Aurait-on surestimé ou sous-estimé le Refus global ?
En s’intéressant à la réception immédiate et à la postérité de ce manifeste presque « mythique » cosigné par Paul-Émile Borduas et quatorze artistes montréalais (dont Jean-Paul Riopelle, Fernand Leduc, Claude Gauvreau, Pierre Gauvreau, Françoise Sullivan), Sophie Dubois montre que le Refus global a occupé plusieurs positions différentes depuis sa parution en 1948, avant de devenir un classique correspondant à une époque charnière : tantôt symbole de la contestation antiduplessiste, pamphlet anticlérical, curiosité littéraire, mythe, jalon dans l’histoire du Québec, etc. La rédaction du Refus global coïncidait avec la découverte, chez certains de ses signataires, de divers mouvements artistiques et avant-gardes littéraires venus d’Europe et occultés durant les années de guerre tels le surréalisme et le dadaïsme, mais aussi de positions philosophiques jugées révolutionnaires (nietzschéisme, freudisme et anarchisme) par les institutions et les élites. Le contexte canadien-français de l’après-guerre et l’ignorance des critiques montréalais sont évoqués avec nuance : « Si, en théorie, la plupart des critiques affirment leur ouverture à l’innovation esthétique, en pratique, plusieurs se trouvent dépourvus devant les nouvelles exigences critiques que requiert l’art moderne ».
Lors de sa parution il y a 70 ans, ce collectif sur l’impasse dans les arts et la littérature au Canada français constituait davantage une publication de laquelle on parlait sans l’avoir vue, car elle était initialement parue à compte d’auteur : « Refus global, lorsqu’il est mentionné, ne l’est plus que comme cause de congédiement de l’auteur de son texte éponyme ».
Les enseignements sont nombreux dans ce premier livre rigoureux et très clair, adapté d’une thèse de doctorat ; on peut surtout saisir une multitude de significations successives attribuées et rattachées à cette « œuvre ouverte » (l’expression est d’Umberto Eco) qu’était le Refus global. Même les signataires ont eu, au fil des ans, des perceptions divergentes, voire contradictoires : simple état des lieux sous ce que l’on nomme la « grande noirceur », provocation, scandale. Cette postérité semble parfois échapper à certains des cosignataires qui « après les années 1970, ne sont plus en mesure d’influencer le récit commun et semblent donc être à la remorque de celui-ci ». Quoi qu’il en soit, l’expression même d’« automatisme » reste liée à cette époque et n’a pas souvent été reprise par la suite.
Refus global. Histoire d’une réception partielle nous aide à mieux comprendre pourquoi ce manifeste a fait tant de bruit à l’époque, mais aussi comment s’est construite la réputation qui lui a été rattachée. Dans un style vivant et invitant, Sophie Dubois maîtrise autant les théories littéraires que l’histoire des idées au Québec. C’est cet ancrage théorique qui manquait aux ouvrages précédents (ceux d’André-G. Bourassa, de Jean Fisette) – plus factuels – sur le même sujet. C’est l’un des grands mérites de ce livre.
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