Magnifique Marcel Sabourin ! Chez lui l’inventivité, l’audace, l’intériorisation d’un grand acteur, doublé d’un immense pédagogue : un modèle de professeur de théâtre !
On n’énumérera pas ici tous les grands rôles tenus par Marcel Sabourin… on trouve cette liste inespérée en annexe de l’indispensable biographie proposée par le journaliste Robert Blondin.
Enfant unique, le jeune Marcel grandit auprès d’un père pharmacien « très permissif » et d’une mère aimante dont il hérite la gestuelle presque théâtrale. Ses débuts sont fulgurants : il devient le professeur Mandibule dans La Ribouldingue, une émission pour enfants de calibre international à laquelle il collabore pour le scénario. C’était l’âge d’or de la télévision d’État à la fin des années 1960 ; mais rétrospectivement, il se révèle que les décideurs manquaient de confiance envers les artistes. La direction a raté une occasion unique d’exporter ces fleurons de la culture radio-canadienne : « Si Radio-Canada s’était donné un coup de pied dans le derrière, s’ils n’avaient pas eu honte de l’accent québécois et de l’accent russe de Kim [Yaroshevskaya], et avaient eu confiance, fait preuve d’audace, il y a au moins une dizaine de Sol et Gobelet et quatre ou cinq Fanfreluche qui auraient fait le tour du monde ».
Il faut lire les dessous du film J. A. Martin, photographe (1976), coscénarisé par Marcel Sabourin, qui tient le rôle-titre. C’est resté son personnage préféré, avec celui qu’il joue dans La mort d’un bûcheron (1973), de Gilles Carle. Descendu par un critique du Devoir lors de sa sortie à Montréal, le long métrage de Jean Baudin remporte le Prix du jury œcuménique au Festival de Cannes, et c’est Marcel Sabourin qui reçoit la Palme d’or de la meilleure interprétation féminine pour Monique Mercure – repartie plus tôt – des mains de la légendaire Monica Vitti ! Reconnaissance suprême ! Et par la bande, on dénonce les jeux de coulisses et la bureaucratie de l’ONF, productrice du film.
Parolier de chansons emblématiques de Robert Charlebois (« Engagement », « Te v’là », « Tout écartillé ») mais aussi de Louise Forestier et de Tony Roman (« À cheval sur un billot »), Marcel Sabourin n’a pas touché un sou de droits d’auteur. Parallèlement à sa scénarisation pour la télévision, il donne des pièces avant-gardistes comme Superarchipelargo, autour de 1968, qui ne rencontrera pas son public ; les manuscrits sont déposés aux Archives nationales du Canada (aujourd’hui Bibliothèque et Archives Canada), à Ottawa. Et le spectacle continue.
Robert Blondin offre un portrait enthousiasmant de Marcel Sabourin. Son ouvrage comporte en outre beaucoup de conseils sur le jeu d’acteur, par exemple sur les stratégies visant à transformer les défauts d’un acteur en signes distinctifs. On reprochera au biographe le manque de dates précises, qui auraient permis de situer les événements relatés.
« Je suis un paradoxe ambulant », dira Marcel Sabourin. Son public pourrait ajouter, unanime : un paradoxe indispensable.