François Ricard s’attriste. La littérature décline, croit-il, elle connaît une période sombre, elle n’est plus ce qu’elle était et « s’efface tout doucement de notre monde et de nos vies ». Ricard nous en propose une vision crépusculaire et nostalgique.
J’aime bien la nostalgie. En un sens, elle encourage. Elle témoigne de ce que la vie a quand même un peu de bon. La nostalgie a la couenne dure. Toutes les époques sont nostalgiques. Elles ont toutes été heureuses à quelque degré, en quelque chose. J’ai lu des nostalgiques de la Belle Époque, j’ai bavardé avec des gens qui s’ennuient de la Révolution tranquille, j’en connais qui regrettent les années 1970 comme il y aura, tout naturellement, des nostalgiques de l’époque laide et agaçante que nous traversons (CQFD : le pire s’en vient). Ricard prétend que les gens comme lui se font de plus en plus rares. On oublierait ce qu’est réellementla littérature, quelle expérience capitale elle représente. Nous perdons en liberté et en humanité. Perspective geignarde, il faut bien le dire. Question de point de vue. Celui de Ricard est un point de vue tristounet sur un monde qui change.
Ricard m’agace agréablement parce qu’il me renvoie ma propre image, celle d’un homme frustré par la ruine pressentie de tout ce qui fait la valeur de son existence : les livres, l’expérience rare et éphémère de leur beauté, l’inquiétude et la révolte impuissante devant notre condition. Ricard se sent « homme d’une autre époque ». Je comprends son désarroi. Réglée cette question, j’aime son propos. J’y trouve des bonheurs d’expression, des vues inattendues (pour moi), une calme érudition, deux ou trois propositions audacieuses (lisez « L’écriture libérée de la littérature »), parfois paradoxales, une ou deux déclarations discutables, un peu de répétition, quelques lieux communs. J’aime bien, par exemple, cette formule et la perspective qu’elle ouvre sur le genre de l’essai : l’essayisteessaiede ne plus reconnaître le monde où il vit (« La solitude de l’essayiste »).
Qu’il parle de la revue Liberté, qu’il examine le rôle de la critique ou se demande pourquoi on écrit, qu’il relise Kafka ou les deux romans de Nikos Kachtitsis (une découverte, en ce qui me concerne), ses articles témoignent tous de son amour de la littérature et des sujets universels qu’elle trimballe dans ses pages : aimer, vivre, douter, vieillir, mourir. La littérature serait même seule à en discuter autrement, à les organiser d’une manière qui n’appartient qu’à elle et qui constitue sa méthode singulière. Singulière, précisons-le, puisque cette méthode n’en est justement pas une et qu’elle ne doit pas le devenir. Cette méthode réside dans la relance continue de la question. Sa méthode, à la littérature, c’est le soupçon, la fuite du sens ou son report incessant. Répondre aux questions ne relève pas du roman, ni de l’essai. Le roman interroge sans relâche à travers des formes et par des moyens toujours changeants. C’est sa vérité et un des critères de sa réussite esthétique (voir le « Discours de la méthode » de Ricard).
La nostalgie réconforte. Ricard est nostalgique et ne s’en cache pas. Il ne s’en réjouit pas non plus. Il revisite avec nous quelques-uns des écrivains qui comptent pour lui : Gabrielle Roy, Georges Séféris, Malaparte, parmi d’autres. Des îles à la beauté inépuisable dont il préserve l’éclat et l’enchantement pour que quelques lecteurs y abordent à leur tour.
Ricard me donne le goût d’entretenir mon inlassable amour de la littérature, malgré tout.
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