La Thébaïde vient de rééditer un modeste classique de la littérature prolétarienne, L’usine (1931), de Jean Pallu (1898-1975), qui compte treize histoires d’ouvriers et de mœurs ouvrières. Je m’attendais à la plus stricte esthétique naturaliste. Que non ! L’usine, c’est tout plein de trouvailles formelles et de jeux narratifs. Un certain didactisme affleure dans presque chaque portrait, chaque tableau, pas caché mais plutôt incorporé à ces mêmes trouvailles, jamais démagogique. Formellement, les nouvelles se distinguent toutes, la variété est au rendez-vous sur un fond thématique d’aigreur, de souffrance physique et morale, de rancune et d’exploitation : de l’homme par l’homme, de l’homme par la machine, de l’employé par le patron ou le supérieur. Une des meilleures nouvelles du recueil, « Les bourres », représente bien l’ensemble : la forme télégraphique, le portrait en accéléré de la déchéance progressive d’un ancien militaire qui tente de se refaire une vie, une leçon discrète sur fond de misère feutrée et parfois méchante.
Certaines nouvelles sont écrites au vous(« Les bourres », « Le congrès »), certaines le sont au tu (« Les “mouches” »). « Jeux » est un sympathique exemple de récit à trois paliers : amourette d’une secrétaire, extraits d’un roman d’amour qu’elle lit en cachette au travail, accompagnés d’une allégorie mettant en scène différents outils et des pièces de machinerie vivant des rencontres qui ne sont qu’une métaphore du travail en usine. Dans « Le congrès », la transition brusque du ilau jenous surprend, elle force notre attention. « Contrastes » commence et finit par un dialogue banal, comme le fera La chute, le célèbre récit de Camus, dialogue qui encadre la visite d’une fonderie et les jeux de séduction autour d’une ouvrière appétissante et délétère. « Vous attendez une histoire, n’est-ce pas ? conclut le narrateur. Il n’y a pas d’histoire. » Le Roquentin de Sartre nous rappellera lui aussi qu’« il n’y a pas d’aventures » (La nausée). Ironie et second degré, bien sûr. Comme pour ce mutilé de guerre flemmard qui se demande secrètement pourquoi certains imbéciles apprennent à écrire de la main gauche ou suivent des cours de rééducation.
Les types et les typesses sans importance sociale, quelqu’un parlait pour eux, pour tout un monde mal connu, quelqu’un faisait voir et entendre ces cris et ces laideurs – « le bruit des ateliers, cette symphonie fantastique que personne n’écrira », Jean Pallu venait de l’écrire.
Heureuse initiative éditoriale : l’œuvre est suivie de sept comptes rendus d’époque.
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...