Que devient la littérature québécoise ? est un collectif d’études instructif et stimulant qui rassemble les communications entendues à un colloque tenu du 17 au 20 juin 2015 à l’Université Paris-Sorbonne et co-organisé par Robert Dion, Andrée Mercier, Myriam Suchet et Romuald Fonkoua, de l’Université du Québec à Montréal, de l’Université Laval, de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 et de l’Université Paris-Sorbonne respectivement.
Pour des raisons de concision et d’économie d’espace, j’emprunte directement à l’introduction très documentée et brillamment organisée de Robert Dion et Andrée Mercier le résumé des différents axes de réflexion des dix-sept auteurs, professeurs d’universités québécoises et européennes pour la grande majorité, qui signent des articles où règnent la clarté et la compétence.
« La question de l’histoire et particulièrement de l’histoire tragique » de la Deuxième Guerre mondiale retient d’abord l’attention d’Élisabeth Nardout-Lafarge, d’Ursula Mathis-Moser et d’Anne Martine Parent. « Cette question de l’histoire jouxte […] celle de la mémoire, qu’elle soit collective ou individuelle », abordée par Petr Kylousek, Céline Philippe, Louis-Daniel Godin-Ouimet et Carmen Mata Barreiro. Suit « la problématique du genre littéraire » avec Vincent Lambert, Marie-Pascale Huglo et Mathieu Bélisle. Un chapitre traite de « la relation de la production actuelle à l’espace et au territoire » et réunit les contributions de Jean-François Chassay, de Stefania Cubeddu-Proux et de René Audet. David Bélanger et Lise Gauvin s’attardent finalement aux « figurations de l’institution littéraire et de l’écrivain au sein des œuvres mêmes ». Myriam Suchet clôt le collectif avec un « Document » où elle dégage quatre caractéristiques, parmi d’autres, de la pluralité des écritures de la littérature québécoise contemporaine. Chaque article est accompagné d’une ample bibliographie.
L’étude de ces cinq axes donne lieu à un ensemble foisonnant d’analyses qui, on le voit, multiplie les avenues thématiques, auxquelles on peut ajouter, pour préciser davantage, l’américanité, l’écriture au féminin, l’autoréférentialité, la littérature communautaire, l’éclatement du sujet biographique, l’hétérogénéité et la porosité dans les pratiques narratives, le personnage romanesque contemporain, la littérature comme classe sociale… Si les noms d’auteurs canoniques apparaissent dans les textes des participants (par exemple Jacques Poulin, Michel Tremblay, Émile Ollivier, Dany Laferrière, Marie-Claire Blais, Nicole Brossard, Louis Hamelin, Gaétan Soucy…), l’un des aspects flamboyants du recueil est l’intérêt des uns et des autres pour les nouveaux écrivains québécois et leurs œuvres : notamment Catherine Mavrikakis, Nicolas Dickner, Éric Dupont, Éric Plamondon, Samuel Archibald et Daniel Canty, que plusieurs intervenants examinent. On met aussi en lumière d’autres représentants de la « jeune » génération : Michael Delisle, Maxime Raymond Bock, Jean-Simon DesRochers, Mathieu Arsenault, David Clerson, Audrée Wilhelmy, Patrick Nicol, François Blais, Éric McComber, Alain Farah… Dans les corpus choisis, le genre romanesque domine largement la poésie, le théâtre, le conte, l’épopée…
Que devient la littérature québécoise ? convoque ici et là les approches théoriques de Gaston Bachelard, Georg Lukács, Roland Barthes, Jürgen Habermas, Umberto Eco, Michel Foucault et Gérard Genette, tout en utilisant des concepts créés par André Belleau (« le romancier fictif »), Émile Ollivier (« la culture migrante »), Rainier Grutman (le décentrement « hétérolingue »), Tiphaine Samoyault (« le roman-monde »), Marianne Hirsch (« la postmémoire ») et Lise Gauvin (« la surconscience linguistique »). On peut ne pas toujours partager les opinions et hypothèses des analystes, mais nul ne peut rejeter du revers de la main les données émanant de ces pertinentes incursions dans le vaste domaine des « formes et enjeux des pratiques narratives depuis 1990 » visé par le sous-titre de ce riche et volumineux recueil.