Depuis la publication de L’émondé, en 2008, Judy Quinn poursuit avec constance et talent l’édification d’une œuvre poétique à la force contenue, qui étend ses aires entre conscience amène et lucidité abrasive.
Pas de tombeau pour les lieux, son quatrième livre de poésie, finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général 2017, distille aussi cette grâce inquiète, existentielle et convie chacun à une réflexion fondamentale, à une observation introspective : « Si l’arbre par exemple / pouvait avoir deux vies / une vie d’arbre et une vie d’oiseau / un lieu où il entre / et un autre d’où il sort / mais un seul arbre / occupant tout l’espace / il est des lieux où l’on n’entre jamais / mais dont on sort nu / comme si l’arbre avait perdu / l’oiseau qu’il devait être ».
Cet arbre, figure emblématique de sa poésie, Quinn le plante cette fois aux abords de l’Auberivière, un quartier résidentiel comme il en existe tant dans cette banlieue du rêve américain que nous habitons tous. « Les arbres se touchent / réagissent aux mouvements des autres », rappelle-t-elle comme une mise en garde à l’humanité oublieuse de ce que ses gestes envers la nature peuvent entraîner de funeste : « Même tombés les arbres continuent à grandir / broient les canalisations et empoisonnent l’eau / les enfants la boivent / […] / des bandes de corneilles survolent / l’Auberivière les champs puis l’autoroute / elles rapportent les bêtes malades / […] / chaque heure un nouveau rêve se blesse ».
Tandis que « La raffinerie Ultramar éclaire / jusqu’au lit du fleuve », « aux Galeries Chagnon Love Me Tenderjoue / les échantillons gratuits de crème à mains / […] / sentent bon le paradis perdu ». Ce quotidien, aussi banal qu’angoissant, Quinn le dépeint avec son habituelle économie lexicale, préférant le mot juste aux effets de style flamboyants. Toujours élégante, son écriture ne cherche pourtant pas à plaire et exprime également, quand la vérité de l’image le requiert, une certaine âpreté : la « swamp », les « chars » et le « rack à bicycles » émaillent ainsi une langue autrement sobre. Évoquant Rina Lasnier, Alain Grandbois, Hector Fabre, Nelligan ou Kennedy, dont les noms le disputent à ceux des fleurs pour donner une identité d’apparence – à défaut d’un enracinement authentique – aux rues d’un monde qui se mire dans les productions télévisuelles américaines comme Dynasty et The Twilight Zone, l’auteure recrée un univers aux frontières éclectiques et néanmoins familières.
Par la mise à nu des figures archétypales de la mère et du père, l’exposition des liens familiaux ou le récit des jours, faits d’« autobus scolaire », de « piscine » et de « télécommandes », Judy Quinn interroge le réel habitable, l’expérience commune de vivre avec une acuité aussi rare qu’essentielle ; « l’instant de la rencontre est déjà passé / pas de tombeau pour les lieux », mais un moment unique d’intelligence sensible.
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