L’occasion s’y prêtait : l’année 2017 marquait le 150eanniversaire de la mort du poète, critique et essayiste.
N’étant pas du nombre, je laisse aux baudelairiens patentés le soin de juger en spécialistes le monumental ouvrage de Marie-Christine Natta, avec ses 750 pages de texte bien serré, ses 90 pages de notes et les 15 pages de bibliographie critique. Une brique, quoi. Quant à moi, en amateur éclairé, passionné d’écrits intimes et de vies d’écrivains, j’ai pleinement apprécié cette redécouverte d’un monstre sacré. J’ai ri et j’ai souri en voyant le jeune écrivain dilapider promptement un substantiel héritage, aller de déménagement en déménagement (33 domiciles en 25 ans), fuir ses créanciers et se livrer à toutes sortes de combines plus ou moins heureuses dans le seul but de se faire un nom dans les Lettres. J’ai déprimé aussi devant ce personnage que je connaissais surtout par ses œuvres, quelques notices et le brillant essai de Sartre, lequel ne figure pas dans la bibliographie puisque Natta se concentre sur la vie et le parcours de Baudelaire. Pas d’exploration de la psyché du poète, pas d’analyse et d’interprétations de l’œuvre, ou sinon très peu, uniquement ce qui affleure parfois dans la correspondance, par exemple, ou dans certains témoignages laissés par ses contemporains. Car la biographe travaille en biographe, elle nous fait connaître les aléas d’une existence à travers les lettres, les comptes rendus, les extraits de journaux personnels, toute une panoplie de documents, ceux de l’écrivain aussi bien que ceux de l’immense galerie de personnages qu’elle situe toujours avec le plus de soins possible. On croise des tas de gens du monde des lettres et des arts, les Banville, Delacroix et d’Aurevilly, Sainte-Beuve et Hugo, Asselineau (ami et premier biographe du poète), l’éditeur et ami Poulet-Malassis, mais également Philoxène Boyer (un fou littéraire) et la comédienne Marie Daubrun, maîtresse du poète en 1854. La famille, bien entendu, des hommes politiques et des avocats gravitent autour de cet univers, en particulier au moment du procès relatif à six des poèmes qui composeront les futures Fleurs du mal. Natta a lu dans les marges et en périphérie et elle a beaucoup fouillé sur cette période qu’elle connaît déjà bien, elle, spécialiste de ce siècle. À côté du poète solitaire et mélancolique, de l’incorrigible dépensier, elle nous invite à voir un autre Baudelaire, stratège et politique, qui tente de placer ses pions institutionnels du mieux qu’il le peut.
La biographe reste objective la majeure partie du temps, elle garde ses distances avec l’empathie nécessaire. À l’occasion, Natta suspecte Baudelaire, elle lit entre les lignes, quand, par exemple, elle interprète sa décision de retarder le séjour à Honfleur auprès de sa mère, nouvellement veuve pour la seconde fois.
La biographie de Natta n’est pas une simple introduction : c’est une somme. Elle recèle une vision fine des enjeux qui débordent la poésie entendue comme activité isolée et détachée de toute contingence. C’est donc également une solide leçon d’histoire et de sociologie littéraires. Pourtant, tout cela coule assez aisément, en dépit de l’inévitable lenteur à laquelle oblige un tel travail. L’auteure dirige son lecteur, elle l’informe et n’hésite pas à user de rappels et de retours, au besoin (« Revenons au Salon de 1859 où Baudelaire… »), quand la démonstration d’un point secondaire lui a fait délaisser le fil directeur.
Je le rappelle : j’ai lu et apprécié cette biographie en amateur éclairé. Bon point pour le bouquin de Natta : je n’en ressors certes pas spécialiste du XIXesiècle, mais mieux éclairé qu’un simple amateur et bien outillé pour retourner à l’œuvre de Baudelaire. Je signale que Natta est également l’auteure d’ouvrages sur le dandysme et sur la mode, et la biographe d’Eugène Delacroix.
BAUDELAIRE
- Perrin,
- 2017,
- Paris
893 pages
49,95 $
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