Tentaculaire et protéiforme, le second livre de Roseline Lambert est une invitation au voyage, une quête importante vers soi qui déterre les lieux, les histoires, les couleurs qui nous font.
« À la page quinze, annoncer mon livre : la matérialité des couleurs du songe. » Audacieux programme, ambitieux aussi, dont chacune des sections, « Les couleurs du sang », « Les couleurs de l’eau », « Les couleurs du ciel »,marque un point déterminant dans l’histoire de la naissance de la poète ; naissance au monde, mais aussi à elle-même.
La narratrice voyage. À bord de trains, elle parcourt Saint-Pétersbourg, Brighton, Londres, Baños, Sofia, Paris, Montréal. Les entrées sont datées, mais ne sont pas présentées dans l’ordre chronologique. Le fil de la mémoire se déroule, suit des réflexions, des souvenirs. Je creuse avec la poète, je marche derrière elle, sur un chemin très personnel, un chemin qui n’est pas le mien, et je m’accroche, me sens liée à ses interrogations, ses réflexions. Qui est-on, dans le regard de l’autre ? Et quel regard pose-t-on sur soi ? Comment dire les petites cruautés, le malaise du corps ? Comment dire la rencontre ? Roseline Lambert tisse des liens, des fils colorés, elle retrace son lignage. Au détour de certains textes, des mots ressortent, imprimés en couleur, et le sens s’ouvre, se fragmente. Qu’est-ce qui existe en tant que fabrication de l’esprit ? Est-ce que les impressions, les couleurs, la mémoire, l’identité, le genre en sont ?
L’amour de l’auteure pour les mots, le langage, la nature et la science traverse le livre, dont la forme se meut et devient tour à tour réflexion sur soi et sur la pratique de l’écriture, journal, carnet de voyage, essai, poésie. Bourré de références, le recueil dialogue avec le passé, avec lui-même, avec d’autres écrivains et d’autres livres. On est toujours en voyage. Le ton prend parfois une tournure cynique et plus révoltée, mais il demeure somme toute doux et introspectif ; l’écriture est intelligente, curieuse : « Me perdre, respirer les feuilles dans la forêt, mon laboratoire est propre, je dépoussière mes livres ». Lambert écrit comme elle l’entend ; elle prend les chemins qu’elle veut, la forme qu’elle souhaite, pour se matérialiser.
Brillant et profond, Les couleurs accidentelles exige souplesse et ouverture d’esprit de la part du lecteur, puisqu’on est constamment dans un état entre doute et étonnement, peut-être à l’image de l’entreprise de l’auteure : « Avouer mes doutes, témoigner de mes lancinantes bifurcations dans ce livre, laisser voir ma perméabilité aux nouvelles idées, changer de perspective, déborder, intensifier, pleurer quand j’écris ». Un livre à garder tout près de soi pour y revenir à souhait et en savourer toute la puissance.