Planètes regroupe 37 récits brefs dont l’esthétique repose sur la concision obtenue par la transgression : libertés prises avec la ponctuation, les règles syntaxiques et celles de la narratologie. Le résultat ? Un style vif, original, en harmonie avec le propos de l’œuvre, qui met l’accent sur ce que souvent l’on refuse de voir.
En effet, au centre de Planètes, un narrateur, un « tu », « je » masqué – façon d’interpeller le lecteur –, présent dans chacun des textes, entouré de personnages qui reviennent épisodiquement. Aucun n’est nommé. Or dans le récit « Étymologie », le narrateur décrit des personnages en situation d’errance. Puis tombe la chute : « Du grec planêtês, errant ». Là se trouve en quelque sorte un indice del’univers que visite Mario Cyr et qui donne son unité au recueil. Des SDF, mais aussi des exploiteurs, un politicien, « colosse aux pieds d’argile », un beau-père, « petit potentat de province », alternent avec la solitude d’une mère, le déracinement d’une grand-mère, le bonheur tranquille d’un enfant trisomique et les petits boulots du partenaire homosexuel.
Le sens jaillit du contraste qui fait ressortir, mine de rien, la bêtise, l’iniquité, l’exclusion de l’un ou l’autre des personnages. Mine de rien, car les liens logiques, marqueurs de relation, verbes introducteurs de paroles citées, guillemets et tirets n’apparaissent pas dans l’écriture de Cyr, pas plus que les temps verbaux autres que le présent. La ponctuation est réduite à la virgule, le point n’apparaissant qu’en fin de paragraphes, quand paragraphes il y a. Ainsi le style d’une extrême concision donne aux récits un rythme syncopé auquel contribue souvent une chute inattendue. À titre d’exemple, résumons « Manouche », texte de dix lignes : elle achète, achète, passant d’une boutique chic à une autre. Alors qu’elle et son compagnon sont rendus dans le métro, celui-ci (« tu ») remarque que le violoniste qui y joue a du talent. Et elle : « [P]ourquoi il quête alors ? » Effet saisissant.
Force est de reconnaître que malgré les contraintes que s’est imposées Cyr (peut-être grâce à elles), Planètes est remarquable par sa créativité. Encore faut-il un auteur de talent, fin connaisseur de la langue et des procédés d’écriture, car il ne suffit pas de faire éclater les normes pour faire de l’art.