Elle embrasse la scène slam du Québec depuis plus de dix ans. Aujourd’hui, Queen Ka cède la voix à Elkahna Talbi, dépose ses mots entre les pages d’un très beau livre et nomme le lieu qui l’habite.
Si le thème était déjà présent dans ses performances, elle s’y abandonne à présent de façon plus intime, avec une vulnérabilité palpable. Le livre s’amorce sur un nécessaire acte de survie : protéger son prénom des déformations langagières. Garder la tête haute et fière. On traverse les textes avec au cœur une sensation d’écartèlement.
« [I]ci on joue à faire comme là-bas / des mises en scène de salon tunisien. » Née à Montréal de parents tunisiens, la narratrice a les repères multiples. Au départ, les yeux sont ceux d’une enfant en vacances en Tunisie qui prend conscience des différences entre les deux pays. Elle fait alterner les tableaux de Montréal et de Tunis. On glisse d’une ville à l’autre, d’un point de vue à l’autre. Les souvenirs et les impressions se font écho, s’opposent parfois. L’appartenance apparaît fluide, forte, toujours en mouvement.
La poète revisite les lieux fréquentés par sa famille et sa communauté : centres multiculturels, centres d’achats. On se retrouve dans un club vidéo un 24 décembre. Dans l’un des plus beaux poèmes du livre, l’auteure montre toute la fascination de la jeune fille pour le rituel religieux de sa grand-mère. Tandis que défilent les gestes, qu’ils se répètent, on ressent amour, tendresse et effroi devant le mystère qui se joue devant elle.
Certains poèmes se situent précisément à la lisière du lieu intérieur qu’habite la poète, dans sa double identité, si bien qu’on ne sait plus si on est en Tunisie ou au Québec. Les racines se mélangent, s’entrecroisent. Cela est particulièrement illustré dans un poème qui fait la description du garage familial : denrées alimentaires et objets de tous les jours provenant des deux cultures en montrent la cohabitation, la cohérence tout comme l’étrangeté. La juxtaposition des scènes du quotidien montréalais et du quotidien tunisien évoque la vastitude de l’appartenance, l’amour de la poète pour ses deux terres, mais aussi la difficulté d’en être. Et l’on progresse, le regard se meut, change, on passe du point de vue de l’enfant à celui d’une adolescente et, enfin, à celui d’une femme adulte. Plus le regard devient lucide, plus le poids du double héritage est beau, mais difficile à porter. L’auteure s’y attache, dans son désir de nouer contact avec ceux qui parlent tunisien, pour se heurter à une conclusion qui fait mal : « [J]’aurais voulu être pleine d’une vie / que je ne connais pas ».
Si par moments on assiste à la remise en question, voire à l’abandon de certaines traditions, à la perte de la foi comme perte de repères, il se dégage du livre une impression de quête, d’amour, d’affirmation, un grand désir de s’appartenir. Et c’est un peu comme si le voyage ne faisait que commencer : « [J]e cherche l’émerveillement / des commencements / je cherche encore / tellement / une maison ».
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