Éric Vuillard, écrivain et cinéaste né à Lyon en 1968, a semble-t-il causé une surprise en remportant, avec un récit d’à peine 150 pages ont souligné certains,le prix Goncourt en 2017. Qu’il soit ou non mérité, qu’il respecte ou non les critères permettant d’alléguer qu’il était admissible au prestigieux prix, L’ordre du jour ralliera son lectorat sans peine. Éric Vuillard nous livre, avec une précision quasi cinématographique, le récit des événements ayant conduit à l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne le 12 mars 1938. Le récit est d’autant plus percutant qu’il repose sur une exposition brutale des faits et le rappel du rôle des principaux protagonistes qui ont planifié et exécuté cette odieuse et infâme mascarade. Rappelons brièvement les faits. Après avoir délégitimé le chancelier de l’Autriche, Kurt Schuschnigg, et placé au sein du gouvernement de ce dernier ses pions, Hitler n’avait plus qu’à franchir la frontière et être acclamé tel un sauveur. Tel était le plan prévu à l’ordre du jour mais, comme le rappelle Éric Vuillard, certains imprévus ont entaché son exécution, sans toutefois compromettre l’annexion forcée de l’Autriche à l’Allemagne.
Le récit débute au moment où 24 hommes d’affaires prospères participent à une rencontre secrète avec Hermann Goering et le nouveau chancelier allemand, fraîchement élu démocratiquement, dans le but avoué d’en finir avec l’instabilité du régime autrichien. Il est notoire que rien n’est plus dommageable à la prospérité que l’instabilité résultant de la pluralité des points de vue, qui ne peut que conduire à l’anarchie. Aussi, pour pallier la menace annoncée, les 24 hommes d’affaires endossent aussitôt les habits des donateurs qui permettront à Hitler de faire rouler les usines allemandes à plein régime en vue d’asseoir son pouvoir à l’interne avant d’assurer la stabilité politique au-delà des frontières allemandes. Les chapitres se suivent et s’enchaînent comme un scénario savamment découpé, dans l’un et l’autre cas, d’abord celui poursuivi par Hitler, puis celui narré par Vuillard. Si ce dernier a tenu à respecter autant les faits que les noms des principaux protagonistes, le cadre dans lequel se déroule l’action et l’éclairage qui est donné ne relèvent pas moins d’un projet littéraire par les choix et l’enchaînement des faits.
Au-delà du projet hégémonique caressé par Hitler, c’est la lâcheté et la veulerie des hommes d’État qui sont dépeintes ici. Ceux-ci ont plié et accepté toutes les demandes de Hitler pour préserver et accroître leur propre profit, et se sont donné bonne conscience en s’érigeant comme les remparts de l’ordre moral visant à préserver la pureté et la grandeur de la civilisation occidentale. Le chapitre relatant la rencontre entre Schuschnigg et Hitler est édifiant à plus d’un titre en ce qu’il illustre que la botte d’un dictateur, bien qu’elle cherche à conserver parfois les apparences pour ne pas ternir son vernis, n’écrase pas moins son adversaire dès lors qu’elle quitte le sol. Écrasé, broyé, humilié, Schuschnigg rentrera en Autriche en souhaitant n’avoir jamais accédé à ce pouvoir fantoche. Le lendemain de son retour, dans un chapitre qui nous fait tout à la fois rire et grincer des dents, Vuillard nous raconte comment Ribbentrop, alors ambassadeur du Reich en Angleterre, participe à un déjeuner d’adieu avec Chamberlain et Churchill dans le seul but d’étirer ce repas jusqu’à plus soif afin de retarder la réaction diplomatique de l’Angleterre à l’annexion de l’Autriche. Le fait est avéré. Pour ce seul chapitre, on rêverait de voir porter à l’écran ce récit avec des comédiens de la trempe d’un Claude Rich qui camperait Ribbentrop. Comme l’écrit Éric Vuillard : « Si on soulève les haillons hideux de l’Histoire, on trouve cela : la hiérarchie contre l’égalité et l’ordre contre la liberté ». Alors, roman ou récit, quand c’est bon, c’est bon.
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