Un véritable tour de force littéraire que ce récit foisonnant, à la fois fantaisiste et d’un réalisme cru.
Rabih Alameddine met en scène un improbable personnage de divorcée de plus de 70 ans, beyrouthine depuis toujours et dont on apprend d’abord qu’elle s’est teint les cheveux en bleu. L’autre originalité d’Aaliya (qui signifie la haute, l’élevée, en arabe), sa véritable bizarrerie, est de vivre sa vie à travers le prisme nécessaire de la multitude d’œuvres universelles qu’elle a lues. Nous entrons dans l’histoire d’une libraire qui aime tellement la littérature qu’elle se donne pour tâche chaque premier janvier d’entamer la traduction en arabe d’une œuvre, choisie après de cruelles hésitations. Ces traductions trouvent leur fin en elles-mêmes puisque chacune est soigneusement rangée dans une boîte sans jamais se chercher de lecteurs… à moins que les événements, comme souvent à Beyrouth, échappent au contrôle des humains. C’est en effet dans la capitale libanaise que l’histoire se passe, dans un parcours qui couvre les années de vie d’Aaliya, années où une guerre laisse la place à un siège qui laisse la place à une attaque qui laisse la place à un autre siège, et personne ne voit la fin de ce gâchis. Le banal est exceptionnel et l’extraordinaire est banalisé dans cette ville : avoir de l’électricité, jouir d’une douche chaude relèvent du prodige ; croiser un cadavre dans la rue est, en revanche, assez commun.
Dans ce monde chaotique, les auteurs, leurs titres, leur parole inimitable deviennent des clés de lecture. Nous sommes plongés dans un véritable roman-bibliothèque où la voix de la narratrice est constamment percée par celle de ses écrivains de prédilection. Aaliya est une lectrice qui dit sa vie aux lecteurs par l’intermédiaire des décantations d’œuvres qui ne quittent jamais son esprit.
Le texte est émouvant sans sentimentalisme, ironique sans cynisme, noir sans pessimisme. Il y est question de livres, on l’aura compris, mais aussi de musique, d’amitié, de guerre, de voisinage, de solitude, de femmes fortes, de femmes faibles, de femmes singulières, de vieillesse active et de vieillesse décrépite, de jeunesse impertinente, de passé incompris et de présent qui dévoile les secrets.
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LES VIES DE PAPIER
- Les escales,
- 2016,
- Paris
336 pages
36,95 $
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