Ramenant son lecteur une soixantaine d’années en arrière, Carole Massé fait naître dans un Québec rural jusqu’à l’os une jeune adolescente dont elle suivra ensuite le parcours avec sensibilité, audace, empathie.
La jeune Estelle débouche sur une existence laborieuse. À peine pubère, elle joint ses efforts à ceux de la flamboyante Gloria pour fournir à son oncle et à ses deux fils bouffe et buanderie. Peu ou pas de détente, peu ou pas de rigolades juvéniles, mais un culte débridé de son aînée. Comme les mâles de la maisonnée, Estelle gravite autour de Gloria, la vénère, s’en fait un modèle et un exutoire. Adoration inconfortable tant Gloria saute d’une lubie ou d’un mensonge à l’autre. L’auteure voue l’oncle et les cousins au même sort et les fait tous passer, du moins est-ce pendant un temps l’impression créée chez le lecteur, pour des satellites de la comète. Peu à peu, la réalité se révélera plus nuancée, plus gérable, davantage imprégnée de contacts trompeusement enfouis dans le passé. Gloria n’a jamais dissimulé à personne son rêve hollywoodien, mais Estelle découvre avec désarroi qu’elle sait bien peu de choses au sujet de son oncle et de ses fils.
Les mérites de La Gouffre sont grands. À l’égal de plusieurs des meilleurs titres de Carole Massé, par exemple Secrets et pardons (VLB, 2007). Toujours plausible et pourtant soumis aux humeurs et aux coups de tête, le roman pénètre avec délicatesse à l’intérieur d’un père qui tient autant à sa terre qu’à une exploitation traditionnelle, d’un fils aîné frustré de ne pas moderniser l’entreprise familiale et qui épuise son impatience à distance des tensions familiales et d’un benjamin qui, presque s’en apercevoir, se demande s’il répondra lui aussi aux attentes de Gloria. Faite de heurts et de réconciliations, d’ultimatums et de concessions, la vie avance, imprévisible.
Le récit aurait pu se clore plus prestement. Faire vieillir tout ce beau monde et les suivre dans de récents tours de piste, voilà qui pouvait insérer la famille et Gloria dans la maturation du Québec, mais qui risquait aussi d’affadir des tempéraments lourds de mondes refoulés. Pari gagné, car Carole Massé réussit à élargir ces quelques destins en courant social, sans pour autant anéantir ou ridiculiser leurs rêves.
La Gouffre, c’est une rivière ; d’où le beau féminin.
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