Cofondateur avec Fabrice Masson-Goulet du site Poèmes sales, Charles Dionne publie pour la première fois sous l’étiquette du Quartanier, après avoir fait paraître à La Tournure D’espoir de mourir maigre (2013), qui avait été finaliste au prix Émile-Nelligan. La main invisible s’intéresse aux « trivialités » de l’individu moderne, pour reprendre le titre d’un fameux recueil de Michel Beaulieu dont on sent sous certains aspects l’influence. Bien sûr, à plusieurs années de distance, les référents ne sont pas les mêmes, mais ces deux poètes évitent chacun les hauteurs spirituelles pour tenter d’extraire de la banalité du quotidien la matière d’une poésie. Un quotidien, plus précisément, qui ne sort jamais de lui-même, engoncé dans sa mécanique journalière. C’est aussi dans la musique de ces textes narratifs, faite d’enjambements et d’ellipses, qu’on reconnaît le style beaulieusien. Mais la comparaison s’arrête ici, Charles Dionne créant un univers proprement contemporain. « […] j’agite la main dans la caisse de douze / presque vide j’ai sous-estimé / pour la deuxième fin de semaine consécutive / la soif qu’il me faut assouvir / pour arriver à faire le vide / pour encaisser une saison complète / de Suits ». Au bout de cette centaine de pages émerge un portrait assez désespérant du professionnel trentenaire : son travail – « je sais où je me trouvais il y a dix ans / tout est dans mon agenda en ligne » –, ses relations médiocres avec les femmes, ses vacances, ses appareils technologiques. Le luxe et la superficialité des rapports humains le laissent souvent insatisfait, bien qu’il y trouve une forme de sécurité. Ce double regard, à la fois critique et légèrement inconscient, donne de la saveur à cette voix.
À ratisser l’ordinaire, le danger était de s’empêtrer dedans. Cela arrive ici et là, mais rien qui ne gâche la lecture (par exemple : « […] je me jette dans le ménage / repasse mes chemises / change l’orientation du divan / les courants existent la douleur / disparaît comme par magie le désordre / chez moi c’est la conséquence / du désordre en soi »). L’humour de Charles Dionne n’est pas étranger au plaisir que l’on prend à lire cette suite. Aussi, la découpe des vers, par son rythme, nous conduit sans effort d’un poème à l’autre. Une poésie, donc, tout le contraire de transcendante, mais vivante et parfois clairvoyante.
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