Avec Sous le drapeau noir, Joby Warrick retrace le parcours qui a fait d’une petite « succursale » d’Al-Qaïda en Irak la puissante armée qu’elle est encore aujourd’hui. Pour ce faire, le journaliste américain, lauréat de deux prix Pulitzer, dont un pour cet ouvrage, a mené deux années d’investigation au cours desquelles il a interviewé plus de 200 sources militaires, diplomatiques ou issues du monde des renseignements. Finalement, il nous offre une enquête qui se lit comme un thriller.
Abou Moussab Al-Zarqaoui sert de fil conducteur à son enquête. On le suit depuis son incarcération dans les prisons jordaniennes où il achève sa radicalisation en 1998, jusqu’en 2006, l’année de sa mort, après qu’il est devenu une des principales figures du terrorisme islamiste. Warrick nous raconte comment, après sa libération en 1999, il mit sur pied son réseau djihadiste à partir du nord de l’Irak, comment l’invasion de l’Irak par les Américains en 2003 a amené de l’eau à son moulin et comment, en dépit de ses succès, ses méthodes cruelles et barbares entraînèrent sa rupture avec Al-Qaïda. Dans une lettre que le numéro deux d’Al-Qaïda envoya à Zarqaoui, celui-ci s’en expliquait ainsi : « […] nous livrons un combat, et la moitié de ce combat se mène sur le champ de bataille médiatique. Ce combat est une compétition pour gagner le cœur et l’esprit de notre communauté musulmane ». Outre le fait que les exécutions barbares mises en scène pour diffusion sur Internet n’étaient pas de nature à gagner ni le cœur ni les esprits, les attentats où périssaient des centaines de musulmans, hommes, femmes et enfants, étaient jugés contraires à l’enseignement du Coran.
Du côté des Américains, Warrick nous fait cette stupéfiante révélation : « […] rien n’avait été prévu pour envisager comment serait dirigé le pays [l’Irak] après le renversement de Saddam Hussein ». C’est dans le vide politique créé par la chute du dictateur qu’a pu s’épanouir le réseau terroriste de Zarqaoui, d’autant plus qu’il bénéficiait du soutien d’une bonne partie de la population irakienne qui n’acceptait pas une présence étrangère dans son pays. En outre, la décision calamiteuse de l’administrateur nommé par les États-Unis pour gérer la situation, de renvoyer chez eux avec armes et bagages les membres de l’armée irakienne, a fait qu’on créait, sans le savoir, un terreau propice à une insurrection armée.
Sous le drapeau noir en dit beaucoup sur la façon dont fonctionnent les services de renseignement et sur les mécanismes de prises de décision politique et militaire. Dans le cas de l’administration Bush-Cheney, l’auteur confirme ce dont on se doutait, à savoir qu’elle ne retenait des informations qu’on lui transmettait que celles qui justifiaient son point de vue et ses stratégies préétablies. Il fait également grief à Obama de ne pas avoir compris les enjeux qui se jouaient en Irak en ordonnant le retrait des troupes américaines.
En montrant la montée du terrorisme islamique à travers le destin d’un homme, Warrick raconte, avec la plume d’un auteur de suspense, une lutte de pouvoir entre un noyau d’hommes animés par une foi, dévoyée peut-être, mais puissamment agissante, et la plus grande machine militaire du monde empêtrée dans ses contradictions. Bien documenté, soucieux de donner une épaisseur humaine aux personnes dont il parle, clair dans sa façon de rendre compte des enjeux même les plus « locaux », Joby Warrick donne ici une grande leçon de journalisme. Il faut impérativement lire Sous le drapeau noir si l’on veut comprendre les enjeux de notre époque.
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