Ah Venise, Venise… Ville magique s’il en est.
Dans son dernier livre, Il n’y a pas d’erreur : je suis ici, Éléonore Létourneau déclare avec tendresse son amour pour la cité des Doges. Sa fine compréhension de cet endroit sublime, loin des lieux fréquentés par un tourisme de masse souvent irritant, fait plaisir à lire. « Il y a donc une vie normale, à Venise. Les gens construisent, achètent et meurent. Tout au bout, les eaux calmes de la lagune, et le cimetière qui y siège, cimes pointant vers le ciel. »
Le propos de l’auteure n’est pourtant pas la ville, quoique cette dernière soit omniprésente, mais le séjour qu’y fait le protagoniste Pierre, un designer industriel en panne de créativité et en panne tout court. « Afin de souligner mon cinquantième anniversaire […] je vole vers une ville qui s’enfonce […]. Je me retrouverai là comme partout ailleurs, sans savoir vraiment ce que je suis venu y faire. » Et pourtant non. Ce séjour ne sera pas banal. Un terrible diagnostic l’attend au détour de ce voyage dont il ne reviendra pas. Une compagne aussi, avec qui il avait découvert la Sérénissime vingt ans plus tôt et qui y était restée ; Elga sera à ses côtés jusqu’à la fin.
« Tous les jours, l’eau monte et se retire et il s’en faut de peu que les quais soient engloutis. Le cycle des marées guide le rythme de la ville. » Pierre n’aura d’autre choix que de s’abandonner à la terrible sclérose latérale amyotrophique (SLA) qui le ronge, comme de se laisser aller à la fascinante harmonie de la cité lagunaire. Si son corps le lâche d’horrible manière, son esprit demeure bien vivant. L’écrivaine a ce rare talent de nous faire pénétrer dans l’esprit de ce condamné à mort, nous obligeant à revisiter nos propres questionnements existentiels.
Un propos difficile, porté par une grande qualité d’écriture. Le lecteur est – autant qu’Elga – au chevet du mourant. « Je ne saurai plus dire la date ou l’heure ; tous mes jours sont égaux, toutes mes nuits sont vacantes. » Quel a donc été le parcours de l’écrivaine pour qu’elle soit si lucide par rapport aux derniers moments d’un homme ? Il n’y a pas d’erreur : je suis ici est bouleversant de réalité, mais de lumière aussi. Ce n’est sûrement pas un hasard si Pierre s’éteint dans la plus belle ville du monde, ville mythique, ville mystique. « Si ce n’était de mon corps en loques, je marcherais jusqu’à l’aube. Jusqu’à ce qu’on vienne me trouver. Jusqu’à ce qu’on me retrouve mort. »
Éléonore Létourneau est née à Montréal en 1981 et a travaillé en cinéma une dizaine d’années avant de se consacrer à l’écriture. Ses deux romans précédents, Notre duplex (2014) et Les choses immuables (2016), ont tous deux été bien accueillis. Son troisième livre est magnifique. Une auteure à suivre.
IL N’Y A PAS D’ERREUR : JE SUIS ICI
- XYZ,
- 2018,
- Montréal
151 pages
18,95 $
Loading...
Loading...

ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...