Le journal de Jean-Pierre Guay est un chef-d’œuvre. Plus précisément, c’est un des rares chefs-d’œuvre de la littérature québécoise de langue française, toutes époques confondues.
Qu’il ait été loin de faire l’unanimité critique, aucune importance. Qu’il ait d’immenses détracteurs et peu de lecteurs, détail. C’est tout à la fois l’œuvre d’un mystique, d’un barjo et d’un enfant moqueur, une œuvre capitale, point, qu’apprécient ceux que la littérature personnelle et les projets baroques ne rebutent pas. J’ai lu deux fois ce Journal et je salue, à cet égard, l’initiative courageuse de François Tétreau.
Après une brève introduction à la vie et aux autres œuvres de son ami, Tétreau résume minutieusement Le journal, il le commente, en signale les points forts. Pour ainsi dire, l’essayiste accompagne Le journal. Sans se livrer exactement à une analyse ou à une lecture savante, il décortique d’une manière tantôt impressionniste, tantôt rigoureuse. Pour dire vite, il évolue dans un entre-deux.
Selon Tétreau, Le journal comprend trois ensembles : l’édition Tisseyre (six volumes de 350 pages chacun), dix titres rédigés de novembre 1992 à avril 1996 (plus modestes), puis quatre titres dont trois de 1999 et 2000 et un dernier de 2010. Restent six cahiers inédits dont cinq forment un sous-ensemble appelé « journal de 1992 ». La chose (sixième cahier, de février à juin 1995) reste inédit et sa parution est reportée pour des raisons juridiques.
Tétreau plonge dans tout ça comme dans les coulisses d’une intrigue dont les événements majeurs et les enjeux sont rapportés, pour la plupart, dans Lejournallui-même. On a quand même droit à des vues insoupçonnées. Pour qui n’aurait pas déjà lu l’œuvre, cependant, l’ensemble de cette exploration déroute quelque peu.
Dans une perspective à mes yeux discutable, Tétreau distingue explicitement Jean-Pierre et le narrateur du Journal. Il parle d’un « nouvel avatar du narrateur », comme si le narrateur du premier Journal n’était plus celui de la seconde séquence. À propos de Cthulhu, la joie il observe : « [C]e n’est plus un narrateur […], c’est bien Jean-Pierre qui écrit ». Puis Guay redeviendrait un narrateur, mais un narrateur autre que celui de l’ensemble Tisseyre. L’argument principal de Tétreau réside dans la transformation de la langue et de la phrase.
Choix discutable, Tétreau écarte du Journal le « journal de 1992 » sous prétexte que c’est un journal particulier ou privé, par opposition avec l’œuvre d’ensemble, composée comme un roman, selon son raisonnement. Ces discussions n’intéresseront que les amateurs du Journal, comme l’essai de Tétreau, du reste. « Ce journal [de 1992] n’est que compulsion », écrit Guay. Moi, cette compulsion, j’aimerais bien y avoir accès, et m’en priver s’apparente à me priver d’une dimension du Journal qui lui appartient en propre. Guay y dévoile également son homosexualité et y ferait certaines remarques misogynes. Tétreau juge donc que le « journal de 1992 » dépare l’œuvre et « ne présente strictement aucun intérêt anecdotique ni littéraire ». Ce qui est, à la lettre, inexact puisque le curieux que je suis a pris un vif intérêt à ces révélations et que le littéraire en moi se sent floué de ne pas pouvoir le lire en entier.
Le fait d’écrire change-t-il quoi que ce soit à mon sentiment ? Modifie-t-il ma compréhension de l’œuvre ? Assurément. Les objectifs de Tétreau sont clairs, au moins les plus explicites d’entre eux : faire aimer et connaître Guay et nous montrer la mécanique de l’œuvre. J’y ai appris des choses éclairantes et touchantes.
Le journal de Guay est une lente et paisible crucifixion. Son auteur, une manière de mystique contemporain. Nous en avons bien besoin. Comme il nous fallait cette première approche de l’œuvre.
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...