Avec Les adieux, l’essayiste et poète René Lapierre poursuit son exigeante aventure de réflexion et d’écriture en livrant une somme poétique dense et multiforme.
Interpellant les lecteurs – « Je vous écris à vous… » –, les conviant à épouser ses préoccupations et à tenter comme lui de s’affranchir de la peur, du mensonge et de la haine, le poète en appelle à l’ouverture, au don de soi : « Aimer est sans ruse. / C’est notre seule chance / à présent ».
À travers trois parties intitulées « Clartés », « Défaites » et « Commencement », l’imposant ouvrage déploie dix-sept suites en vers ponctués, marquées chacune en ouverture par une brève prose narrative relatant un événement de la petite ou de la grande histoire du siècle dernier. En un jeu complexe d’ellipses et de sauts dans le temps, où les drames collectifs et les compromissions quotidiennes servent de points d’ancrage aux souvenirs qui y trouvent également un tremplin vers la conscience, l’auteur exprime un désir de rédemption pour l’humanité selon lui déchue et déshonorée.
Dans la parfaite continuité de ses précédents recueils, dont Pour les désespérés seulement (2012, Prix du Gouverneur général en 2013), Lapierre brosse un portrait sombre du monde, posant sur lui un regard pessimiste – certains diraient lucide, d’autres, nihiliste – qui pourrait confiner au désabusement complet n’était-ce l’espoir qui y affleure, comme le sfumato dans un tableau de Léonard de Vinci.
Usant d’un procédé répétitif aux effets incantatoires, à la manière du « Je me souviens » de Perec qu’il reprend aussi, Lapierre fait l’inventaire des catastrophes et des tromperies qui affligent les humains dans leur simultanéité souvent aléatoire : « Pendant ce temps un train explose – / – à Lac-Mégantic ; la compagnie ferroviaire / n’offre à personne / ses condoléances, ses regrets » ; « Pendant ce temps / les agences de presse nationales / et internationales ne cessent / de mentir, le plus souvent / par omission ». Ainsi les abuseurs sont-ils accusés, qu’il s’agisse des élites religieuses, financières ou politiques. La naïveté, la duperie, l’hypocrisie sont également dénoncées : « Nous demeurons muets devant / la torture officielle, les tueries d’État […] devant les injures lancées chaque jour / aux errants, aux vivants, aux femmes / et aux hommes – à quiconque est encore / miraculeusement / capable d’aimer ».
Comment ne pas être éperdu de désarroi au sortir de cette lecture ? Comment « conserver un grain d’espoir / au tréfonds de la démence », dans ce trop-plein d’images funestes que charrie ce livre-fleuve dans sa déferlante ? La réponse du poète, semble-t-il, fut de nommer l’horreur pour en exposer la substance, la vider de son sens, puisqu’à la fin « [l]e vide / s’illumina. Toute matière / devint amour ».
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