Dans La liberté des savanes, le précédent roman de Robert Lalonde, un jeune homme se donnait la mort dans une grange, loin de tout regard, de toute aide que ses proches auraient pu lui apporter.
Les raisons qui l’ont conduit à commettre l’irréparable demeureront tues alors que le père éploré, qui n’a rien vu venir, et le narrateur, tous deux témoins, observateurs impuissants, se le reprocheront : auraient-ils pu éviter qu’un tel drame ne se produise ? La question demeurera sans réponse. Comme un nœud jamais dénoué, elle ne cessera de les hanter, jusqu’à ressurgir dans le nouveau roman de Robert Lalonde, Un poignard dans un mouchoir de soie, dont le titre évoque Dostoïevski et pose de nouveau l’énigme demeurée irrésolue dans le précédent roman : que représente toute vie ? À quoi tient-elle ? Et cette ultime question qui soulève la part de responsabilité que nous avons face à autrui : quelle aide peut-on apporter à autrui ? Y a-t-il un point de bascule au-delà duquel toute aide s’avère vaine ?
Le roman met en scène trois personnages principaux : Romain, professeur de philosophie à la retraite ; Irène, une actrice sur le déclin qui doit chaque soir faire face à l’angoisse d’oublier ses répliques ; et Jérémie, un jeune sans âge précis, sans passé ni avenir, qui ne parvient à s’ancrer dans le présent qu’en récitant des passages de L’idiot de Dostoïevski et d’autres auteurs. Jérémie se révélera le trait d’union entre Romain et Irène, et leur permettra de croire, renversement des rôles oblige, qu’ils peuvent de nouveau envisager l’avenir autrement que comme une pente sans cesse déclinante dont l’issue leur est connue. Affligé par la perte d’un ami, Romain n’espère plus rien de la vie lorsqu’il fait la rencontre de Jérémie à la sortie d’une église après avoir assisté aux funérailles de cet ami. Irène, pour sa part, aperçoit le jeune homme, un soir, à l’arrière du théâtre où elle se rend parfois entre deux scènes pour fumer, loin du décor, du drame qui s’y joue, sans se douter qu’un autre drame se déploie, soir après soir, derrière ce même théâtre où Jérémie se réfugie pour se shooter. Tremblant, il implore Irène de l’aider en lui tendant la seringue.
Le roman se décline en trois actes qui, comme au théâtre, ponctuent le drame qui s’y joue jusqu’au dénouement alors que tous les morceaux de l’énigmatique chassé-croisé entre les personnages tombent en place. Les lecteurs familiers de l’œuvre de Robert Lalonde renoueront avec certains thèmes chers à l’auteur : la perte d’innocence, la fragilité de l’existence, le refus d’une vie ordonnée d’avance, l’importance de croire en plus grand que soi, le poids des expériences passées, parfois douloureuses, avec lesquelles il faut apprendre à vivre, et, non le moindre, le pouvoir libérateur des mots. Sans oublier l’amour inconditionnel qui lie ici Romain et Irène lorsqu’ils unissent leur voix pour réciter le dernier message de Jérémie : « Je choisis les fraîches ondées, les couleurs du soir, les questions qui durent au bout des ans. Je choisis votre cœur qui respire l’impérissable. Tout le reste s’ensevelit. Je vous aime par-delà. Jérémie, dit le prince ».
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