Depuis vingt ans qu’il habite New York, Sir Salman Rushdie a eu le temps de s’interroger sur la société américaine. Fin observateur et analyste averti, il partage par le biais d’un roman ses réflexions des dernières années, sous les présidences d’Obama et de Trump.
Rarement fiction n’a paru aussi intelligente, teintée de réalité et habilement remplie de propos philosophiques. Dans La maison Golden, l’Indo-Britannique expose sa perception des deux Amériques, qui semblent aujourd’hui irréconciliables. On identifie rapidement qui est le Joker aux cheveux verts et à la peau « blanche comme la capuche d’un membre du Ku Klux Klan ». Rushdie n’ajoute-t-il pas : « Des hommes puissants déclinent, des hommes de rien deviennent puissants. […] Les clowns deviennent rois, les vieilles couronnes gisent dans le caniveau » ?
La saga commence à Bombay, ville natale de l’auteur, et se transporte aux États-Unis en 2008, alors qu’une mystérieuse et richissime famille indienne élit domicile dans le chic Greenwich Village de New York. Le comportement des Golden, père et fils, sera examiné à la loupe par leur jeune voisin américano-belge, en fait le véritable protagoniste de l’histoire. Excellent cinéphile et cinéaste en devenir, René Unterlinden est le double de Rushdie, dont la connaissance du septième art n’est plus à démontrer. « Je suis devenu […] un artiste. Pour être précis un aspirant scénariste », raconte le jeune homme qui veut réaliser un « mokumentaire » sur l’univers chaotique de cette bizarre famille Golden. L’écrivain Rushdie, quant à lui, utilisera souvent des notions et processus cinématographiques pour aborder de multiples thèmes sociétaires, dont le mal-être actuel, les guerres de gangs, le terrorisme ou la montée des nationalismes.
L’érudit romancier mêle sans vergogne et avec une habileté diabolique les univers de Sophocle, Truffaut ou Calvino à la culture populaire contemporaine. L’importante question de fond qu’il aborde est aussi éthique que dramatique. « Est-il possible d’être bon et mauvais à la fois ? Un homme peut-il être bon tout en étant méchant ? » se demande Trump, dit le Joker.
Tout à fait fascinant et magnifiquement traduit par Gérard Meudal, le treizième roman du septuagénaire Salman Rushdie est des plus aboutis et d’une étonnante modernité. Vraisemblablement au sommet de son art, celui qui, depuis 1989, fait encore et toujours l’objet d’une fatwa – dans ce cas-ci d’une condamnation à mort selon la religion islamique – continue de nous éblouir. À ne pas manquer.
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