Paru en 1971, ce corrosif ouvrage de Mordecai Richler reprend vie grâce à l’énergique fluidité de la traduction offerte par Lori Saint-Martin et Paul Gagné. Leur texte répercute sans fausse pudeur les pensées minutieusement obscènes des personnages de Richler, sans jamais émousser les traits de l’auteur en direction d’une large gamme de sociétés. Même s’il exerce ainsi toute sa verve, le grand provocateur suscitera des réactions plus tempérées qu’à l’époque où la verdeur faisait lever de rentables indignations.
Au cœur du Cavalier de Saint-Urbain, Jake Hersh, talent et réussite dans la bonne moyenne. Mariage paisible épanoui en trois enfants, jusqu’à ce qu’une plainte d’agression sexuelle infondée le chasse de ses stabilités. Si le salut lui est encore accessible, il l’obtiendra en vivant par mimétisme dans un mythe glorifiant son cousin Joey : « Moins son travail lui procurait de satisfaction […] et plus il parlait de son cousin Joey, se demandant où il se trouvait, qui il était, au fond, bizarrement convaincu que Joey détenait les réponses à ses questions ». Qu’ont en commun ces deux étrangers ? La rue Saint-Urbain, autrefois patrouillée par le jeune Duddy Kravitz et lieu de tension entre adolescents juifs et canadiens-français. Douze ans séparent L’apprentissage de Duddy Kravitz et Le cavalier de Saint-Urbain (1959 et 1971), soit le temps de recréer Saint-Urbain et ses héros dans l’esprit de Jake. Étoffer le panégyrique de Joey devient la raison de vivre de son cousin désemparé.
Avec le temps, le Québec francophone a peut-être un peu durci son épiderme. Au lieu de tenir Richler pour un obsédé voué à discréditer le projet souverainiste, on le perçoit mieux comme ce qu’il est : un sagittaire en mal de cibles. On a appris que Richler pratique le sarcasme à temps complet et que ses cibles les plus meurtries font partie de son propre monde. « Tout comme certains homosexuels s’attirent les bonnes grâces des hétéros en racontant les blagues homophobes les plus méchantes, Jake et Luke se mettaient à l’abri du ridicule en allant au-devant des coups, à grand renfort de récits où ils tournaient leurs compatriotes en dérision. » Richler savoure trop ses étripages pour en limiter la distribution.
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