Après des centaines et centaines de livres sur le sujet, avait-on besoin d’une énième histoire de l’Holocauste ? Avait-on besoin, pour en saisir l’horreur, de revisiter une nouvelle fois le parcours sanglant du nazisme ? Laurence Rees, historien de formation, responsable des documentaires historiques diffusés à la BBC et auteur d’Auschwitz. Les nazis et la solution finale(British Book Award) et d’Adolf Hitler. La séduction du diable,pense de toute évidence que oui. Lecture faite, on serait plutôt d’accord avec lui.
Ce qui distingue sa démarche de celle de ses prédécesseurs, ce n’est pas une interprétation originale du sujet, c’est son approche et sa démarche. Rees s’appuie sur des dizaines et des dizaines d’entretiens recueillis au fil des ans soit pour ses livres, soit pour des émissions de télévision. En laissant beaucoup de place aux victimes, aux bourreaux et aux témoins directs des événements, l’auteur se révèle un pédagogue habile à raconter avec clarté une histoire complexe sans sacrifier les nuances que nécessite tout travail d’historien sérieux.
Son livre nous apprend que, loin d’être un projet inscrit dès le début dans les cartons du mouvement nazi, la solution de l’Holocauste s’est imposée par « tâtonnement » à la faveur des circonstances et des événements. Au début, les nazis voulurent pousser à l’exil les Juifs vivant en Allemagne (moins de 1 % de la population totale) en leur rendant la vie impossible par l’adoption de lois limitant sévèrement leurs droits. Si certains purent fuir à l’étranger, la majorité se trouva clouée sur place. Rees rappelle en effet que, malgré l’indignation universelle qu’avait provoquée l’adoption de ces lois, aucune nation en Europe ou en Amérique ne voulut ouvrir ses frontières aux Juifs allemands.
Le pouvoir nazi songea ensuite à les expulser vers des contrées lointaines comme à Madagascar, sans que le projet aboutisse, avant d’opter pour la déportation, à mesure que le Reich s’étendait à l’est, vers les ghettos d’Europe centrale, où se trouvait la plus forte concentration de Juifs en Europe. Ce n’est que lorsque le sort de la guerre tourna en faveur de l’ennemi, en 1942-1943, que les nazis adoptèrent définitivement l’industrialisation de la mort comme « solution finale » à la question juive.
Ce qui fait l’immense intérêt du livre de Laurence Rees, c’est moins le rappel des événements que la lecture des centaines de témoignages, très souvent inédits, qui nous replonge dans l’immédiateté de l’enfer de la guerre. Ainsi, l’auteur ramène à une taille humaine ce qui constitue sans doute une des plus grandes monstruosités collectives de l’histoire de l’humanité. Cette qualité fait de son livre sans doute l’une des meilleures introductions à l’histoire de l’Holocauste. En outre, Laurence Rees y rappelle, documentation à l’appui, que le massacre des Juifs en Europe n’aurait pas été possible sans le soutien actif de la population et des institutions des pays occupés par les nazis et sans l’indifférence des pays alliés. C’est pourquoi l’Holocauste est une question morale qui nous concerne tous encore aujourd’hui.