Amanda (Pedneault) porte le nom d’un bateau qui a brûlé à L’Île-aux-Coudres le soir de sa naissance. Journaliste culturelle, elle a épousé un réalisateur tchèque avec qui elle vit à Prague, où elle élève ses deux enfants devenus grands. Mais Amanda doit changer de vie : devant l’ampleur de la décision à prendre, elle invente un jeu pour décider de son destin. À l’ouverture d’une nouvelle galerie d’art, elle choisit un tableau qui lui plaît particulièrement. Le jour où quelqu’un d’autre l’achètera, elle changera de vie. Sur le tableau, bien sûr, un bateau.
Tenter de résumer le récit du nouveau roman de Mylène Bouchard, c’est sans doute passer à côté de l’essentiel. Disons tout de même que le bateau baptisé l’Amanda Transport à L’Île-aux-Coudres est un fait historique documenté par Pierre Perrault dans son film Les voitures d’eau, sorti en 1968. C’est à l’Île qu’Amanda naît et grandit, c’est là aussi qu’elle commence à réfléchir à l’amour et à l’amitié entourée de ses inséparables amis. Mais l’Île, il arrive qu’on doive la quitter pour réaliser ses rêves. Amanda n’imaginait pas que son voyage la mènerait en République tchèque.
En plus de faire fi de l’ordre chronologique du récit, L’imparfaite amitié est un objet touffu, construit de matériaux divers. Principalement écrit à la deuxième personne, le livre met en scène Amanda qui écrit à sa fille Sabina. Mais on y trouve aussi des mots d’enfants, des extraits de correspondances, une liste des amours de la bande de filles de l’Île et d’étonnants tableaux typographiques. S’il est vrai qu’au départ on s’y perd un peu, on conclut finalement que ce qui fait la consistance d’une vie, c’est moins l’ordre des événements que les fils de la pensée et des sentiments. Ce sont ces mêmes fils qui, ici et là, font des petits nœuds qui nous obligent à nous arrêter pour réinventer la route.
La force de Mylène Bouchard, dans ce livre ambitieux, c’est surtout de nous amener à nous arrêter, justement, et de nous faire réfléchir à propos de l’amour. L’écrivaine tient à ce sujet des propos qu’on entend finalement très peu. Cela ne devrait pas nous étonner, étant donné que son dernier ouvrage, Faire l’amour, interrogeait aussi cette question sous la forme de l’essai littéraire. L’imparfaite amitié apparaît comme une continuité de cette réflexion où la figure de Kundera, déjà présente dans l’essai, prend une grande place.
Alors, qu’est-ce que l’amour si on cesse de le penser en termes de couple ? Et la question ne nous mène pas sur les chemins du libertinage… Amanda est plutôt porteuse d’une vision large de l’amour, une vision qui accepte que l’amour ait divers visages et prenne diverses formes. Elle dit : « J’aime et c’est tout ». Et cette réponse, elle la fait « contre la société surtout, qui dicte l’amour unique, jusque dans les films pour enfants de quatre ans ». Amanda tombe sans arrêt amoureuse d’hommes et de femmes. Si au départ cela semble faire d’elle un personnage volage, on comprend rapidement qu’il faut s’ouvrir à une idée beaucoup plus large de l’amour qui ne pose d’ailleurs pas toujours la question du désir sexuel. Chez Mylène Bouchard, nous ne sommes pas dans un paradigme binaire qui opposerait couple et célibat, homosexualité et hétérosexualité, fidélité et libertinage… Amour ou amitié ?
Effectivement, une bonne partie des réflexions du livre portent sur cette charnière qui lie l’amour et l’amitié. Est-ce le même sentiment ? Ou l’un empêche-t-il l’autre ? Les différentes rencontres qui ont marqué la vie d’Amanda et qu’elle raconte à sa fille offrent des réponses nuancées. La seule certitude, finalement, c’est la question du choix : « Choisir, c’est s’inscrire dans la beauté de la durée. C’est encore ce qu’il y a, dans les relations humaines, de plus émouvant ».
Des phrases comme celle-là, L’imparfaite amitié en regorge. Il ne s’agit pas d’un roman à thèse, mais certainement d’un roman qui pose sans arrêt des questions. Il y a quelque chose de la méditation partagée, du carnet de réflexion. Avec Amanda, avec Mylène Bouchard, on prend le temps de se demander ce qui mérite notre amour et ce qui fait de notre vie, une vie choisie. Ou pas…
Ceux qui se laisseront bercer par la houle de ce roman en sortiront le cœur un peu gros, mais pas de tristesse. Tout n’est pas gai dans ce récit où le deuil fait craquer des vies, mais le livre est surtout porteur d’une pulsion qui sème quelque chose au fond du lecteur et vous travaille à long terme, un peu comme le bois travaille. Amanda, après tout, est une voiture d’eau.
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