LE REVERS

Le revers s’ouvre sur une citation de Benoit Jutras, tirée de L’étang noir. La couleur est donnée. C’est un combat de la dernière chance, empreint d’une certaine solitude, entre espoir et désespoir.
« [Q]ue serait ouvrir et renverser / aller sourde à l’idée mûre ? » demande la poète d’entrée de jeu. C’est ce qu’elle s’applique à faire au fil des poèmes : ouvrir. Ouvrir la langue et ses possibles, ouvrir les images, les décortiquer, aller voir au fond des gestes et des émotions, ouvrir le cœur. Sur le ring, la narratrice valse entre l’amour, le désir, le désenchantement et la colère.
« [J]e suis prête pour le premier poème / ma force est un visage lisse. » Prête pour le poème, comme prête pour la lutte ; prête à vivre, quitte à être blessée, quitte à tomber. Il y a dans la première partie du livre l’idéal et son impossibilité, l’envie de répondre aux questions sur l’amour et le désir, et le piège de la réalité. Les vers portent le côté irrationnel des histoires qui n’ont pas besoin d’être nommées. Elles n’ont qu’à exister, à se déployer, à s’ouvrir devant le lecteur. La narratrice est là, transparente. Subtilement, nous sommes transportés vers le désordre et l’inconfort ; vers les obstacles et les désastres.
La section intitulée « Quoi que tu fasses » marque un changement de ton plus net : une violence intérieure, toujours contenue, gronde sous les mots. Le texte prend des allures d’apocalypse, de catastrophe : est-ce que ce qui est là, ce lien entre la narratrice et le « tu » auquel elle s’adresse, est réel ou est-ce qu’il est transformé, inventé, par ses émotions, sa volonté et son désir ?
L’idée d’ouverture revient tout au long du livre, plus marquée au fil de la lecture. Les correspondances avec les mots d’autres poètes, Jutras, mais aussi François Charron et Daphnée Azoulay, accentuent cette idée d’ouverture. Loin d’être plaquées, les citations deviennent continuité, dialogue, multiplication des couches de sens. Roxane Desjardins ouvre comme on dissèque. Le lien ne fait plus de bien, le sentiment est difficile à nommer, à la limite du malsain. Les nombreux temps de verbe, entremêlés, toujours maîtrisés, ajoutent à l’effet d’incertitude et à la sensation de confusion de la narratrice face à ce qui l’habite. Ce qu’elle fait, ce qu’elle rêve de faire, ce qu’elle ne peut faire, tout est lié et il n’est plus si important de savoir ce qui est vrai ou non.
Les derniers vers sont d’une tristesse inouïe : « [J]e n’ai jamais touché personne / (seulement avec des mains empruntées). » On reste sur la corde raide, seul et sans réconfort.
J’attendais le retour de Roxane Desjardins en poésie, conquise que j’avais été par Ciseaux, paru à la même enseigne en 2014. Avec Le revers, l’auteure poursuit la construction d’une œuvre singulière articulée autour d’histoires sentimentales, mais pas que, de rapports à soi et à l’autre, d’une mélancolie aux allures parfois coups de poing. À la fin du livre, je n’ai eu qu’une envie : recommencer du début, « aller sourde à l’idée mûre » comme affronter le réel, me le rejouer, à l’envers, sur mesure, effrontément.

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