remettre à ceux qui, hier encore, inspiraient la méfiance ? Face aux cyclopes, doit-on parier sur la paix et la coexistence ou sur la peur et la fuite ? Affrontement entre des cyclopes dignes d’Homère et un jeune héros moins arrogant qu’Ulysse, mais aussi efficace.
Colette Quesnel, L’aigle et le héros, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2002, 72 p. ; 8,95 $.
Le diable a beau avoir vieilli, il a conservé sa séduction. Dans Le Diable et l’istorlet, il impose encore sa magie et son arbitraire. Il intervient, en tout cas, dans les centres de recherche les plus modernes, ridiculise les raisonnements scientifiques, autorise ou interdit les voyages qui carburent à la pensée. Luc Pouliot maîtrise ces constantes. Mais, s’il gère bien les règles du jeu, il ne rend pas son diable suffisamment menaçant.
Luc Pouliot, Le Diable et l’istorlet, Hurtubise HMH, Montréal, 2002, 152 p. ; 9,95 $.
Deux bouquins démontrent qu’en matière de littérature la relève est aux portes. Anne Prud’homme, tôt entrée en littérature, confirme son talent. L’intrigue de La cible humaine est tricotée serrée, diverses pistes demeurent également plausibles et menaçantes, on ne sait s’il faut présumer le bon sens du héros ou, au contraire, douter de son équilibre. Indice sûr d’une croissante maturité littéraire, Anne Prud’homme termine son récit en renvoyant le lecteur à ses doutes. Et donc à son plaisir.
Anne Prud’homme, La cible humaine, Vents d’Ouest, Hull, 2002, 146 p. ; 9,95 $.
Fort de l’exemple d’Anne Prud’homme, l’admirable éducateur qu’est Michel Lavoie pousse de nouvelles cohortes à l’écriture. Le défi regroupe dans cet esprit les textes de neuf jeunes filles (où sont les garçons ?) dont plusieurs méritent déjà une reconnaissance publique. Beaucoup d’originalité dans le déploiement des thèmes et des enjeux.
Michel Lavoie (sous la dir. de), Le défi, Vents d’Ouest, Hull, 2002, 164 p. ; 9,95 $.
À proximité du quotidien
À côté du fantastique et de la fantaisie, le réel, toujours résistant, conserve son emprise.
Si Émile veut un petit frère, son lapin Clico risque de perdre sa place. Drame. Le récit de Kathleen Michaud se débarrasse un peu vite du bébé trouvé par hasard et qui menaçait de s’incruster. Dessin expressif, mais peu délié.
Kathleen Michaud et Éric Bertrand, Émile veut un petit frère, Sedes, Paris, 2002, 16 p. ; 7,95 $.
Belles questions de Raymonde Painchaud à propos de l’origine des livres dans D’où viennent les livres ? Le rôle de la bibliothécaire est mis en relief, car c’est vers elle que convergent les demandes. Où trouve-t-elle les récits qu’on lui demande ? Les écrit-elle elle-même ou bénéficie-t-elle de connivences privilégiées avec des auteurs ? Et si le livre naît sur demande, comment savoir si on est écrivaine ? Avant d’avoir écrit ou après ? Certaines réflexions détonnent un peu dans un texte destiné à la jeune génération, mais si rarement que je ne l’ai pas dit.
Raymonde Painchaud et Marie-Claude Favreau, D’où viennent les livres ?, Pierre Tisseyre, Montréal, 2002, 72 p. ; 7,95 $.
J’ai vendu ma sœur (Danielle Simard), clame fièrement Noé, certain que ses parents seront contents eux aussi d’être débarrassés d’une petite chipie qui crie, griffe et mord. Il se trompe, bien sûr, mais comment le blâmer quand on connaît Zoé ? Vivant, drôle, sainement indéfendable.
Danielle Simard, J’ai vendu ma sœur, Soulières, Saint-Lambert, 2002, 64 p ; 7,95 $.
Avec Galoche chez les Meloche d’Yvon Brochu et David Lemelin, une prometteuse série prend son envol. Le chien Galoche, comploteur né, entend éliminer le dénommé Jérémie pour lequel sa maîtresse Émilie éprouve un faible. Drôle, explosif, d’un parfait naturel.
Yvon Brochu et David Lemelin, Galoche chez les Meloche, FouLire, Sainte-Foy, 2002, 120 p. ; 8,95 $.
Et deux conclusions
On a bien fait, au Loup de Gouttière, de ne pas arborer le titre de « Contes philosophiques ». Certes, Les contes d’Audrey-Anne de Marie-France Daniel et Marc Mongeau débordent de questionnements vitaux, mais la philosophie fait souvent peur. Oublions donc le titre et allons à l’essentiel. Ce dense petit bouquin serait signé par Socrate qu’on ne sursauterait pas. Il sonde les comportements, provoque la réflexion sur les différences, invite à justifier le besoin d’intimité, regarde en face nos propensions à la violence… Tout cela sans conclure, tout cela sur le mode interrogatif. De quoi alimenter les discussions en maternelle, en classe et, pourquoi pas, à la table familiale ?
Marie-France Daniel et Marc Mongeau, Les Contes d’Audrey-Anne, Le Loup de Gouttière, Québec, 2002, 112 p. ; 9,95 $.
Nouveau roman de Charlotte Gingras, nouvelle réussite. La fille de la forêt manifeste une fois encore l’extraordinaire aptitude de l’auteure à mettre en scène des personnages vrais, à abolir les frontières entre l’auditoire adolescent et les prétentions adultes, à résorber les pires problèmes de communication humaine sans sacrifier à la facilité ou au jovialisme. Charlotte Gingras s’attaque à ce qui, au départ, semble insurmontable : l’énorme fossé entre une jeune fille chassée de sa forêt et de ses lacs et le monde urbain où tant de gens confondent vie et clinquant, compassion et dames patronnesses. La distance s’amenuise parce que s’effectue un merveilleux travail de sape et d’apprivoisement qui érode l’incompréhension. Des passerelles sont alors lancées qui conduisent au respect, à la confiance, à la générosité des pactes cordiaux.
Charlotte Gingras, La fille de la forêt, La courte échelle, Montréal, 2002, 160 p. ; 9,95 $.
Trente titres, vingt-quatre éditeurs, comment ne pas y trouver son compte ?